Marc LEVY
– Marie Azizian : Votre 14ème roman « Si c’était à refaire » qui vient de sortir parle toujours d’amour. D’où émane cette source inépuisable : de l'homme ou de l’écrivain, autrement dit, du vécu ou de l'imaginaire ?
Marc Lévy : Des deux, le sentiment est omniprésent dans toutes choses de la vie, amour ou haine. L’écrivain ne fait que raconter cela.
Et même si l'on raconte l’amour ou la colère des autres, celles dont on fut le témoin, on ne peut pas écrire en restant totalement distant de son propre vécu. Je crois qu'il faut avoir connu amour, souffrance, perte pour exprimer avec véracité les sentiments, et lorsqu’on est pudique comme moi, avoir aussi l’imagination nécessaire à transposer sa voix dans différents personnages.
– M A : Le suspens reste toujours la veine de vos romans. C’est une sorte de signature d’où la réussite cinématographique de vos œuvres ?
M L : Je ne dirais pas que le suspens soit ce qui caractérise le plus mes romans. Ce qui caractérise mes romans c’est l’histoire de personnages ordinaires qui sont confrontés à des situations qui les dépassent. Comprenez par la que si je devais avoir un truand comme héros d'un de mes romans, ce qui m’intéresserait le plus ce ne serait pas de raconter la violence de ses crimes, mais de trouver comment raconter sa part d’humanité, car tout homme porte en lui une part d’humanité. Si nous parlions cinéma, je me sentirais plus dans la veine de Capra que dans celle de Scorsese. Et pardon de la prétention d’avoir cité deux grands maîtres, ce n'était qu'à titre d'exemple.
– M A : Pourquoi cette volonté de ne pas décrire le physique de vos personnages ?
M L : Parce que je trouve que la spécificité du roman est de pouvoir donner aux lecteurs la liberté d'imaginer ce que le cinéma leur impose. Mon travail de romancier est de faire exister un personnage pour ce qu'il est et non pour ce à quoi il ressemble. A chacun de s'approprier le physique de tel ou tel personnage.
– M A : Votre biographie est une des plus atypiques. Rien ne vous prédestinait à devenir écrivain : 7 ans secouriste à la Croix Rouge, 6 ans chef d’entreprise d'imagerie à San Francisco, 10 ans directeur du cabinet d'architecture à Paris et c’est seulement à 39 ans que vous prenez la plume ! Une vocation endormie, un talent révélé tardivement ou une reconversion accidentelle ?
M L : Je n’en sais rien, il est très difficile de répondre soi-même à cette question, peut-être un peu les trois. Une reconversion accidentelle certainement, car c’est arrivé par accident, mais rien n’arrive jamais complètement par accident. J’ai écrit mon premier manuscrit à l’âge de 17 ans et je l’ai détruit aussitôt. Puis, Je suis devenu papa, assez jeune. Je travaillais dur pour subvenir aux besoins de ma famille, et les seuls moments libres dont je disposais, je les consacrais à mon fils. Trouver le temps pour écrire était un luxe inaccessible… ce qui explique ce retard.
– M A : Quelle serait d'après vous la clé de l'incroyable succès commercial de votre plume artisanale, et ce dès le premier roman « Et si c'était vrai », traduit en 40 langues et vendu en 2 000 000 d’exemplaires ! Chance, bon sujet, puissance médiatique de la maison d’édition telle que Laffont, ou …?
M L : La chance….Il est rare qu'elle ne soit pas au RDV quand quelque chose à réussi. La recette la plus humble que je peux vous donner c’est énormément de travail pour mériter la chance qui vous a été donné. L’un ne va pas sans l’autre. On ne peut pas gagner douze ans de suite au loto. Par contre le fait d’avoir gagné au loto une première fois peut être une chance extraordinaire pour la suite, si vous vous efforcez de travailler beaucoup.
– M A : Certains critiques parisiens trouvent votre écriture simpliste avec les émotions conditionnées et la morale toujours la même. Et vous répondez à cela : « Ils n'aiment pas les auteurs populaires ». Donc non seulement vous assumez, mais vous revendiquez votre côté plus artisan qu'écrivain !
M L : On m'interroge plus souvent sur les méchancetés de certaines critiques qui remontent à des années, que sur les bonnes critiques. Cette méchanceté gratuite qui date était la conséquence de médiatisation accordée à mon premier roman. Le succès n'est pas bien vu dans mon pays et il attire des jalousies. Mes romans sont tout à fait critiquables, la critique est une bonne façon de progresser, d'apprendre ses erreurs et de les corriger. Il y a un livre merveilleux « Ceci n’est pas de la littérature ». Cet ouvrage recense nombre de critiques qui furent publiées aux XVIIIème, XIXème et XXème siècles. Si vous saviez ce que la critique disait de Hugo, de Dumas et de Zola, vous n’en reviendriez pas. Ne voyez la aucune intention de ma part de me comparer à ces auteurs. Mais je peux vous dire que la critique aujourd'hui, est beaucoup plus douce que ce qu’elle fut autrefois.
– M A : Vous dites " La littérature en France est prise en otage par une petite chapelle de gens qui sont à la fois journalistes et écrivains qui se nourrissent essentiellement de jalousie, de pouvoir et qui ne sont pas représentatifs de la littérature." Ne pensez-vous pas que c’est plutôt la culture française dans son ensemble qui est prise en otage ?
M L : Il y a en effet une certaine arrogance dans certains milieux culturels parisiens, celle de ceux qui se sentent supérieurs au reste de la nation. Oui un petit milieu s'arroge le droit de décider de ce qui est ou n'est pas culturel, que ce soit au cinéma, au théâtre en littérature comme en musique. Mais la critique lorsqu'elle elle est partisane perd de sa crédibilité et elle n’a jamais empêché quelque chose de marcher pas plus qu'elle n’a jamais réussi non plus à faire marcher artificiellement des choses. Ces petits microcosmes qu'il ne faut pas confondre avec la critique ne sont prescripteurs de rien.
– M A : Vous déclarez souvent « Je m'en fiche de l’argent ». Vous croyez- vous sincère ?
M L : Sinon je ne vous le dirai pas… Ce que je veux dire par là, c'est que je ne suis pas et je n'ai jamais été un homme d’argent. J’ai commencé à travailler à 17 ans et consacré 6 années de ma vie comme bénévole à la Croix Rouge.
Il y a l’argent qu’on gagne pour assurer sa survie et celle des siens, et l’argent avec lequel on se divertit. J’ai connu le manque et la peur des fins de mois. J'ai la chance de ne plus vivre cela, pour le moment tout du moins, je n'en ai pas pour autant développé un gout particulier pour l'argent. Certains ont le goût de la propriété, pas moi. Je ne collectionne pas les montres, la mienne me sert à me donner l'heure, le luxe ostentatoire m'indiffère et ne témoigne à mes yeux d'aucune richesse intelligente.
– M A : Vous réalisez des interviews pour Paris Match, avec Sharon Stone, récemment avec Johnny. Pourquoi cette envie d’intervieweur alors que vous n’avez aucunement besoin d’une notoriété supplémentaire et que les journalistes professionnels ne manquent pas pour ce type de tâche ?
M L : Il y a bien des journalistes qui jouent aux écrivains, je ne vois rien de grave à ce que de temps en temps les écrivains prennent la liberté de faire des interviews, des portraits plutôt. Pourquoi ai-je fait ces articles, parce que j’en avais envie et aussi parce qu’on me les a proposés. Parce que c'était une chance unique de pouvoir rencontrer ces artistes.
– M A : Votre engagement dans l'humanitaire reste toujours la mission capitale de votre vie ?
M L : J’ai commencé dans la vie par cela, je continue toujours sur cette voie, mais je souhaite rester discret. C’est à moi de servir les associations que je défende et pas que la publicité de mon engagement à leurs côtés me serve. Je suis aujourd’hui Ambassadeur d'Action contre la faim, je soutiens la Fondation Pasteur et une dizaine d'associations. Oui, plus tard je reviendrai plus amplement à ce qui a occupé une grande partie de ma vie et qui compte énormément pour moi.
– M A : J’adore cette phrase tirée de votre roman « Où es-tu » : « Je hais ces gens autour de moi qui rient de rien et s’amusent de tout. ». Très caractéristique pour la société actuelle ?
M L : C’est une phrase de Susan, l’héroïne du roman qui vit dans la misère et qui s’énerve face à la légèreté du monde libéral … mais rire et s'amuser fait aussi partie de la vie, et heureusement, sinon quel ennui !
– M A : En parlant du couple vous dites « Il n' y a rien de coupable à ce qu'un couple accepte que la tendresse envahisse la passion. » J’y adhère à 100 %
M L : Quand la passion se transforme en tendresse cela veut dire que l’amour est en train de se construire. Je me suis souvent demandé si dans une passion amoureuse on ne s’aimait pas soi-même, où le rôle que l'on y jouait. La tendresse amoureuse, n'est faite que d’amour pour l’autre.
– M A : Quel serait votre regard quant à la défaite du président Sarkozy ?
M L : L’Europe traverse une crise économique sans précédent. La France n’est pas dans la même situation que la Grèce, ou l’Espagne ou même l’Italie. Il faut reconnaître à celui qui a commandé le navire pendant les 5 dernières années le mérite de l'avoir conduit pendant une telle tempête. Le comportement personnel de notre ancien président fut en complet décalage avec la culture de la population française. Quant à la stratégie politique qui a consisté à diviser pour mieux régner, comme ce virage ultra- droitier, tout cela n'a trompé personne et à probablement coûté sa place à ce gouvernement. Mais ce qui me réjouis, c'est que la France est un pays ou l'alternance politique est une réalité décidée par le peuple français, où le vote du peuple est incontestable, un pays dont la population est libre de s'exprimer, un pays où les grandes familles politiques s'affrontent dans le respect des valeurs démocratiques et républicaines et encore une fois, dans une totale liberté. Ce n'est pas le cas partout dans le monde, loin de là. La France reste un modèle de démocratie et les hommes politiques qui nous gouvernent de droite ou de gauche sont exemplaires à ce sujet contrairement à certains autres qui gouvernent de grandes nations.
– M A : Quel serait votre avis quant à la remise en cause par le Sénat français de la loi ayant comme but desanctionner les négationnistes du génocide arménien, comme celle Gayssot qui sanctionne le génocide juif ?
M L : LA France a mis des décennies à reconnaître la participation de l'état français dans la déportation massive des juifs et des étrangers pendant la seconde guerre mondiale. Elle est encore loin de reconnaître les atrocités commise pendant la guerre d'Algérie. Nous n'avons pas de leçon à donner aux autres. Cela dit, je pense du fond du cœur que la France est sortie grandie lorsqu'elle a fini par reconnaître les erreurs de son passé. De la même façon, la Turquie sera grandie lorsqu'elle reconnaîtra le massacre des Arméniens.
– M A : Votre homme politique de référence ?
M L : John KENNEDY.
– M A : Votre plus grand défaut ?
M L : La gourmandise.
– M A : Votre plus grand atout ?
M L : Ne pas se prendre au sérieux.
– M A : Votre plus grand regret ?
M L : Que la vie ne dure pas plus longtemps.
– M A : De quoi êtes –vous le plus fier ?
M L : De ma famille.
– M A : Que regardez-vous en premier chez une femme ou chez un homme?
M L : Sa générosité !
– M A : Que trouvez-vous de plus séduisant en vous ?
M L : Rien, mais alors vraiment rien.
– M A : Votre histoire d’amour préférée ?
M L : « Clair de Femme » de Romain Gary.
– M A : Votre plat préféré ?
M L : Le poulpe.
– M A : Votre plus grand combat dans la vie ?
M L : De préserver l’espoir.
Un grand merci à Marie AZIZIAN-ELBAKIAN pour la réalisation de cette interview exclusive réalisée pour le magazine MEGAPOLIS.