La répression se durcit, avec l’incarcération de centaines de journalistes, artistes et militants. Des maires sont démis de leurs fonctions, chose banalisée dans les municipalités kurdes. Et, l’arrestation du maire d’Istanbul s’accompagne de l’incarcération de centaines de membres de son parti et de son équipe.
Özgür Özel, président du CHP, inscrit les manifestations actuelles dans l’héritage de la révolte de Gezi, (prononcer Djézi) en 2013.
Un autre processus de paix avec le PKK avait été enterré par un attentat de l’organisation Etat islamique. Et depuis, le pays a basculé dans la répression , mais qui vise à la fois le mouvement kurde et les démocrates issus de Gezi n’a pas empêché pour autant la convergence autour de la candidature de Selahattin Demirtas (Demirtash) aux législatives de 2015. Son score historique a contraint la formation présidentielle, le Parti de la justice et du développement, à s’allier avec l’extrême droite. Demirtas (Démirtash) est arrêté, toujours incarcéré aujourd’hui.
L’alliance « consensus urbain », scellée en 2024, ouvre un nouveau chapitre et permet à Imamoglu (Imamorlou) de remporter Istanbul. Le gouvernement cherche à casser le nouveau mouvement d’opposition. Il adopte une politique à la fois conciliante et répressive. Il tente , d’une part, d’isoler le mouvement kurde en s’appuyant sur le processus de paix, et multiplie, d’autre part, les accusations de terrorisme à l’encontre du CHP.
Le régime est aidé par le nationalisme de certains éléments du CHP, maladie chronique de la politique turque, structuré par un récit imaginaire fondé sur le négationnisme du génocide de 1915 et d’autres massacres. C’est le point fragile du parti kémaliste. Aux premiers jours du nouveau mouvement de contestation, des tensions sont apparues après le discours nationaliste prononcé, le 19 mars, par un représentant du CHP, qui visait les Kurdes.
Mais Tuncer Bakirhan, coprésident du DEM, a appelé l’opposition à faire front ensemble, soulignant que son parti souffre depuis longtemps de telles répressions. Quant à Özel, président du CHP, il a présenté des excuses publiques. Cette phrase résume sa position : « L’arc-en-ciel gagnera, les différences, les Kurdes et les Turcs, les Alévis et les Sunnites, nous gagnerons ensemble. »
En dépit de ces tensions, casser l’alliance politique formée par l’opposition s’avère chaque jour plus difficile. Mouvements féministes, écologistes, LGBT, syndicalistes et antiautoritaires tissent depuis vingt ans un dialogue fécond. L’urbanisation du mouvement kurde à partir des années 1990 s’inscrit dans cette dynamique : concepts, répertoires et expériences s’y hybrident pour produire un changement majeur dans le cadre de l’action collective….
Cette transformation a fini par irriguer la base populaire du CHP, contraignant le parti à dépasser ses schémas d’opposition traditionnels, ce qui ne manque pas d’inquiéter le pouvoir politique, une mobilisation structurée par le bas ne se laisse pas facilement réprimer. En effet, la révolte de Gezi n’était pas tombée du ciel et ne s’est pas évaporée malgré la répression. Face à l’étau autoritaire, ces mouvements en réseaux dessinent une opposition plurielle, capable de dépasser le nationalisme par des solidarités concrètes. Ce commentaire médiatisé d’un manifestant à Istanbul résume ce tableau : « Nous ne sommes pas un peuple, nous sommes des peuples – et c’est notre force. » Cette force suffira-t-elle pour venir à bout du mal qui afflige le pays ? …
sources : JP D. ,
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