Les Iraniens sont découragés

Apeurés, désespérés, déprimés, anesthésiés, en colère. Des mots dans la bouche des Iraniens pour décrire leurs sentiments après le discours du « Guide suprême », Ali Khamenei, rejetant toute négociation avec les Etats-Unis .

« Négocier avec ce gouvernement [les Etats-Unis] n’est ni raisonnable, ni intelligent, ni honorable », a-t-il déclaré à des commandants de l’armée iranienne à Téhéran, évoquant le retrait unilatéral de Washington de l’accord nucléaire iranien sous le premier mandat de Donald Trump, en 2018, rendant caduc « le deal »«

Ce qui résout ces problèmes, c’est un facteur interne, à savoir l’engagement des responsables dévoués et la coopération d’une nation unie ».

Donald Trump a signé un décret rétablissant sa politique de « pression maximale » sur Téhéran.

Ces sanctions empêcheraient l’Iran d’acquérir une arme nucléaire et des missiles balistiques intercontinentaux, affaiblirait  le corps des gardiens de la révolution islamique (l’armée idéologique du régime) et stopperaient le programme de missiles iranien.

Téhéran a encaissé des revers stratégiques, de l’affaiblissement de ses soutiens palestinien (Hamas) et libanais (Hezbollah) au sein de « l’axe de la résistance »,  à la chute de Bachar Al-Assad en Syrie en décembre 2024, en passant par les frappes israéliennes qui ont gravement endommagé ses capacités militaires.

Ces difficultés auraient pu inciter les dirigeants iraniens à  renouer les négociations avec l’Occident pour une levée des sanctions. Mais depuis les déclarations d’Ali Khamenei – , cette hypothèse semble de moins en moins probable, suscitant la colère et le désespoir, même parmi certains soutiens du régime

L’inflation est  officiellement de 32 % sur un an –  sous-estimée selon de nombreux analystes .Le  prix de la pomme de terre – aliment de base des plus pauvres, a été multiplié par cinq en un an .

Diabétique, Raffi * doit se procurer régulièrement de l’insuline, dont le prix a été multiplié par quatre en six mois. « J’achète de l’insuline fabriquée en Iran, bien que je la tolère mal et qu’elle me cause des douleurs musculaires. Les marques étrangères ne sont plus subventionnées. Mon traitement me coûte 60 millions de rials par mois, soit un peu plus de la moitié du salaire minimum. La situation est la même pour les médicaments contre le cancer et la sclérose en plaques .Sur les réseaux sociaux, des Iraniens disent renoncer à certains soins ou analyses médicales, faute de moyens.

Arrêtée pour avoir manifesté lors du mouvement Femme, vie, liberté, lancé après la mort en garde à vue de Mahsa (Jina) Amini en septembre 2022, Setareh* a passé deux mois en prison. Aujourd’hui, ses espoirs se sont évanouis. « A cette époque-là, nous croyions la victoire proche [en raison de la mobilisation des Iraniens], mais nous nous sommes trompés »,. Le régime, plus répressif que jamais, n’a pas vacillé.

Certains expriment ouvertement leur souhait de voir les Etats-Unis ou Israël attaquer l’Iran. «  “Nous sommes prêts à nous débarrasser du régime actuel, même si le prix à payer est de mourir sous les bombes, car le statu quo est encore plus catastrophique”…

Toutes les villes iraniennes ont des coupures récurrentes d’électricité et de gaz. L’Etat, invoquant le froid, annonce la fermeture d’écoles, d’universités et d’administrations, paralysant la vie quotidienne et l’économie. « Les réserves de gas-oil sont vides .La cause n’est pas claire : soit c’est à cause de l’incurie des dirigeants, soit c’est parce que ce carburant a été envoyé aux alliés de Téhéran, au Yémen à cause des tensions avec Israël. « 

Dans l’entreprise où travaille Soleyha (un pseudonyme), l’électricité est coupée trois fois par semaine, pendant deux heures dit  cette Iranienne de Machhad, dans le nord-est du pays.

A Téhéran, un avocat voi de plus en plus de clients convoqués par la justice pour des publications critiques remontant parfois à deux ans. « Les autorités veulent faire peur. Beaucoup considèrent qu’un nouveau soulèvement populaire est probable, Tout le monde attend que quelque chose se passe, que cette colère éclate. Mais il n’y a aucune initiative capable de rassembler les mécontents. C’est ce qui maintient la République islamique en place. »

Dans les tribunaux où cet avocat se rend, certains juges, alignés sur le régime, expriment leur mécontentement face à la situation économique. Il défend de plus en plus de clients en faillite et constate que nombre de ses proches sont incapables de rembourser de petites dettes….

sources : Le Monde , JP D.

  • * les prénoms ont été changés
  • photo : D.R.