Avertissement : l’E.U. a beau jeu de parler de manipulation alors qu’elle a interdit l’accès à R.T. (RussiaToday), alors qu’il est libre aux Etats-Unis censés être les premiers opposants à la Russie.
Dana Spinant : « La lutte contre la manipulation de l’information est une des priorités » de la nouvelle Commission européenne.
Ingérences étrangères, désinformation et manipulation visent « la division de nos sociétés démocratiques pour les affaiblir dans l’intérêt d’acteurs hostiles » : dans une rare interview, la « dircom » de l’Union européenne Dana Spinant s’exprime sur ce fléau grandissant et détaille les cinq piliers mis en place pour y faire face.
Ancienne journaliste, la Roumaine Dana Spinant est depuis le 1er décembre 2023 la directrice générale de la communication de la Commission européenne, l’organe exécutif de l’Union européenne. Formée en journalisme à Bucarest puis en relations internationales à Nice et en études politiques et administratives européennes au Collège d’Europe de Bruges (Belgique), elle a exercé une douzaine d’années comme correspondante à Bruxelles pour différents médias avant de rejoindre l’institution communautaire en 2009.
Cette polyglotte (roumain, anglais, français, allemand, italien) évoque pour l’IHEDN différentes campagnes de désinformation ou d’ingérence étrangère que l’Union a subies ces derniers temps, et la stratégie déjà en œuvre pour contrer ces phénomènes tout en respectant la liberté d’expression.
DE QUELLE MANIÈRE LA DÉSINFORMATION IMPACTE-T-ELLE LES DÉMOCRATIES EUROPÉENNES, LEURS SOCIÉTÉS OU LEURS INSTITUTIONS ?
La désinformation, ainsi que la manipulation de l’information et l’ingérence étrangère, constituent des menaces graves pour les sociétés européennes et leurs institutions.
Un de leurs objectifs majeurs est la polarisation et la division de nos sociétés démocratiques pour les affaiblir dans l’intérêt d’acteurs hostiles. À cette fin, elles exploitent et amplifient l’incertitude, des mécontentements ou des craintes légitimes – que ce soit sur le coût de la vie, des questions d’identité, la guerre – avec des conséquences pouvant aller du ressentiment aux actes de violence, comme nous l’avons vu l’été dernier lors des manifestations au Royaume-Uni qui ont été amplifiées par des appels sur les réseaux sociaux.
La désinformation et l’ingérence peuvent aussi fragiliser les institutions et les processus démocratiques, tels que les élections. Elles empêchent les citoyens de prendre des décisions en connaissance de cause ou peuvent les dissuader de voter, comme nous avons pu l’observer récemment.
CONSTATEZ-VOUS UNE AUGMENTATION DE CE PHÉNOMÈNE ? POUVEZ-VOUS CITER DES EXEMPLES RÉCENTS ?
Nous avons en effet constaté une augmentation de ce phénomène ces dernières années. Cette intensification s’explique en partie par la situation géopolitique de plus en plus tendue à la suite de la crise du COVID, de la guerre lancée par la Russie contre l’Ukraine et du conflit au Proche et Moyen-Orient, mais aussi par la transformation profonde de l’espace de l’information en général.
La désinformation et l’ingérence font désormais partie d’une boîte à outils d’acteurs hostiles qui inclut différentes menaces hybrides – y compris des cyberattaques, l’instrumentalisation des migrants et des menaces ou des agressions contre des candidats aux élections.
À titre d’exemple, nous avons eu une démonstration claire de leurs méthodes lors de l’élection présidentielle en Moldavie l’année passée.
LES DERNIÈRES ÉLECTIONS EUROPÉENNES DE JUIN 2024 ONT-ELLES ÉTÉ AFFECTÉES PAR LA DÉSINFORMATION ?
Les élections européennes one été un test pour nos mécanismes de réponse établis au cours des dernières années.
Nous avons été témoins de larges campagnes de manipulation et d’ingérence sur les élections et les politiques européenne, de cyberattaques et de manipulations électorales tant en amont que pendant les élections européennes de juin 2024.
Les autorités françaises ont découvert et exposé des opérations de manipulation à grande échelle comme Doppelgänger, qui imite des sites web d’organisations réputées. Les autorités tchèques ont également démasqué des opérations d’ingérence à travers Voice of Europe, un site d’actualité financé par la Russie.
Grâce au soutien des États membres et à nos mécanismes de réponse, nous avons été en mesure de faire preuve d’une vigilance accrue, de détecter des menaces et d’y répondre de manière agile. Par conséquent, l’intégrité des élections n’a pas été affectée.
QUELLES SONT LES RÉPONSES DE LA COMMISSION EUROPÉENNE À LA DÉSINFORMATION ?
La manipulation de l’information et l’ingérence sont un défi complexe qui nécessite une approche multidimensionnelle au niveau national et européen. Au cours des dernières années, nous avons pris des mesures résolues pour contrer ces menaces tout en respectant la liberté d’expression et d’information qui sont pour nous des vertus cardinales. Notre travail s’est concentré sur cinq piliers.
Le premier pilier concerne la protection des journalistes et le pluralisme des médias, car les médias traditionnels de qualité jouent un rôle essentiel dans la lutte contre la désinformation et l’ingérence. C’est pourquoi l’Union européenne a adopté la législation visant à protéger les journalistes contre les poursuites judiciaires abusives, la loi européenne sur la liberté des médias, et les règles sur la transparence de la publicité politique.
Le deuxième pilier a pour objectif de responsabiliser les plateformes numériques. Nous avons mis en place la loi sur les services numériques, connue sous l’acronyme anglais ‘DSA’, qui est la première loi de ce type dans le monde. Son entrée en vigueur en février 2024 a changé la donne dans le combat contre les manipulations et les ingérences en définissant, entre autres, ce qui constitue un contenu illégal, des règles pour identifier la publicité politique, et le rôle des plateformes dans la gestion de ces contenus. Les mesures mises en avant par la loi sont soigneusement proportionnées, afin de garantir le respect de la liberté d’expression.
Le troisième pilier prévoit le renforcement de la résilience sociétale en aidant les organisations d’éducation aux médias et les vérificateurs d’information, les ‘fact-checkers’ – et en promouvant la pensée critique. Nous soutenons, par exemple, l’Observatoire européen des médias numériques (EDMO) , qui a des bureaux régionaux à travers l’Europe. Nous menons aussi des campagnes conjointes avec les régulateurs nationaux de l’audiovisuel pour sensibiliser le grand public aux risques de la désinformation et de l’ingérence.
Le quatrième pilier concerne la capacité de veille, d’analyse, et de démasquage des opérations de manipulation, et l’analyse partagée de la situation (situational awareness). Le Service européen d’action extérieure a déployé des capacités dans ce domaine depuis une dizaine d’années; de nombreux États membre ont fait de même. La Commission est également en train de mettre en place un système de veille centré sur la manipulation de l’information ciblant les politiques européennes (par exemple l’action climatique ou la migration). Un système d’alerte rapide a été mis en place pour faciliter les échanges entre le niveau européen et le niveau national. Nous avons aussi développé pour l’UE une boîte à outils relative aux activités de manipulation de l’information et d’ingérence menées depuis l’étranger (‘FIMI Toolbox’).
Le cinquième et dernier pilier est la coopération avec des partenaires régionaux et mondiaux, qui est essentielle pour aborder le caractère transfrontalier du défi. Nous échangeons avec l’OTAN, des partenaires du G7, et d’autres pays et acteurs qui ont des expériences pertinentes.
SUR CE DOSSIER, QUELLES SONT LES PRIORITÉS DE LA NOUVELLE COMMISSION, MISE EN PLACE FIN 2024 ?
Nous sommes au début d’un nouveau cycle politique avec un nouveau Collège à la tête de la Commission. La Présidente von der Leyen a présenté ses orientations politiques pour le mandat 2024-2029 en juillet 2024.
La lutte contre la manipulation de l’information est une des priorités à l’ordre du jour. Sans préjuger des actions spécifiques de la nouvelle équipe, la manipulation de l’information et les réponses nécessaires seront abordées dans le cadre plus large de la résilience et de la préparation aux crises.
En effet, à la demande de la Présidente von der Leyen, l’ancien Président finlandais Niinistö, a présenté en septembre 2024 un rapport sur le renforcement de la préparation aux crises qui servira de source d’inspiration à la future stratégie de l’Union sur le sujet.
Le rapport présente une approche englobant l’ensemble de la société (‘whole-of-society’) et considère que les citoyens jouent un rôle essentiel dans la résilience et la préparation sociétales. Dans ce contexte, le rapport souligne l’importance d’améliorer l’éducation des citoyens aux risques liés à la cybersécurité et à la désinformation.
Les orientations politiques prévoient aussi la création d’un bouclier européen de la démocratie. Il représentera une nouvelle étape dans la lutte contre la manipulation de l’information et l’ingérence étrangère.
Sources : B.F., IHEDN