Haïg Kydjian , ce héros

« Nous étions une famille de 60 personnes au moins et nous ne restions plus que 4, la moitié
ayant été massacrée et le reste dispersé dans tous les pays » ;

En hommage à notre Grand-Père Haïk (Haïg en arménien occidental) et à ses 3 frères, Assadour, Kéram et Hampar
Kydjian (nés Varbétian) survivants du Génocide Arménien de 1915.

Tous sont dans noscoeurs aujourd’hui. Ils sont arrivés en France, après avoir traversé les pages déliquescentes
de l’Empire Ottoman (déportation et guerre Gréco-Turque). Ensemble et avec leurs petites
mains d’adolescents, ils ont réussi à rebâtir une vie.

A 11 ans, quand on a vu tout ça, on comprend la valeur de la paix; Haïk a ainsi rejoint les Brigades Internationales pour aiderles républicains espagnols contre les franquistes.

Et plus tard, le célèbre groupe FTP-Moï (Francs-Tireurs et Partisans- Main d’Oeuvres Ouvriers) pendant la seconde guerremondiale.

Quand il est décédé, les communistes sont venus déposer un drap rouge sur son
cercueil. Ils faisaient tous la gueule et le silence plombait comme le soleil.

A l’époque, je ne comprenais pas pourquoi. Puis, il y eut un grand cortège dans la rue principale du village où
vit encore notre grand-mère, Chaké, qu’Arsène Tchakarian, copain de résistance de Missak
Manouchian, eut la bonne idée de présenter à ce beau gosse qu’était notre grand-père.

Aujourd’hui, nous pensons à tous les « illégitimes » de l’Histoire, dont les racines se heurtent
également au silence : aux Afro-Caribéens, aux Rwandais, aux Palestiniens, aux
Amérindiens…

Le Génocide arménien était aussi celui des Assyro-chaldéens, des Grecs, de
tous les Chrétiens de l’Empire Ottoman. Ne l’oublions pas.

Valérie Delachérie

Voici un petit extrait de la bio inachevée de notre cher Pépé qui parlait 5 langues (grec, turc,
espagnol, arménien occidental et français). Il roulait les R comme un prince et dansait le
Sirtaki comme personne !
« Je suis né à Afion- Karahissar (Asie mineure, Turquie) en 1911 (la date est fausse,
et varie entre 1909 et 1911). A peine ai – je pu finir l’école maternelle que les événements
m’ont empêché de faire plus de 2 ou 3 ans d’école.
Mon père était devenu orphelin après le massacre de 1896 à Ankara. Il était entré
dans une compagnie de chemins de fer allemande en laissant sa soeur à Ankara. Ma mère
était issue d’une famille très riche. Son père était appelé Aque Orlan (Garçon Blanc), mais
son vrai nom était Varbétian.
La compagnie allemande construisait la ligne Istanbul- Bagdad (la fameuse ligne Bagdad-Berlin). Mon père s’est marié
à Afion Karahissar où il s’est installé. Le tourment devait commencer en 1915 quand j’avais 4 ans.
Jusque là, nous étions très bien. Mon père travaillait en gare comme « quart- de – frein « ; ce
qui doit être aiguilleur. Il était peintre décorateur. Il avait décoré l’intérieur de notre église.
Nous avions une maison et nous étions 4 frères. Maman restait à la maison. C’était une
croyante sincère.
On passait des jours paisibles. Tous les hivers, avec des amis, mon père jouait du
violon et de la zourna (une clarinette). Les hivers très froids, il y avait beaucoup de neige.
Comme on avait des toits plats, on était obligé de mettre la neige sur la maison. Nous, nous
amusions à faire des tunnels et les plus grands faisaient de la luge le soir jusqu’à une heure
du matin.
Malheureusement, ça ne devait pas durer longtemps. C’était trop beau !

Mon père avait donné sa démission à la compagnie pour aller habiter à Ankara près de sa
soeur. C’était vers 1915. On voyait défiler des soldats turcs sans arrêt.
Les Arméniens étaient très inquiets de ce va-et-vient. Les jours se suivent et il y a
toujours autant de soldats et de gendarmes dans les rues. On voyait des caravanes dans les
rues. On battait les gens. Je voyais briller les sabres. Mon père était toujours à la maison. Un
jour, des gens sont venus le voir. Maman nous a raconté qu’ils étaient venus lui demander

s’il voulait se convertir à l’Islam et, comme il était peintre décorateur, s’il voulait aussi
décorer des sérails. On lui promettait d’envoyer ses enfants étudier dans les universités de
Berlin. Mon père a dit : non.  Depuis 5 siècles, ils n’avaient pas réussi à nous convertir.
Seulement, à nous imposer de parler le turc, mais nous avions nos écoles où l’on apprenait
l’arménien et le français. Mes 2 grands frères avaient commencé à apprendre le français.

Quelques jours après, je n’ai plus vu mon père. Quand je demandais à ma mère où il
était, elle m’a dit qu’il allait revenir bientôt, avec une larme au coin des yeux. Ce n’était
malheureusement pas la dernière. Les jours suivant, des Turcs venaient en bande piller les
maisons des déportés. Nous n’étions pas loin des quartiers turcs. Ils démontaient les portes et
les fenêtres, s’attaquant aux maisons de nos amis et nos parents. Ils ressemblaient à des
fantômes. Parfois, des déportés venaient en cachette voir leur maison. Ils chantonnaient : le
soir venu, je n’ai pu allumer ma chandelle, je n’ai pu embrasser mes enfants …

Comme ils avaient la police à leurs trousses, ils disparaissaient dans la nature. Pour survivre, notre
maman vendait ses bijoux.

Un jour, un soldat turc est venu donner des nouvelles de notre papa. Il racontait que
les pieds dans l’eau, il creusait des tranchées aux Dardanelles. A part quelques obus qui
tombaient, il n’y avait pas de danger pour lui. Ma pauvre maman faisait des efforts pour
retenir ses larmes. Au fond, elle était contente de savoir qu’il était en vie. Comme
d’habitude, elle a fait du bon riz avec des poireaux et du citron pressé. Notre soldat était content
et avant de partir, il a promis de veiller sur papa. (…) ‘

Haïg Kydjian

Traduit du …. par ….