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Une analyse très précise de la situation en Arménie par Elise Boghossian (EliseCare)

’Arménie se trouve à un carrefour décisif de son histoire contemporaine. Enclavée dans le Caucase du Sud, cette nation de trois millions d’âmes fait face à des défis existentiels d’une ampleur inédite, qu’ils soient d’ordre géopolitique, social et identitaire, accentués par la guerre autour du Haut-Karabakh. Cette guerre menée par l’Azerbaïdjan a exposé la vulnérabilité de l’Arménie, aussi bien sur le plan militaire que diplomatique, tandis que le traité de paix signé sous l’égide de la Russie n’a apporté qu’un répit illusoire. Depuis, l’Arménie se débat entre ses ambitions de souveraineté, ses alliances complexes et la survie même de son peuple.

Pris dans un étau qui l’étrangle, l’Arménie affronte une double menace. Celle du panturquisme avec le tandem turco-azerbaïdjanais, qui loin de se satisfaire des succès militaires de 2020 et du nettoyage ethnique de 2023 contre le Haut-Karabakh entend réaliser une jonction territoriale en colonisant le sud de l’Arménie qui l’étoufferait complètement et rendrait son Etat non viable.

De la Russie ensuite, qui à l’aune du conflit en Ukraine s’est considérablement rapprochée de l’Azerbaïdjan pour contourner les sanctions internationales ; en sacrifiant l’Arménie. Unique démocratie de la région, cette dernière ne peut plus compter sur l’alliance défaillante avec la Russie rattrapée par de nouvelles réalités géopolitiques.

 

La menace azérie se traduit par un bras de fer constant. Il ne se passe pas un jour sans que l’Azerbaïdjan ne menace l’Arménie. Nullement intéressé par une paix des braves avec une Arménie exsangue, l’Azerbaïdjan exerce une pression incommensurable sur son voisin afin de le dévitaliser. Cette stratégie s’accompagne de grignotages de territoires stratégiques, et d’une rhétorique belliqueuse en pratiquant l’inversion accusatoire. Les 282 villages frontaliers situés du nord au sud de l’Arménie sont constamment menacés : tirs sporadiques, violations du cessez-le-feu, incursions militaires et blocus humanitaires sont des réalités quotidiennes.

Les Arméniens du Haut-Karabakh ont été sacrifiés par un nettoyage ethnique sur l’autel d’une normalisation des relations avec ces voisins mortels au nom d’une conception hasardeuse de la paix à tout prix, dans un vide sécuritaire provoqué par l’affaiblissement relatif de la Russie dans le Caucase. De fait, l’objectif de Bakou est triple : peser sur les négociations politiques en cours, préparer le terrain à de futures agressions et, entre-temps, pousser les habitants des villages frontaliers en Arménie à quitter leurs terres.

 

Alors comment Erevan peut-il assurer la sécurité de ses frontières et de ses citoyens face à une puissance économique et militaire supérieure, de surcroît soutenue par la Turquie ? L’Azerbaïdjan, riche en ressources énergétiques, a noué des alliances stratégiques, notamment avec Israël, lui fournissant des technologies militaires avancées.

Sur le plan intérieur, l’Arménie doit gérer une économie fragilisée par la guerre et l’exode des réfugiés du Haut-Karabakh. Les conséquences sociales et psychologiques du conflit sont indescriptibles, et, dans les villages frontaliers, la population vit dans une anxiété permanente, aggravée par la pauvreté et le manque de perspectives d’avenir. La démographie elle-même est une bombe à retardement. Les Arméniens émigrent massivement, lassés par l’incertitude de leur avenir, et la natalité a chuté. Ce phénomène risque de dépeupler davantage des régions déjà en grande difficulté économique et militaire. L’Arménie se bat également pour préserver son identité et son patrimoine culturel. Peuple monde de la « longue durée », l’Arménie a survécu à des siècles de guerres et de conquêtes, en gardant vivante une langue, une foi et une culture unique. Mais ce combat est menacé de l’intérieur. Les jeunes générations, éduquées dans l’instabilité, regardent vers l’extérieur pour un avenir meilleur. Si l’émigration n’est pas endiguée, elle risque d’accélérer une déperdition culturelle.

La diaspora arménienne, forte et mobilisée, joue un rôle clé dans le soutien à la patrie, mais cela ne suffit pas. L’Arménie a obtenu le soutien de l’Occident, plus particulièrement l’Union européenne et des Etats-Unis, mais ce soutien reste teinté d’hésitation. Si des soutiens humanitaires et des appels à la paix ont été émis, l’Arménie ne bénéficie pas du même niveau d’intérêt stratégique que son voisin azerbaïdjanais, en raison des ressources énergétiques de ce dernier. La honte et le silence complice de la communauté internationale face à cette dictature pétro-liberticide et criminelle soulignent une réalité amère : les intérêts économiques et énergétiques semblent souvent peser plus lourd que les principes de justice et de droits de l’Homme.

Dans un monde mondialisé qui broie l’altérité et les petits Etats, l’Arménie doit trouver sa voie. Sa survie ne repose plus uniquement sur les champs de bataille, mais sur sa capacité à réinventer son modèle de société, à retrouver une place dans le concert des nations sans renier ce qui la rend unique. A savoir un peuple-pont, une civilisation marquée par l’ADN du dialogue entre les peuples et les religions. A l’image des hôtels d’Erevan qui arborent drapeaux iranien et américain.

sources : nouvelobs , JP D. 

photo D.R.