D’Istanbul à Césarée « 2 septembre 1913 — Le train quitte Haydar Pacha. Je suis à la fois surpris et enchanté à l’idée d’aller à Césarée. J’en rêvais depuis plusieurs années, mais il y a deux semaines encore, je n’aurais pu imaginer réaliser ce vœu et surtout aussi vite. Césarée est la ville natale de mes parents, et même si je suis né à Istanbul et que j’y ai grandi, mon enfance s’est passée pour moitié à Césarée avec son dialecte, ses habitants, ses coutumes et les souvenirs remémorés sans fin. Tout cela me pesait et me procurait du déplaisir. C’est probablement le cas de tous les enfants qui vivent comme des Stambouliotes à l’extérieur et comme des provinciaux à la maison. Néanmoins, l’empreinte de Césarée me paraissait plus forte que celle d’autres lieux, je croyais qu’elle asséchait les sentiments, et puis le parler de ma mère me semblait de plus en plus étrange, je finissais par me convaincre que l’origine de ma lignée ne serait pas Césarée afin que je puisse enfin arriver à l’aimer. Istanbul était ma ville natale, je l’ai détestée par patriotisme — parce qu’à cette époque on l’avait décrété pour nous. Aujourd’hui je me souviens de cette peine, la douleur d’un amoureux, à qui l’on affirme que sa bien aimée n’est pas digne de son amour… Istanbul ma ville, l’Arménie, ma patrie, il n’y avait plus de place dans mon cœur pour un autre amour. Combien de patries peut-on avoir en fin de compte ? Deux c’était déjà trop. Alors j’allais préférer la Perse à la Cappadoce — pour ses roseraies peut-être — la Perse que l’un de mes ancêtres avait quitté pour aller s’installer à Césarée, me disait-on… »
Vahan Tékéyan Césarée Traduit de l’arménien par Houri Varjabédian Collection : Diasporales |
72, cours Julien |