Hay Med
Hay- Med est une ONG qui travaille en Arménie et en Artsakh depuis plus de 30 ans. Nous avons réalisé à ce jour plus de 90 missions.
Hay-Med est composée de chirurgiens orthopédiques, uro-gynécologiques, de médecins urgentistes, de réanimateurs, de cardiologues et d’infirmières
Nos actions sont essentiellement centrées sur :
-La formation médico-chirurgicale, tant sur le plan théorique que sur le plan pratique
-L’aide aux écoles maternelles
Nous couvrons les villes d’Artachat, Erevan, Gavar, Gyumri, Mardouni, Stépanakaert et Vanadzor.
Depuis le 19 septembre 2023, nos actions en Artsakh se sont brutalement interrompues.
Au cours de nos 3 dernières missions en juin, octobre 2023 et février 2024, nos actions se sont recentrées essentiellement sur l’aide aux réfugiés dans la ville d’Artachat qui en compte actuellement plus de 5 000.
Nous avons pu ainsi aider à ce jour plus de 150 familles, soit l’équivalent d’environ 900 personnes, ce qui est à la fois peu, mais très important pour ceux qui ont dû fuir l’Artsakh, de façon dramatique. Notre aide est à la fois médicale, psychologique et matériel (argent et fourniture de mobilier).
Le photographe Hervé Tabonnet nous a accompagné en juin et en février et a pu ainsi immortaliser, par ses photos, le désarroi dans lequel se trouve cette population.
Le Centre National de la Mémoire Arménienne lui rend hommage par le biais d’une exposition photographique dont le nom « L’écho des Ruines » est évocateur de la situation dans laquelle se trouve les réfugiés.
Vous trouverez en pièce son interview de France-Arménie.
source : G. Hovakimian / Prodarev
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Culture / ՄՇԱԿՈՅԹ
I
ls sont réfugiés d’Hadrout en Artsakh. Des soldats revenus
blessés, traumatisés par la guerre des 44 jours. Ou encore,
des Arméniens qui vivent près du mont Ararat, dans une
maison qui tient à peine debout. Ils s’appellent Tatev, Ashot,
Aram. Leurs visages, le photographe Hervé Tabonnet, origi-
naire de Saint-Etienne, les a immortalisés à travers ses clichés.
Leurs témoignages, c’est toujours lui, sous sa casquette d’auteur
et journaliste, qui les a recueillis puis réécrits, avec sa plume
délicate. Ces rencontres, celui qui se définit comme “photo-
graphe de conscience ” les a faites en accompagnant l’asso-
ciation humanitaire et médicale HAY-MED, avec son appareil
photo, son carnet et son enregistreur, en juin 2023. Pendant une
semaine, trois mois seulement avant l’attaque éclair de l’Azer-
baïdjan sur l’Artsakh, Hervé Tabonnet s’est confronté à ces
vies brisées par la guerre. Il présente au CNMA une immer-
sion à travers une vingtaine de photographies, de témoignages
écrits, et lus !
France Arménie : Quel est le message de cette exposition ?
Hervé Tabonnet : J’ai rejoint l’association humanitaire et
médicale HAY-MED , il y a un an. Le but est d’abord de témoi-
gner de leurs actions. Elle fait des choses extraordinaires et tou-
jours dans l’ombre, et agit principalement dans le médical mais
aussi dans l’aide à l’éducation, à la rénovation… Les décisions
sont prises sur place. Les membres agissent en quelques jours
et je voulais les mettre en lumière. Une conférence se tiendra
d’ailleurs le 13 avril au CNMA, avec les médecins de HAY-
MED, Jean-Michel Ekherian et Gérard Hovakimian. L’autre
message, c’est de rendre compte de la situation d’aujourd’hui,
celle des réfugiés, en entrant dans le cœur de la population à
travers les témoignages. C’est un travail de mémoire.
Vous vous êtes rendu en Arménie pour la première fois en sep-
tembre 2011, pour la commémoration du 20e anniversaire de
l’indépendance de l’Artsakh. Pourquoi ce choix ?
Au début des années 2000, je suis beaucoup allé en Albanie et
au Kosovo où j’ai retrouvé la même situation géopolitique par
rapport au conflit dans le Haut-Karabagh avec l’Arménie. Je
me suis dit que comme au Kosovo, j’allais rencontrer des gens
extraordinaires. Et puis le fait que ce pays n’existait pas sur les
cartes m’a donné envie d’aller voir.
Vous y êtes allé plusieurs fois, comme en Arménie. Une pre-
mière exposition, « Les voix sourdes », est le reflet de plus de 10
ans de vos missions. Cette fois, « L’écho des Ruines » est le fruit
de votre mission auprès de HAY-MED. Comment s’est faite votre
rencontre avec l’association ?
J’ai été interdit d’entrée en Artsakh après 2021, en tant que
journaliste. En cherchant un moyen d’y retourner, je suis entré
en contact avec Gérard Hovakimian de HAY-MED. J’ai donc
rejoint l’association. J’aurais pu passer avec eux pour aller en
Artsakh, en tant qu’humanitaire, mais le blocus est arrivé,
c’était donc impossible. En faisant cette première mission
avec eux en juin 2023, qui s’est donc concentrée sur l’Arménie
(principalement Artashat, les hôpitaux d’Erevan et Gavar), j’ai
découvert leur travail essentiel. Ça m’a aussi donné l’opportu-
nité de pénétrer dans le cœur de la société puisqu’ils vont chez
les gens, rencontrer les soldats… Je ne voulais pas déranger.
Un bon photographe, c’est quelqu’un qu’on oublie. Ça s’est très
bien passé.
Qu’est-ce qui vous a le plus marqué à travers toutes ces
rencontres ?
Cette volonté inépuisable de vie chez les gens. Ils sont tou-
jours debout malgré tout ce qui leur arrive. Ils ont une force
incroyable. Que ce soient les soldats, les familles, les veuves.
Les Arméniens ont une force, une noblesse, qui se passe dans
le regard. Une puissance unique. Je n’ai jamais vu ça ailleurs.
Et puis, il y a une grande pudeur. Ils ne se plaignent pas. Ça me
laisse toujours songeur.
Vous donnez la parole à des veuves, des réfugiés, soldats jeunes
et moins jeunes, aux humanitaires… Est-ce qu’un témoignage
vous a particulièrement touché ?
L’écho des Ruines
C’est une exposition poignante à découvrir jusqu’au 11 mai à Décines. Au Centre
national de la Mémoire arménienne (CNMA), le photographe Hervé Tabonnet expose
«L’écho des Ruines», mélange de clichés et témoignages recueillis entre 2023 et
2024 au cours d’une mission HAY-MED.
■ PAR HÉLÈNE TERZIAN
Le docteur Chanth Balian durant une intervention à l’hôpital de Gavar,
près du lac Sévan en Arménie
Hervé Tabonnet : “Je suis marqué
par cette volonté inépuisable de vie”
FRANCE ARMÉNIE / AVRIL 2024 51
L’infirmière Valérie Saillard et le docteur Jean-Michel Ekherian avec Arayik
Une canne l’aide à se déplacer, sur son
visage, en filigrane, sont imprimées les
marques d’une violente tristesse. De son
corps se dégage un grand épuisement.
Il s’exprime avec difficulté, les mots
ont du mal à se faire un chemin. Son
regard navigue dans le vague, il flotte dans
les sons, les images qu’il revoit. Sa tête
s’appuie dans sa main à la recherche d’un
second souffle. Sur sa chaise il s’agite, son
corps lutte contre des assauts, ses gestes
témoignent d’une tension proche de l’ex-
plosion. Entre deux sanglots qui montent
et qu’il lutte pour repousser il se livre et
raconte.
Arayik est un vétéran de la première
guerre du Haut-Karabagh. Il a vu, il a vécu
ce grand fracas. Trente ans plus tard, en
2020, c’est une nouvelle guerre qui l’agrippe
dans ses serres.
Au travers de son agitation grandis-
sante, son discours se précise. Il explique
qu’il se trouvait au front en compagnie d’un
bataillon constitué uniquement de jeunes
hommes, de garçons.
“ J’aurais pu être le père de chacun
d’entre eux, vous comprenez ? ”. C’est
presque un cri, un hurlement, ses propres
mots le blessent et le lestent. Ses paroles
deviennent saccades et s’emportent, son
regard s’égard, se voile.
Une nuit, lors d’une attaque ennemie
tous ces jeunes ont trouvé la mort, lui seul
a survécu.
Torturé par un immense sentiment de
culpabilité, il porte ce fardeau lancinant
comme une violente injustice, un crime
contre le bon sens. Cela le ronge et le
dévore, encore et encore.
“ Pourquoi, pourquoi je ne suis pas mort
à la place de ces gamins ? ”.
Son agitation s’intensifie, des hoquets
le submergent, il a du mal à respirer. La
colère l’habite également, il en veut terri-
blement au gouvernement arménien de
les avoir envoyés au combat sans moyens,
sans expérience, avec si peu d’équipement.
Durant les combats, ils ont dû se débrouiller
avec ça.
L’émotion et la douleur profonde de se
livrer le saisissent subitement, son corps
est ébranlé de spasmes, sa cage thoracique
cogne pour trouver de l’air, en étant ouverts
ses yeux se troublent et s’éteignent, il part,
proche de l’évanouissement. Les nerfs
cèdent et déclenchent une crise d’épilepsie
que l’équipe gère immédiatement. Allongé
sur un brancard, les pompiers et sa famille
sont appelés.
Arayik est un soldat parmi tant d’autres
qui souffrent durablement de traumatismes
liés à la guerre. Malheureusement pour eux,
à ce jour très peu d’assistance leur est pro-
posée. En Arménie, la carence en profes-
sionnels et en infrastructures ne permet
pas d’accompagner correctement la souf-
france des soldats.
Ce sujet d’importance, l’Arménie doit s’y
confronter sans attendre car sont concer-
nés non seulement les militaires de carrière
mais aussi et surtout la masse des enga-
gés volontaires.
De plus, à la sensation d’avoir été livrés
à eux-mêmes durant le conflit s’ajoute
maintenant l’impression d’être abandon-
nés et de ne pas compter vraiment, voir
même d’être stigmatisés, dans cette fragile
société en reconstruction. ■
Arayik, soldat traumatisé
Mission HAY-MED, juin 2023
52 FRANCE ARMÉNIE / AVRIL 2024
Culture / ՄՇԱԿՈՅԹ
Une famille réfugiée depuis septembre 2023
Elena et l’une de ses filles à la consultation de HAY-MED
Le visage d’Ashot brûlé par une attaque de drône
Il y a peut-être Ashot, avec qui il y a eu une expérience diffé-
rente. Il s’agit du soldat brûlé au visage, [Ndlr : son portrait
est sur l’affiche de l’exposition et du catalogue]. Il est brûlé au
visage, stigmatisé. Il nous raconte tout ça avec pudeur. On se
parle, je lui pose des questions, puis je lui demande si je peux le
prendre en photo. Je me dis qu’il va refuser, mais il accepte. Il
se pose devant mon appareil et il donne tout. Dans son regard,
on sent cette force représentative des Arméniens. Et dans ce
qu’il nous dit, aussi. Il ne vient pas pour se plaindre de sa situa-
tion. Il dit qu’il aimerait qu’on lui enlève ces stigmates sur son
visage, “ pour pouvoir se marier ” et “ avoir une vie comme
tout le monde”. Ça m’a marqué.
Il y a des photos et des témoignages qui les accompagnent, que
vous avez écrits. Ce duo est important pour vous ?
Avant, je ne faisais que de la photographie, mais ça ne marche
plus. Il faut qu’il y ait de la complémentarité. Une photo peut
être super forte. Comme celle d’Ashot par exemple. Mais il
faut l’histoire qui va avec, pour l’appréhender dans toute son
intégralité.
Dans l'exposition les témoignages sont affichés et lus par des
«prêteurs de voix ».
Quand le CNMA [Ndlr : qui produit l’exposition] m’a com-
mandé l’exposition, j’avais seulement évoqué les photos et les
textes. En travaillant dessus, je me suis dit qu’ils étaient assez
longs. J’ai donc eu l’idée de les diffuser en audio dans l’exposi-
tion. Razmik Haboyan, coordinateur culturel du CNMA, a eu
l’idée des « prêteurs de voix » et d’en faire une expo partici-
pative. Il a proposé à des gens qui prennent des cours d’armé-
nien à Décines de faire des essais puis on a enregistré à Radio
Arménie. C’est une expérience immersive.
L’exposition pourrait être exportée ?
Avec le CNMA, on a l’idée de la diffuser un peu partout en
France. Et pourquoi pas l’amener aux Etats-Unis et même en
Arménie !
Vous avez déjà de nouveaux projets ?
Le plus concret, c’est un travail sur la région du Siounik parce
que pour moi c’est la prochaine menace. Et le but c’est de faire
parler, d’expliquer, de prévenir. Il faut témoigner de la situation
là-bas. On a déjà perdu l’Artsakh, il ne faut pas perdre le Siou-
nik. Je suis allé à Kapan (ville jumelée avec Saint-Etienne) en
février dernier, et je vais y retourner. L’objectif est de faire une
nouvelle exposition sur le Siounik : «La mémoire du présent».
Avec des photos, des témoignages. J’ai rencontré beaucoup de
réfugiés mais aussi les Kapantsi, les habitants de Kapan. J’ai
aussi obtenu une autorisation pour aller dans les villages fron-
tières. Je suis notamment allé à Nerkin Hand, quelques jours
après une attaque azérie. Au-delà de mon travail, c’est impor-
tant de dire aux gens : “La France est là, on ne vous oublie
pas”.
Vous avez développé un lien très fort avec l’Arménie. Comment
l’expliquez-vous ?
Je fais partie de la communauté arménienne qui habite autour
de chez moi. Mon travail est consacré à l’Arménie. A chaque
fois que j’arrive là-bas, ça me donne de l’adrénaline, il y a
comme une ébullition, je me sens chez moi. Je ne parle pas
arménien, juste quelques mots mais je n’ai jamais franchi la
frontière pour l’apprendre totalement. Je pense d’ailleurs que ce
sera la dernière frontière avant que j’aille vivre sur place. Car
si je vis dans cette société, je vais la voir différemment… En
tout cas, je vais essayer d’y passer de longues périodes. Parce
que maintenant, je me sens arménien ! C’est grâce aux gens.
L’humanité, l’amour, l’accueil, la générosité. C’est ce peuple
arménien qui est extraordinaire. ■
FRANCE ARMÉNIE / AVRIL 2024 53