ANDREI COHN – cinéaste solaire au Berlinale Forum
par Alain Jadot
On est comme on naît. Lui est né Roumain, humain et juif à la fois. Il est resté
tout cela en mûrissant mais surtout humain. En mots en actes et en images. Il
s'exprime avec l'intelligence du cœur qui est ni artificielle ni artificieuse mais
authentique, poétique et teintée d'humour. Avec elle il peut aborder les sujets
délicats avec la conviction tranquille de l'homme qui sait sans vouloir
convaincre et montre des vérités plurielles voire contradictoires, leur logique
plus ou moins propre, l'impact qu'elles ont l'une avec ou envers l'autre.
HOLLY WEEK – Semaine Sainte (un sacré film)
Interview d'Alain Jadot et d'Alice Kanterian à Berlin le 19 février 2024.
Andrei Cohn & Alice Kanterian
À partir d'une nouvelle de Ion Luca Caragiale le réalisateur place l’histoire en
Dobrogea, une région atypique et clairsemée à la fois rude et rogue au Sud-
Est de la Roumanie. On est à la fin du XIXe début du XXe siècle.
Leiba l'aubergiste, sa femme Sura et leur garçon Eli sont les seuls Juifs du
village sans rabbin ni soutien moral car les villes drainent en priorité les
structures des communautés juives donc cette constellation n'est pas
inhabituelle en lande peu peuplée, assure le réalisateur.
Ici se côtoient plusieurs patois aux accents rocailleux et pittoresques dont
certains auraient pu exister jadis. Ils émanent des Tartares, Russes et
Hongrois, journaliers errants qui font étape à l'auberge. Ces langues ne
gênent pas les protagonistes pour se parler tant il est vrai que se comprendre
est plus une question de vouloir que de langue. Peut-être aussi parce qu'ils
ne sont que de passage alors que la famille sédentaire subit la xénophobie
latente en permanence. En s'y habituant hélas.
Le film commence violemment par une femme enceinte qui est agressée en
public par un paysan ivre. C'est Sura l'épouse de Leiba, l'aubergiste.
Personne n'intervient. Le courage citoyen manque fortement. Mépris,
violence et haine étaient déjà présents avant. Leiba subit cette discrimination
à force de concessions. Qu'on le traite de juif, il se tait et offre une tournée
générale à ses détracteurs, qu'on insulte sa femme il se tait et ignore l'affront.
Jusqu'au jour où un incident rompt cet équilibre. Gheorghe refuse de
travailler un jour à Pâques, une retenue de salaire et une dispute éclate entre
lui et Leiba.
À partir de là ce dernier ne veut ni se taire ni pardonner. Quand Gheorghe le
menace ensuite de revenir la nuit de Pâques pour tuer sa famille Leiba se
retrouve seul sans aide ni gendarme ni voisin ni tâcheron de passage qui
puisse intervenir. Là il craque, dévisse, surréagit, perd tout contrôle. La peur
paralyse ses sens. Il ne pense qu'à sauver sa famille mais de victime il
devient agresseur, son propre ennemi. C'est le point de bascule
psychologique où l'homme glisse inéluctablement du bien au mal qui a
intéressé Andrei Cohn comme il le souligne dans l'interview.
Paradoxalement il y a une sorte de règle des trois unités, de lieu, de temps et
d'action : la Semaine Sainte en Roumanie l'interaction traditions et religions
dans cet espace-temps. Celle-ci longtemps statique se précipite à la fin et
sera doublement tragique, la stigmatisation du penser autrement véhiculée
par les adultes est transmise aux enfants par l'innocente méchanceté
inhérente à cet âge, ici aux dépens d'Eli qui est circoncis.
Le film dur, très dur même parfois contraste avec la nature intacte presque
idyllique. L'esthétique les images est saisissante, cadrages parfaits, ombres
et lumières mesurées. Les plans fixes extrêmement longs sans musique
ajoutent une oppression palpable. Mais jamais Andrei Cohn ne prend parti.
Libre au spectateur de penser ce qu'il veut ou ce qu'il peut. C'est le
pathétique de l'humain qui est documenté ici.
Les rôles principaux sont joués par des acteurs impressionnants de naturel et
de vérité. Saluons Nicoleta Lefter (Sura), Doru Bem (Leiba) et Ciprian
Chiricheș (Gheorghe). Ces deux derniers sont des débutants mais ils ont su
maîtriser d'emblée les néologismes archaïques imposés par le rôle. Ils ont
été choisis parmi une centaine de candidats.
Andrei Cohn a été si impressionné par la prestation de Chiricheș qu'il a
délibérément rajeuni l'âge du rôle. D'emblée l'acteur était le personnage. Les
figurants sont des locaux. Ils sont empreints de grâce rustique qui ne
s'apprend nulle part. Eux ne jouent pas, ils vivent leur texte avec une
sincérité physique. C'est fascinant.
Le long métrage (133 Min) «Semaine sainte» a été présenté au Forum de la
Berlinale 2024 dans sa 74e édition. La première a eu lieu le 17 février au
Delphi Filmpalast. En France il sortira le 10 avril 2004. Le film à été salué par
ovation debout. Le réalisateur, aussi scénariste a présenté son équipe avec
modestie et grandeur d'âme puis a répondu aux questions de Barbara Wurm,
directrice du Berlinale Forum et du public parfois agressif par exemple
l'njonction de faire un choix identitaire «est-ce un film juif ou roumain ? »
avec une désarmante simplicité il a dit faire le choix des deux mais qu'il
comprenait qu'on puisse penser n'avoir qu'une identité à réclamer. Une sorte
de tournée générale.
Andrei Cohn et l'équipe du film avec la directrice du Forum Barbara Wurm
À l'instar de son film lumineux Andrei Cohn est un cinéastre solaire.
SEMAINE SAINTE un film d'Andrei Cohn – Teaser (youtube.com)
photo : D.R.