En Azerbaïdjan il faut écrire sur la « victoire » au Haut Karabagh mais pas sur les circuits de corruption
. A l’aéroport d’Istanbul, le 20 novembre 2023, la jeune journaliste azerbaïdjanaise enregistre un dernier témoignage vidéo pour les réseaux sociaux. « Nous tenons à vous informer que l’ordre d’arrestation d’Ulvi (Hasanli) ((directeur du site pour lequel elle travaille) émane directement du président [azerbaïdjanais] Ilham Aliev », dit-elle.
Ulvi Hasanli voyait débarquer chez lui une unité de police, venue fouiller son appartement avant de le conduire dans les bureaux d’Abzas Media, le site d’investigation en ligne qu’il dirige. Là, les policiers auraient mis la main sur 40 000 euros en espèces, qu’ils affirment avoir découverts dans le hall du journal.
Selon Ulvi Hasanli, cet argent aurait été posé là par les services azerbaïdjanais. Une pratique courante par le régime en place pour discréditer des organisations aux yeux du public.
Accusé de « trafic de devises étrangères », Ulvi Hasanli aurait été giflé et brutalisé à plusieurs reprises durant son arrestation. « On lui a dit : “pourquoi tu racontes des histoires sur la corruption et pas sur nos succès au Karabakh ?” », témoigne Sevinc Vaqifqizi sur son smartphone, « Je ne peux pas laisser Ulvi là-bas et vivre ma vie tranquillement dehors », explique-t-elle . Sans surprise, Sevinc Vaqifqizi a été arrêtée dès sa descente de l’appareil sur le tarmac de l’aéroport international Heydar-Aliev, du nom du père de l’actuel président, à la tête de l’ex-république soviétique jusqu’en 2003.
Quatre autres membres ou collaborateurs réguliers d’Abzas Media, Mahammad Kekalov, Nargiz Absalamova, Elnara Gassimova et Hafiz Babali, ont été placés en détention A la même période, le président Aliev a annoncé une élection présidentielle anticipée le 7 février.
Dans ce pays qui borde la mer Caspienne, 151e sur 180 au classement mondial de la liberté de la presse , où les journalistes sont persécutés ou emprisonnés, Abzas Media fait figure d’ovni. Leurs dernières enquêtes en ligne égratignent un ministre et ses business lucratifs, révèlent des circuits de corruption dans le Haut-Karabakh, ou encore les actifs dissimulés de la famille du président Aliev. Des sujets sensibles pour un régime autoritaire qui a espionné la rédactrice en chef d’Abzas Media au moyen du logiciel espion Pegasus, comme l’organisation Forbidden Stories et ses partenaires l’ont révélé en juillet 2021.
sources : JP D, RS F (Reporters sans frontières), Forbidden Stories, Abzas Media