Venise 80 le Lion d’argent.Le palmarès a également mis en avant l’Italien Matteo Garrone (Lion d’argent de la meilleure réalisation pour Moi, capitaine) et son acteur principal Seydou Sarr, ducouronné du prix Mastroianni d’interprétation masculine Au coeur de la récente Mostra de Venise, l’émigration africaine en Europe et son cortège de drames.
Venise. Le jury de la 80e édition du plus ancien festival international de cinéma au monde, la Mostra de Venise, a récompensé d'un Lion d'Argent le réalisateur italien Matteo Garrone pour son film Io Capitano (Le Capitaine, c'est moi) narrant l'Odyssée de deux jeunes Sénégalais migrant vers l'Europe à travers le désert, la barbarie des camps lybiens et les écueils de la Méditerranée. Le prix d'interprétation masculine a été décernée au jeune dakarois Seydou Sarr (18 ans) incarnant un personnage homonyme (Seydou) qui aurait pu être lui-même au côté de Moustapha Fall, alias Moussa.
Dans Io Capitano Péripéties, souffrances et ignominies subies sont ici tirées de témoignages authentiques, les histoires réellement vécues par Kouassi, Adama, Amara, Arnaud, Fofana ou Siaka… Pour autant, l'oeuvre est infiniment plus puissante que le plus implacable des documentaires. L'épopée de ces jeunes migrants sénégalais traversant l'Afrique, avec tous ses dangers, pour poursuivre un rêve appelé Europe
"C'est le parcours initiatique de deux garçons en route vers une "terre promise" et qui se retrouvent confrontés à une série d'horreurs", explicite le cinéaste Matteo Garrone. "Habituellement, nous voyons nous, depuis l'Europe, les bateaux, le décompte des morts et l'arrivée à Lampedusa, mais jamais ce qu'ils vivent. Je voulais la vérité, pas le réalisme didactique", explique .Son intention, affichée et parfaitement aboutie cette fois encore dans Io Capitano, est de faire revivre au spectateur ce voyage "épique" et terrible, en toute subjectivité "à travers le regard de deux garçons qui ne partent pas de la pauvreté absolue mais ont les moyens financiers de la traversée vers l'Europe." Le film souligne le courage et l’héroïsme des jeunes personnages principaux et le téalisateur explore l’âme de Seydou.
Pour autant, l'Odyssée dont Seydou est le héros se proclamant "le capitaine" possède une dimension supplémentaire, celle d'un conte non dénué d' "abstraction féérique", à l'instar de celle narrée autrefois par un certain Homère. Cette dimension-là est parfaitement revendiquée et assumée par le même Garrone à qui l'on doit l'ultime version cinématographique et fantasmagorique de Pinocchio (2019). "Il y a beaucoup de Pinocchio dans le voyage de Seydou et Moussa : eux aussi veulent se rendre dans ce qu'ils rêvent d'être le Pays des Jouets (Isola dei Balocchi) et découvrir malgré eux la violence d'un monde peuplée de malfaisants prédateurs", confiait récemment le réalisateur à nos confrères italiens de la revue Ciak. "Io Capitano suit deux chemins : celui qui part de l'observation de la réalité et celui lié au surnaturel et au conte de fées comme c'était le cas dans Pinocchio et dans Le Conte des Contes", autre film signé Garrone en 2015. En Italie, la magie semble payer. 72 heures après sa sortie le film se hissait déjà au troisième rang du Box Office italien.
Io Capitano a été tourné en Afrique entre Dakar et le Maroc où la partie lybienne de l'épreuve a été reconstituée en partie dans des centres de détention de Casablanca. A l'écran Seydou et Moussa parle le Wolof (sous-titré). "Il ne pouvait en être autrement", affirme le cinéaste dont les deux acteurs ont été castés parmi des comédiens amateurs de la banlieue de Dakar. Une première expérience pour les deux et un conte dans la conte si l'on veut qui aboutit –vous avez dit magique ?– à une récompense international pour Seydou dont c'est la première apparition sur grand écran. Récompense qu'il partage volontiers avec Moustafa, son ami. Les souvenirs plus éprouvantes du tournage….
"Celle que nous avons tourné dans le désert marocain, où une femme qui n'a plus la force de marcher se meurt dans mes bras. Heureusement c'était du cinéma, mais je l'ai ressenti comme s'il s'agissait d'une de mes trois soeurs… Le plus grand moment d'émotion — partagé cette fois pas toute l'équipe du film au moment du tournage — reste dans ma mémoire celui où je hurle au vent de la Méditerranée "Io capitano" –"le capitaine du bateau, c'est moi". Ce cri est, je pense venu du fonds de mes tripes"