Monsieur le Président de la République,
Le temps des déclarations diplomatiques, des dénonciations publiques, des nobles résolutions, des négociations et des discussions est terminé. Au XXIe siècle, un nouveau génocide est imminent, mené par l’Azerbaïdjan, que l’inaction du monde encourage dans son entreprise d’épuration ethnique.
A la tête de la plus grande organisation arménienne à but non-lucratif dans le monde, forte de son réseau international et de sa longue expérience en matière d’aide humanitaire et de développement socio-économique en Arménie et en Artsakh, j’ai le devoir de tirer la sonnette d’alarme. Je me dois de le faire comme Président de cette organisation et au nom de tous qui comme moi, sont préoccupés par le sort des Arméniens qui n’aspirent qu’à vivre en paix sur leurs terres ancestrales.
L’Azerbaïdjan n’est visiblement pas perméable aux mots qui ne sont pas suivis d’acte. Elle ne comprend pas le langage de la raison, de la paix, de l’humanité. Le blocus du corridor de Latchin – l’unique route qui relie les Arméniens d’Artsakh à l’Arménie, et donc au monde – en est une preuve supplémentaire. Par ce blocus, l’Azerbaïdjan asphyxie les Arméniens d’Artsakh, les privant de nourriture, de médicaments, d’énergie et de produits de première nécessité.
Cette semaine, Luis Moreno Ocampo, l’un des plus grands défenseurs des Droits de l’Homme a dénoncé les choses telles qu’elles sont. Les actes abominables commis par l’Azerbaïdjan à l’encontre des Arméniens sont la définition même de ce qu’est un génocide. En contribuant à la libération de son Argentine natale du joug militaire et en devenant le premier procureur de la Cour Pénale Internationale, traduisant en justice certains des pires dictateurs, Ocampo est particulièrement à même de nous alerter sur la situation. Il a récemment publié un rapport au présage funeste : si nous n’agissons pas, rapidement, nous pourrions très bientôt assister à un nouveau génocide arménien.
Le rapport Ocampo affirme que les actions de l’Azerbaïdjan ont beaucoup en commun avec certains des massacres les plus inhumains de l’Histoire : de l’extermination des Arméniens en 1915 à la famine systématique des Juifs par les nazis en 1939, ou se référant encore à des procédés similaires ayant eu cours à Srebenica en 1993 et 1994.
Ces conclusions ne sont pas une surprise pour l’UGAB.
Fondée en 1906 avec pour mission de sauver la vie des Arméniens et de contribuer à leur développement dans le monde entier, l’UGAB a été l’un des premiers témoins du génocide de 1915. Plus d’un million et demi d’Arméniens, sujets de la Turquie ottomane, ont été éradiqués du fait de massacres systématiques et barbares, de famines et de marches de la mort dans les déserts de Syrie. A l’époque, nos appels à la communauté internationales étaient restés vains, malgré les dénonciations diplomatiques, malgré les innombrables témoignages, malgré les preuves irréfutables. Le monde a regardé avec effroi mais n’a pas su agir de manière décisive et coordonnée pour faire obstacle à l’ambition génocidaire des dirigeants ottomans.
Aujourd’hui, une population civile de 120 000 personnes vit dans un état de famine et de désespoir, alors que le 12 août marque l’entrée dans le 9e mois de blocus. Des milliers d’innocents sont pris dans un piège mortel, empêchant jusqu’aux organisations humanitaires, y compris la nôtre, d’intervenir pour endiguer la famine généralisée qui est à l’œuvre.
En réponse à sa violation flagrante du droit international et des Droits de l’Homme, l’Azerbaïdjan a visiblement vu dans la réaction tiède de la communauté internationale une permission tacite de poursuivre son entreprise d’éradication des Arméniens d’Artsakh. Il est venu le temps de prouver à l’Azerbaïdjan qu’elle a tort, il n’est pas trop tard pour le faire.
Les conflits mondiaux qui se disputent l’aide humanitaire et l’attention médiatique ne manquent pas, hélas. Mais ce rapport sur la situation en Artsakh, qui émane d’une voix majeure, est un signal d’alarme qui doit mobiliser de manière urgente notre attention et susciter notre réaction rapide. Je vous en joins les principales conclusions.
Il est un élément supplémentaire qui permettra, je l’espère, d’envoyer une aide humanitaire immédiate, par l’intermédiaire des Nations Unies ou par pont aérien, et faire ainsi parvenir un message clair au régime d’Aliev afin qu’il ouvre immédiatement le corridor de Latchin pour garantir la libre circulation des personnes, des véhicules et des biens dans les deux sens. L’Azerbaïdjan doit comprendre avec fermeté que s’il s’obstine dans son entreprise, il sera tenu pour responsable par la communauté internationale et pourra faire l’objet de poursuites judiciaires.
Le moment est venu d’empêcher un nouveau crime contre l’Humanité, avant qu’il ne soit trop tard.
Je vous prie de croire, Monsieur le Président de la République, en l’expression de mes sentiments déférents.
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