Grégoire de Narek
THE ARARAT-ESKIJIAN MUSEUM (AEM), THE NAREKATSI CHAIR IN
ARMENIAN STUDIES AT UCLA, THE PROMISE ARMENIAN INSTITUTE AT
UCLA, AND THE NATIONAL ASSOCIATION FOR ARMENIAN STUDIES AND
RESEARCH (NAASR)
PRESENT
FOR A BETTER UNDERSTANDING OF
ST. GREGORY OF NAREK’S PRAYERS
A conversation between Dr. Abraham Terian
and Dr. S. Peter Cowe
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Saturday, April 1, 2023
4 pm Pacific / 7 pm Eastern
Ararat-Eskijian Museum Sheen Chapel
15105 Mission Hills Road
Mission Hills, CA 91345
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Grégoire de Narek, Grigor Narekatsi ou Krikor Naregatsi (en arménien Գրիգոր Նարեկացի), né entre 945 et 951, et mort à Narek en 1003 ou vers 1010, est un moine, un poète mystique et un compositeur d'Arménie. Né dans le Vaspourakan des Artzrouni, il passe la plus grande partie de sa vie au monastère de Narek, non loin du lac de Van, près de l'église d'Aghtamar, où il est notamment enseignant.
Vers la fin de sa vie, ce grand mystique4 a écrit en langue arménienne classique un poème intitulé Livre des Lamentations, chef-d'œuvre de la poésie arménienne médiévale. Ce maître de la disciplineNote 1 a pour ce faire, tiré la langue arménienne classique de la liturgie pour lui donner, après l'avoir remodelée et sculptée, une autre forme et un autre sens, la poésie arménienne médiévale5. Narek a aussi rédigé des odes célébrant la Vierge, des chants, et des panégyriques. Selon Bernard Coulie, « il introduisit à cette époque le vers monorime dans la poésie arménienne »6. Son influence a marqué la littérature arménienne et se retrouve chez d'autres poètes, comme Sayat-Nova, Yéghiché Tcharents et Parouir Sévak. Par son dialogue avec l'invisible et sa sotériologie, son œuvre est l'un des sommets de la littérature universelle7.
Saint de l'Église apostolique arménienne et de l'Église catholique, sa proclamation comme docteur de l'Église est annoncée le par le pape François. Le suivant, soit douze jours avant le centième anniversaire du génocide arménien, il devient ainsi le 36e docteur de l'Église.
Né entre 945 et 951 dans la région d'Andzévatsiats, dans la province du Vaspourakan (Arménie historique), et ayant perdu sa mère alors qu'il est encore un enfant4, Grégoire de Narek est éduqué par son père, l'évêque Khosrov Andzévatsi (le Grand) qui composa d'importants ouvrages théologiques13. Son éducation est ensuite prise en charge par son oncle, Anania Narékatsi, qui dirige le monastère de Narek. Ces tuteurs ont une position critique envers les méthodes de l'Église arménienne de l'époque, et développent l'idée d'un contact direct avec Dieu14.
En effet, l'adresse à ce « Dieu Lumière » est faite selon un ton très lyrique et fort singulier, marqué par un vrai sentiment de solitude de l'auteur, paradoxalement déchiré dans l'abîme de ses vices, dans le labyrinthe de son âme obscure et à la fois éperdu d'amour15. Cette éducation religieuse et la formation hellénisante qu'il reçoit, obligent par la suite Grégoire à se défendre d'accusations d'hérésie à Ani, la capitale bagratide16 : on le taxe de « chalcédonisme », comme son père, excommunié pour cette raison par le Catholicos Ananias Ier de Moks17.
Grégoire a deux frères aînés4, dont l'un, Jean ou Hovhannès, un moine copiste, l'aide à parachever son œuvre. Godel tente une piste biographique : « En épousant l'Église, peut-être comblèrent-ils le vide créé par la mort de leur mère — par l'absence de la Femme »18. Cette absence de la mère se retrouve dans sa Prière à la Sainte Vierge qu'il loue en ces termes : « Toi la seule bénie par les lèvres chastes des bouches bienheureuses, une seule goutte du lait de ta virginité, pleuvant en moi, me donnerait la vie… »19. Vahé Godel poursuit son analyse : « Mais dans l'expérience conjugale de Grégoire l'Éveillé, de Narek le Veilleur, l'amour de Dieu — la folie de croire — allait devenir inséparable de la passion poétique du Verbe — de la folie d'écrire18. » La vie de l'autre frère, Sahak, est largement inconnue5.
Grégoire passe sa vie au monastère de NarekNote 2. Il y devient prêtre en 977, puis vardapet et enseignant5. Il vit à l'une des rares périodes relativement paisiblesNote 3 de l'histoire de l'ArménieNote 4. Il meurt à Narek en 1003 4 ou aux environs de l'an 1010 17. Un mausolée lui est consacré à Narek, mais il est détruit lors du génocide arménien 20.
Culte
Saint-Grégoire-de-Narek, Vanadzor, Arménie.
Grégoire de Narek est ultérieurement canonisé par l'Église arménienne21 ; il est fêté avec les saints traducteurs (Mesrop, Sahak, Yéghichê, Moïse de Khorène, Davit Anhaght et Nersès Chnorhali) le deuxième samedi d'octobre22. L'Église catholique l'a également proclamé saint (fête le , description au Martyrologe romain : « Au monastère de Narets en Arménie, vers 1005, saint Grégoire, moine, docteur des Arméniens, illustre par sa doctrine, ses écrits et sa connaissance mystique »8).
Le , conformément à son annonce du , le pape François le proclame officiellement docteur de l’Église lors d’une messe célébrée en la basilique Saint-Pierre à l'occasion du centième anniversaire du génocide arménien. Saint Grégoire devient ainsi le 36e docteur de l'Église et le second à provenir d’une Église orientale après Éphrem le Syrien, élevé au doctorat en 1920 par le pape Benoît XV23,24.
Œuvres
Monument « Narek », inauguré en 2010, Erevan25.
Selon Serge Venturini, ses œuvres recèlent un profond savoir doublé d'un grand pouvoir créateur ; il a ainsi ouvert les portes à la poésie arménienne et il est celui qui représente, à lui tout seul, la « Renaissance arménienne ». Situé entre Moïse de Khorène (viiie siècleNote 5) et Nersès le Gracieux (1102-1173), son influence s'étend depuis à toutes les époquesNote 6. « Je suis un livre vivant où sont accumulés, dedans comme dehors, lamentations, cris, gémissements, comme le livre dont Ézéchiel eut la vision… »26.
Le Mémorial sur la composition de son livre, écrit en l'an 451 de l'ère arménienne (en l'an 1002 du calendrier grégorien)27, fournit plusieurs repères chronologiques : « c'est donc trois ans plus tard, après l'écrasement total des ennemis de notre Église, que j'entrepris de composer ce livre, à la faveur d'une paix provisoire… » Il ajoute à propos de son œuvre maîtresse de cinq cents pages, le Livre des Lamentations (Մատեան ողբերգութեան (Matean Ołbergout‘ean)) : « Je l'ai fondé, construit, meublé, poli, ornementé, conclu, parachevé ; en une œuvre bellement homogène, j'ai rassemblé tous mes écrits, moi, Grégoire, moine cloîtré, poète dérisoire, savant de peu de poids, avec l'appui de mon saint frère Jean, moine lui-même du très honorable et très glorieux monastère de Narek… »28.
Krikor Beledian décrit ainsi cette œuvre : « [c]e long dialogue composé de quatre-vingt-quinze chapitres en prose rythmée ou en vers libres est une somme poético-théologique pendant longtemps vénérée par la piété populaire comme une œuvre sacrée29. » Vahé Godel pointe ce qu'il ressort d'une lecture en grabar (en arménien ancien) : « Sans doute, ce qui frappe d'abord dans le Livre des Prières, ce qui d'emblée subjugue l'œil et l'oreille, ce sont les éruptions, les déferlements, les ressassements, les convulsions, les supplications »30.
Outre le Livre des Lamentations, Grégoire de Narek a laissé un Commentaire sur le chant des chants de Salomon (977)5, une Histoire de la croix d'Aparan, un traité contre les Thondrakiens, ainsi que plusieurs chants, prières et tagher (équivalent arménien du lai)31.
De récentes recherches en arménologie tendent à montrer que Narek aurait eu connaissance des œuvres de l'Antiquité et de la période hellénistique déjà traduites en arménien classique.
Style
Grégoire de Narek, Livre des Lamentations, monastère de Skevra1, 1173, folio 117b (Ms. 1568, Matenadaran, Erevan)2,3 ; l'inscription dit « Saint Grégoire l'Ermite »1.
Jean Mécérian, parlant du style de Grégoire de Narek qui de prime abord est d'intelligence difficile, précise : « En périodes tumultueuses, dans un langage rythmé et même souvent rimé, avec des allitérations et des néologismes qui abondent dans le texte original arménien, les mêmes pensées, les mêmes sentiments se répètent sous des formes nouvelles ; ou plutôt, ils dévalent devant nous, comme un torrent, en images, en tableaux d'un saisissant réalisme »32. « Tel un homme violemment bouleversé par une interminable et torturante agitation dans la mer aux vagues périlleuses tourmentées par le vent, et qui serait entraîné et roulé en un torrent sauvage, remuant çà et là les doigts des mains dans le courant impétueux grossi par les pluies du printemps, emporté malgré lui en une lamentable dégringolade, avalant l'eau trouble étrangleuse, poussé en des douleurs mortelles dans la vase fétide, moussue et embroussaillée, où il se noierait écrasé sous les flots : Tel moi, misérable, on me parle et je ne comprends plus ; on me crie, et je n'entends plus ; on m'appelle, et je ne me réveille plus ; on sonne, et je ne reviens plus à moi-même ; je suis blessé, et je ne me sens plus »33. Archag Tchobanian dans son ode à la langue arménienne écrivit de Constantinople, le : « Un jour, un orage t'ébranla, et tes eaux écumantes, tourbillonnantes, rugissantes, ténébreuses et déchirées d'éclairs, élevèrent un étrange chant, frénétique et harmonieux, noblement âpre et suavement terrible, un chant qu'on eût dit entonné par la trompette d'un archange saisi d'épouvante et de pitié au-dessus des horreurs de l'enfer béant. C'était l'âme du moine de Narek qui passait sur toi »34.
Isaac Kéchichian, dans son introduction aux Prières ou Élégies sacrées de Narek remarque : « Au point de vue littéraire, la grammaire, la rhétorique, la prosodie, la variété et la majesté du style, l'éloquence n'ont pas de secret pour lui ; une imagination puissante, un esprit curieux, une sensibilité délicate font de lui un grand écrivain, un grand poète — justement appelé “le Pindare de l'Arménie” — et un orateur de classe »35. Son style est construit sur le rythme du martèlement, même si souvent il critique et passe au crible son art d'écrire. Il doute : « À quoi bon ces syllabes, ces rythmes dérisoires, ces minables combinaisons de vocables morbides ? » (5/IV) ou « Pourquoi donc, sous tes Yeux, m'obstinerais-je à fabriquer de longs poèmes alambiqués, insaisissables, truffés de métaphores, de symboles ? »36. Il prend peur : « Nul être, nulle créature, rien ne peut recueillir le fuyard que je suis : ni les crevasses, ni les gouffres sans fond, ni les plus hautes cimes, (…) ni les cris, ni les râles, ni les déluges de larmes, ni les doigts qui remuent, ni les bras qui se tordent, ni les bouches qui prient… »37. Sa penséeNote 7 est fondée sur l'utilisation complexe de comparaisons, de métaphores et d'allégories : « Pour dire ma démarche obscure et tortueuse, j'userai comme il convient de la forme visible des allégories… » ; et, dans la prière suivante, « Une fois encore je m'en vais avoir recours aux métaphores pour accabler, pour humilier mon âme condamnée… dans ce seul but je vais multiplier les comparaisons synonymes… »38.
Ce style incantatoire utilise la synonymie jusqu'à l'ostinato. L'un des traducteurs, Luc-André Marcel, note : « Sa manœuvre serait d'atteindre à un total chromatique du langage. Il veut combler ce vide immense qui réside entre un mot et tel autre. De là, cet art de la synonymie, entre autres, dont il use inlassablement avec une outrance sans égale, même en Orient, à seule fin de souder les pouvoirs des termes, de les totaliser jusqu'à ce qu'un événement se produise »39. Ce style est réputé posséder des vertus médicinales et roboratives : « Tout vieil Arménien vous contera les miracles du Livre, et que lui-même, tel jour, en telles circonstances frappé de tel mal, il fut guéri… Et certes, il le fut soit par auto-suggestion, soit que ce livre ait un réel pouvoir magique… le verbe seul fortifie-t-il la confiance et la volonté du malade »40. « Répétitions interminables, énumérations obsédantes, martèlements impitoyables, parole lapidante, flagellation verbale » pointe Vahé Godel, avant d'ajouter : « On songe à Job, bien sûr, à Jérémie… mais aussi à Artaud, à Michaux, à Beckett… à tous les grands exorcistes de ce siècle »41. Grégoire de Narek décrit ainsi la construction de son œuvre : « le rythme et le nombre auxquels j'ai recouru dans le poème précédent n'avaient d'autre fin que d'aviver la douleur, la plainte, les soupirs, l'amère litanie des larmes… je m'en vais donc reprendre ici la même forme, dans chaque phrase, comme anaphore et comme épistropheNote 8, et faire en sorte que le ressassement figure avec fidélité l'esprit, le pouvoir vivifiant de la prière… » (27/I).