Nous allons bientôt assister aux cérémonies du centième anniversaire du Traité de Lausanne qui se déroula dans les salons du Château d’Ouchy, de l’hôtel Beau-Rivage et qui fut signé le 24 juillet 1923 dans le Palais de Rumine en présence d’Ismet Pacha et de, entre autres , Venizélos, Poincarré, Lord Curzon et Mussolini méprisant à l’égard des Turcs par sympathie à l’égard des arméniens.
Les Arméniens et les Assyro-Chaldéens ont aussi envoyé des représentants, mais ils n’auront jamais voix au chapitre. Etaient également présents quelques philanthropes préoccupés par le sort des chrétiens d’Orient, ainsi que de nombreux journalistes dont un certain Ernest Hemingway. Notons qu’Ismet Inönü, le négociateur en chef de la délégation turque, dissuada les kurdes d’envoyer une délégation en leur promettant un « territoire autonome Kurde » et il fit en sorte que la question kurde passe à la trappe. A noter également que la Fédération révolutionnaire arménienne tenta sans succès d’assassiner, Ismet Pacha en mai 1923.
Les alliés furent soucieux de préserver leurs intérêts : Clauses financières – le vilayet de Mossoul riche en pétrole pour les Britanniques – le sandjak d’Alexandrette pour la France – la Tripolitaine, la Cyrénaïque et le Dodécanèse pour l’Italie.
Il n’existe aucun article dans le texte du traité de Lausanne que j’ai lu en long et en large stipulant qu’il sera périmé en 2023 . Cette légende d’une péremption en 2023 n’existe que dans l’esprit des nationalistes turcs, et d’Erdogan qui veulent remettre en cause le traité pour récupérer des îles en mer Égée. Aucun article non plus sur la frontière de la Turquie avec l’Arménie, rien sur l’Arménie occidentale et le Kurdistan occidental, sinon en annexe une carte de la nouvelle république turque. C’est la raison pour laquelle la Turquie presse aujourd’hui l’Arménie pour obtenir un document légalisant la frontière de facto entre les deux pays, par un traité de paix entre les deux pays.
Le 24 juillet 1923 Lausanne était en liesse, une foule bigarrée se pressait devant le Palais de Rumine où devait se dérouler la cérémonie de signature du traité qui « instaurait la paix au Proche-Orient ». Les cloches de la Cathédrale de Lausanne et de toutes les églises carillonnèrent à tour de rôle. Le soir, les édifices publics furent illuminés comme aux grands jours de fête et le mot « PAX » se lisait en gros caractères au-dessus du Palace, pour annoncer au monde la signature d’un traité entre la République turque et les vainqueurs de la Grande Guerre, au détriment des Arméniens et des Kurdes, les deux peuples sacrifiés.
Dans le même état d’esprit, pour le centenaire du traité en juillet 2023, la Fédération des Associations de Suisse Romande entend mettre sur pied une série d’événements pour mettre en avant « le message de paix » qui émerge de ce traité et honorer la Ville de Lausanne et la Suisse. Le centième anniversaire sera également célébré en grande pompe par le Turquie, l’organisation suisse de l’Association Européenne des Anciens de Galatasaray s’active déjà pour cet événement. Pour les kurdes et leurs sympathisants, cette année du centenaire a démarré le 18 mars avec le « Newroz », le Nouvel An kurde, et se poursuivra jusqu’en juillet, certains événements (concerts, tables rondes et
expositions) en collaboration avec la Ville de Lausanne. « Pour les 100 ans du Traité, nous voulons voir 100.000 Kurdes marcher à Lausanne », a annoncé Sevgi Koyuncu, membre du comité d’organisation et conseillère communale à Lausanne. Les organisateurs auxquels se sont associés des politiciens romands ( conseillers et députés) entendent « dénoncer vigoureusement » un accord qui a laissé le peuple kurde sans Etat, qui constitue « une grave erreur » que les autorités suisses se doivent de « corriger », et qui constitue « une trahison de la communauté internationale » vis-à-vis des Kurdes, à laquelle « le nom de Lausanne ne doit plus être associé ».
Je me pose la question, les Arméniens doivent-ils également marquer ce centenaire, au risque en s’abstenant de trahir la Cause par un renoncement aux droits imprescriptibles des arméniens issus d’Arménie Occidentale et aux réparations du Génocide ? Certes ce papier, n’est en aucun cas juridiquement opposable aux arméniens, qui furent exclus comme les Kurdes de la conférence, d’autant qu’il constitue, ni plus ni moins, un deal entre larrons pour se partager un
butin. Il est loin le temps où l’on marqua par le Congrès Mondial Arménien sous la Présidence du pasteur Karnusian, le 60e anniversaire du traité de Lausanne dans l’Hôtel Beau Rivage, pour signifier au monde la renaissance de l’Arménie, avec entre autres sept journalistes turcs très actifs en ces temps où les attentats faisaient la une des journaux. Il est loin le temps où ce même Congrès Mondial Arménien rassemblait près d’une centaine de militants à
Sèvres avant qu’ils soient accueillis par Monsieur Santini le maire d’Issy les Moulineaux ! Lors du centième anniversaire du Traité de Sèvres nous n’étions tout au plus qu’une vingtaine de militants à la Manufacture de Sèvres, et j’eus le plaisir de constater qu’un groupe de kurdes commémorait comme nous ce centième anniversaire. Je les ai d’ailleurs invité à nous rejoindre pour une photo devant le Khatchkar, sous l’œil d’un agent des RG ou du MIT qui nous surveillait ostensiblement, par des allées et venues, dans le parc au-dessus de nous. Doit-on ignorer ce « traité » qui ressemble fort à un « contrat de mafieux », ou doit-on comme les Kurdes manifester nos revendications.
La balle est dans le camp du CCAF.
Sam Tilbian