La Russie en Ukraine
La guerre en Ukraine a de telles conséquences sur l'Arménie qu'il semble indispensable de faire un bilan alors que la Russie semble préparer une nouvelle invasion de l'Ukraine.
À ce propos, la réussite d'une telle intervention massive semble plus que douteuse. En ce sens qu'il est difficile de concevoir que ce qui n'a pas réussi avec 150 000 hommes sur une Ukraine mal préparée pourra difficilement réussir avec 300 000 voire 500 000 hommes sur une Ukraine partout barricadée et expérimentée.
Jusque là les Russes ont échoué à prendre et occuper de large pans de territoires. Ils ont échoué à prendre et à garder ne serait-ce qu'une seule ville. Ils ont aussi échoué à franchir le Dniepr. A présent toute l'Ukraine est armée. L'Ukraine sait comment stopper les Russes et les frontières sont surprotégées. A ce titre, il est remarquable de constater qu'en 12 mois de conflit, la Russie n'a pas encore réussi à enfoncer la ligne de défense du Dombass. Elle a été contournée et face à Donetsk, cela fait 12 mois que la ligne de défense tient.
L'Europe et l'OTAN auraient sûrement pu militairement parlant vaincre la Russie, c'est-à-dire sans les sanctions économiques. Les sanctions sauvent la Russie qui se bat au 21ème siècle comme en 1940. Sur la durée cela aura son effet. Mais l'occident n'a pas le temps! Et c'est tout là le problème de l'Europe qui aurait dû unir ses forces pour vaincre militairement la Russie alors qu'elle a jeté la quasi totalité de ses forces sur l'économie, le secteur le plus résilient de la Russie, après le patriotisme et le jusqu'au-boutisme nationaliste.
Après 12 mois de conflit, l'économie russe montre sa formidable résilience économique alors que celle de l'Europe et des États-Unis montre des signes graves d'essoufflement. Poutine n'enverra pas de chars en Europe mais des masses de gens sans emploi et étranglés par l'inflation et les pénuries. L'Europe n'a aucune résilience morale pour affronter dans le calme une perturbation profonde de son économie. L'économie européenne n'est pas à genou, sa population est capricieuse. La Russie n'a pas coupé le gaz brutalement, elle a donné une chance à l'Europe de se réorganiser mais sa population est égoïste et n'accepte aucune diminution, aucune privation au nom de la collectivité. C'est une société individualiste.
L'économie russe devait s'effondrer de 8.5% en 2022, elle n'a chuté que de 2.2%. Soit quasiment rien pour des Russes habitués aux privations. En 2023, le FMI prévoit une croissance de 0.3% puis 2.1% en 2024 contre 1.6% et 1% prévus respectivement en Europe et aux États-Unis.
Les économistes prévoyaient un effondrement du rouble. On a assisté à un effondrement de l'euro et à un renchérissement du rouble.
Les politiques ont décidé que la Russie avaient plus besoin de pétrole et de gaz que l'Europe. Le résultat montre que ce fut l'inverse et que loin de diminuer, les recettes russes à l'exportation ont continué d'augmenter ! Le monde a besoin de l'énergie russe qu'elle qu'en soit son prix. L'Europe ne peut s'en passer et finalement est forcée de s'en passer et donc de s'effondrer économiquement. La Chine et l'Inde achètent moins cher, revendent à l'Europe et gagnent des parts de marché dans tous les secteurs: fermetures massives en Europe, croissance en Asie et aux États-Unis.
Les occidentaux ont voulu bloquer les importations russes en reprenant les recettes des années 1980 contre l'URSS. La mondialisation et les intérêts particuliers des autres nations et acteurs ont permis à la Russie de maintenir ses approvisionnements. Comme l'Europe avec l'énergie. Mais la Russie peut développer des alternatives locales lorsque l'Europe ne peut pas créer du pétrole et du gaz.
La Turquie, membre de l'OTAN, et l'Estonie, à la pointe de la lutte contre la Russie et du soutien militaire à l'Ukraine, apparaissent comme deux pays à la pointe pour aider la Russie à contourner les sanctions.
L'Europe se complait à dénoncer la solitude de la Russie. Les États-Unis ne sont pas moins seuls au sein de l'OTAN. La Turquie fait cavalier seul. Comme la Chine qui menace à chaque instant d'attaquer Taïwan et donc les États-Unis. La France n'a plus d'armes ni de munitions à fournir à l'Ukraine. Le Royaume-Uni est à la peine. Tous les espoirs sont portés sur l'Allemagne qui passe ses commandes aux… États-Unis !
Sur la durée, la victoire russe est inévitable. D'où la volonté des États-Unis d'ouvrir un deuxième front en Iran-Caucase. C'est là que se trouve probablement la volonté de la Russie d'accélérer le pas en Ukraine, au risque de tomber dans le piège de la précipitation…
Nous vivons une guerre mondiale par proxies interposés. Cette guerre mondiale n'en a pas encore le nom et n'en aura peut-être être jamais. Mais elle en aura toutes les conséquences, la couleur et l'odeur.
Armen Rakedjian
photo : D.R.