Les débats controversés sur la mort des 15 soldats dans l'incendie de leur logement n'en fini pas de déstabiliser la majorité au pouvoir.
De façon exceptionnelle nous avons pu être témoins d'un abus de pouvoir anti constitutionnel.
À l'occasion d'un Conseil des ministres public, le Premier ministre s'est senti forcé de demander au Procureur général de la République de détailler les éléments de l'enquête en cours sur l'incendie du 19 janvier. Ceci afin de faire taire les oppositions à la version officielle.
Le lecteur s'étonnera sur la publication des détails d'une enquête en cours. Cela est un premier point.
La conséquence de cela c'est la justification publique de la version officielle qui entraîne de facto une condamnation publique de personnes qui n'ont au jour d'aujourd'hui que le statut de témoins.
Ces révélations renforcent encore le malaise concernant le limogeage préventif de plusieurs officiers et commandants de la deuxième armée que l'enquête ne permet en rien d'accuser à ce jour.
En soi, ces limogeages massifs (dont le commandant de la deuxième armée) posent la question naturelle de la responsabilité du ministre de la défense. A moins que ces limogeages n'aient justement eu pour objectif de faire sauter les fusibles pour protéger le ministre de la Défense et le Premier ministre de la colère populaire: "voyez, cher populasse, nous condamnons les coupables".
Mais en fait, cette petite intervention du Procureur général de la République en Conseil des ministres est une infraction gravissime à l'ordre constitutionnel !
Le Procureur général de la République est un officiel indépendant non affilié au gouvernement et au Premier ministre. Il est élu par l'Assemblée nationale et géré ses enquêtes indépendamment du gouvernement qu'il n'a pas le droit d'informer sur les enquêtes en cours.
Imaginons demain, voire même aujourd'hui que cette enquête ou une autre implique le Premier ministre ou le ministre de la justice. Comment peut-on imaginer le Procureur de la République informer les accusés de l'avancée de son enquête ?
La pression populaire contre la version officielle est telle que cet état de fait qui gangrène le pouvoir en Arménie depuis 30 ans est apparu au grand jour.
De manière moins évidente mais tout aussi effective, la justice aussi fonctionne sur commande et permet au pouvoir politique de contrôler les contre-pouvoirs.
La police de manière plus directe encore réalise des commandes politiques. Et cela est valable dans tous les domaines, y compris les sociétés privées qui ont une mission de service publique. Les capitaux sont privés mais leurs actions sont politisées dès que nécessaire.
Tout ceci expliquant cela, on comprend mieux comment des enquêtes n'aboutissent tout simplement jamais ou ne permettent tout au moins à condamner les vrais coupables.
Cette intervention innocente permet de jeter tout naturellement le doute sur tout le système politique et administratif.
Il n'y a pas d'élections libres en Arménie car le parti élu vampirise tous les leviers. En cela la révolution de Pashinyan n'a en rien modifié les us et coutumes de l'Arménie.
En 2018, il n'y a pas eu de révolution. J'ai été l'un des rares à le dénoncer dès le premier jour. Nous avons été les témoins et acteurs d'un changement autoritaire du pouvoir d'un totalitarisme vers une autre forme de totalitarisme qui, dans la forme n'a modifié en rien les fondamentaux des rouages politiques.
On est juste passé d'un pouvoir nationaliste à un pouvoir totalement inféodé à l'ennemi turc.
Armen Rakedjian