La scène s’ouvre sur des personnages allongés dans un « puits » lumineux, que les spectateurs voient de haut. L’ambiance est chaleureuse, un « monde blanc », dans lequel les corps au repos ne sont troublés que par Le bruit d’un frottement sur le sol, tel un insecte, qui les tire de leur léthargie pour leur imprimer des contractions. Puis des graviers noirs tombent du ciel, comme une pluie nauséabonde, et l’ambiance devient sombre : l’enfermement des danseurs dans cet espace en contrebas se fait sensible et oppressant, l’environnement musical inquiétant, l’invasion du noir gagne ces corps, sous le regard surplombant du spectateur qui les rend petits, vulnérables.
Et c’est alors que munis de leurs corps et de pelles, les danseurs se mettent à dessiner des formes blanches sur ce fond noir… et la scène devient un tableau capable, l’espace éphémère d’un instant, de garder la trace des corps : rotations, glissés… chaque qualité de mouvement sur le sol laisse une marque spécifique. Se dessinent des œuvres d’art, capables de transformer en beau ce qui pourrait être le destin tragique des protagonistes : être submergés sous cette pluie noire et solide.
« Les priorités dans cette pièce sont essentiellement graphiques, néanmoins une trame dramaturgique vient s’y superposer, discrètement, et dicter une progression, tant sur le visuel que sur le travail gestuel. » affirme Philippe Saire à propos de black-out. Est-ce cette tragédie essentielle qui est un prétexte à la création plastique ou l’inverse ? Nous voulons penser que les deux sont éminemment imbriqués : la beauté des tableaux présentés contribue à la force dramatique qui tient en haleine le spectateur durant le spectacle, et l’histoire tragique, réduite à son strict minimum, subjugue ces créations plastiques éphémères ainsi que la beauté de la gestuelle des danseurs, tout en suspension, en leur donnant une signification plus profonde et plus intense.
La chorégraphie de Philippe Saire joue sur la lisière entre le mouvement et l’immobilité, entre l’aveuglement et la lumière. Que voit-on bouger dans ce coin sombre de la scène ? Est-ce la forme d’un corps qui se dessine, comme dans un linceul, sous cet amas de gravier ? Les danseurs, devenant progressivement des ombres, finissent par se fondre dans l’atmosphère sombre, et nous ne percevons plus alors que l’essence de leurs mouvements, parfois à peine perceptibles, mais rendus intenses par cette subtilité même.
Et tout se finit sous le firmament.
Chorégraphie de Philippe Saire au Théâtre de Chaillot
Photos de Philippe Weissbrodt
Mélanie Mesager