Le geste et l’histoire. Entretien avec le chorégraphe Nasser Martin-Gousset sur sa création « Le Visiteur »

Du 16 au 18 octobre, Nasser Martin-Gousset présente au Centre National de la Danse sa dernière création Le Visiteur , qui avait déjà étonné, ravi, dérouté les spectateurs l’an dernier à la ferme du buisson. En constante évolution, la pièce, enrichie et approfondie, est présentée au CND dans une version inédite.

Cette chorégraphie pour deux interprètes montre l’isolement du personnage principal, et l’intrusion, fantasmée ou non, d’un second protagoniste. Puis un flash-back nous entraine dans l’intimité d’une relation amoureuse qui tourne au tragique. En partie autobiographique, cette création puise son inspiration dans le cinéma de Richard Loncraine, Roman Polanski, Joseph L. Mankiewicz, John Carpenter et Elia Kazan*.

Nous avons rencontré le chorégraphe qui nous livre quelques réflexions sur son travail.

Nasser Martin-Gousset conçoit la chorégraphie comme une attention portée aussi bien au geste qu’à la situation : « Quel est l’univers dans lequel on va poser nos bagages ? Un décor, un choix d’esthétique, le parcours des personnages, un choix musical… autant d’éléments qui donnent à la création un cadre. Ensuite on peut faire travailler les intériorités et trouver du corps. »

La création du Visiteur a commencé dans un théâtre de campagne, où Nasser a installé le mobilier d’une chambre, « dans le vide ».

« J’étais tout seul au départ. J’ai travaillé sur l’isolement, sur la fatigue … cette neurasthénie qu’on peut avoir chez soi et la façon dont on ressent le monde quand on est isolé. Cette première phase, que l’on retrouve dans le premier acte de la pièce, est entièrement gestuelle. Puis le ‘visiteur’ est arrivé. Et là on a plutôt travaillé sur la relation. On a tout essayé. L’intrusion, la séduction, le rapport de force, et également les discussions, même si tout l’aspect verbal, support de la création, a ensuite été gommé au profit des gestes. » Le second acte est donc le fruit d’un solide travail d’improvisation, que Nasser distingue pourtant du travail théâtral : « je suis surtout très intéressé par l’idée de structure, plutôt que par la dramaturgie. Je construis à partir d’éléments qui peuvent être assez hétérogènes. Ce qui m’intéresse c’est la façon dont ils s’enchaînent. »

Or, la structure du Visiteur est celle de la boucle : souvenir, flash-back, réminiscence ? Le personnage qu’incarne Nasser semble revivre une scène du passé, et la pièce se termine comme elle a commencé, laissant le spectateur dérouté dans une temporalité énigmatique. « Au départ on devait aller très loin là-dedans. Ça devait être vraiment obsessionnel. On devait répéter plusieurs fois la même scène. Indéfiniment. Avec chaque fois un détail ou un angle différent ». Simplifiée, l’idée de départ reste inscrite en filigrane, de façon subtile, dans la pièce. 

Parti d’une idée de « thriller à l’américaine avec plein de caméras partout »,  Le Visiteur s’est éloigné du  film fantastique, « peut-être même d’horreur », qu’imaginait Nasser au départ. Il est devenu au fil du travail avec  Maxime Mikolajczak, « plus relationnel, de plus charnel ». Mais les différentes strates de sa composition restent sensibles, donnant à la pièce sa profondeur et la multiplicité des lectures que revendique le chorégraphe, ainsi qu’un certain humour qui jalonne la pièce : « Il y a toujours un humour sous-jacent qui accompagne la petite musique tragique de la chorégraphie. J’ai une façon de traverser la noirceur de chaque situation avec un certain flegme ou une certaine distance qui crée une forme d’humour. » Humour parfois noir mais jamais cynique, ni parodique, sauf à considérer que « forcément, quand on s’accapare des références, il y a un décalage qui se crée, qui peut sembler parodique. » 

Les références, dans les chorégraphies de Nasser, viennent plutôt de « coups de foudre pour certains films ou certaines scènes de films », que le chorégraphe a le  « fantasme de montrer autrement ». Le Visiteur, entre autres multiples influences, s’inspire du  Cercle infernal  de Richard Loncraine, avec Mia Farrow : « C’est un film que j’ai vu très jeune. Je me suis toujours dit qu’un jour je ferais quelque chose avec. Et ça a donné Le Visiteur , dans lequel on retrouve des éléments du film comme le fantôme, la paranoïa, l’isolement… et la musique qu’on entend dans le spectacle. »