Swan Lake de Dada Masilo
Un métissage virtuose
Le théâtre du Rond-Point présente, jusqu’au 6 octobre, le ballet Swan Lake de Dada Masilo, version sud-africaine du ballet romantique Le Lac des Cygne. La jeune chorégraphe, formée à la Dance Factory de Johannesburg puis à l’école PARTS de Bruxelles, avait déjà revisité les mythes d’Ophélie, Carmen et Roméo et Juliette. Sa dernière création, applaudie à la biennale de Lyon, au musée Branly, et maintenant au Rond-Point, s’inscrit dans la légende des célèbres ballets qu’a inspirés la partition musicale fascinante de Tchaïkovsky.
Tutus blancs, plumes… Dada Masilo joue avec les codes les plus visibles du ballet romantique dans la tradition de Petipa. L’argument est simplifié : Odette devient l’épouse choisie par la famille, et le cygne noir, devenu homme, évoque le désir obscur ; l’allusion, dans la lignée de l’adaptation de Matthew Bourne, à l’homosexualité de Tchaïkovski, se double d’une dénonciation de l’homophobie en Afrique du Sud.
Mais ce n’est ni dans la reprise du propos ni dans le développement du mythe, que la chorégraphe innove. Peu importe qu’il s’agisse du Lac des Cygnes. Comme l’annonce d’emblée le prologue, prononcé sur scène, tous les ballets se résumeraient au même stéréotype, l’histoire n’étant que le prétexte à des démonstrations de virtuosité technique. Et c’est dans ce domaine que ce Lac nous ravit, mêlant la danse classique la plus épurée aux danses sud-africaines les plus endiablées, avec une précision et un lié étonnants, pour créer une syntaxe nouvelle. Les ports de bras romantiques se prolongent par des ronds de têtes. Les relevés sur demi-pointes répondent aux tours sur le talon. Des passages au sol, empruntés à la danse contemporaine, achèvent de complexifier le jeu des appuis. L’ensemble forme un tissage qui n’a rien d’un patchwork : la dynamique classique, tout en apesanteur, alterne avec l’ancrage au sol caractéristique des danses noires, appuyé par la sonorisation des frappes.
Car dans cette pièce, on entend les danseurs. D’abord, les percussions zouloues des mains sur les cuisses ou des pieds sur sol qui viennent rythmer la partition musicale. Le souffle ensuite, parfois mis en valeur par des moments de silence savamment ménagés. Puis les cris et les rires, les youyous méditerranéens qui semblent naître du cœur des mouvements. Et enfin la parole, adressée directement au public, qui théâtralise l’ensemble et permet le recul humoristique.
Au final, c’est peut-être le lac des Cygnes que l’on regrette dans ce Swan Lake : les références au ballet mythique et la symbolique d’ensemble restent très caricaturales. Elles briment le subtil métissage gestuel qui s’opère dans la danse et s’inscrit dans une réflexion riche et actuelle, celle de Chantal Loïal par exemple, sur le langage des danses africaines et antillaises, leurs rencontres historiques avec les danses européennes, et leur influence dans la création chorégraphique contemporaine. C’est sur ce terrain qu’on voudrait retrouver et voir évoluer les chorégraphies de Dada Masilo.
Mélanie Mesager m.mesager@gmail.com