La voie de Hrant Dink
HRANT DINK – 15 ans déjà!
Témoignage du Pasteur René Léonian
En ce jour du 19 janvier 2022, je ne pouvais pas être ailleurs qu’à Istanbul, afin d’honorer la mémoire de Hrant Dink.
Il y a 15 ans, lors des obsèques de Hrant, j’avais participé à cette cérémonie émouvante et éprouvante. J’étais alors en poste en Arménie et, je représentais pour la circonstance, le Conseil Mondial Évangélique Arménien. Plus de 100 000 personnes étaient présentes, sans compter les millions de turcs qui suivaient en direct cet événement à la télévision. Je n’oublierai pas les inscriptions sur des pancartes indiquant: « Nous sommes tous des Hrant » et « Nous sommes tous des Arméniens ».
Le cortège avançait avec une foule immense, sous les applaudissements constants des citoyens turcs penchés à leurs fenêtres. Ce jour-là, toute la population de Turquie (turcs, alévis, kurdes, arméniens, grecs, juifs…) s’était identifiée à Hrant et aux Arméniens.
Perdu dans cette foule, je n’en croyais pas mes yeux! Au cimetière, notre pasteur arménien d’Istanbul et moi-même avions apporté notre message de compassion à la famille et aux participants réunis devant cette tombe. Quelle épreuve!
J’avais connu Hrant et son épouse Rakel durant l’été 1980 à Tuzla, au «Camp Armen» qui se situe en bord de mer, à 60 kms d’Istanbul. Ce camp appartenait à l’Église Évangélique Arménienne de Gedikpasa (Guédikpacha, ndlr) à Istanbul et, était dirigé par Hrant Guzelian.
Avec mon épouse Sylvie, nous avions passé plusieurs semaines dans ce camp pour aider à l’animation pédagogique et spirituelle. Hrant et Rakel Dink assistaient le directeur du camp avec une bonne équipe de volontaires. Ils étaient, tous les deux, issus de cette église évangélique arménienne d’Istanbul.
Il y a quelques jours, je suis allé à Tuzla pour me rendre compte de la situation actuelle. Il faut savoir, qu’à la fin des années 1980, les autorités turques on confisqué illégalement ce camp de vacances. Quelle n’a pas été mon émotion de retrouver ces lieux « magiques » qui avaient permis à près de 2000 enfants de se divertir, dans une ambiance arménienne et chrétienne dans le but de maintenir leur identité!
Ces dernières années, suite à un grand mouvement de protestation, le camp est redevenu la propriété de l’église. Même si les bâtiments ont été détruits, un nouveau projet est en cours de préparation pour accueillir, à l’avenir, des enfants et des jeunes.
Quant à Hrant Dink, il est devenu par la suite une figure charismatique et son impact et son influence ont traversé toutes les frontières. En effet, d’une certaine manière, Hrant Dink n’appartient plus seulement au noyau familial ou communautaire. Il est devenu un symbole pour l’humanité. Durant sa vie, Hrant Dink a participé à de nombreuses actions pour redonner de la dignité, non seulement aux arméniens de Turquie, mais à toutes les composantes du pays. Il désirait une Turquie où tous les peuples avaient leur place sans complexe et où les individus pouvaient s’exprimer sans crainte.
Aujourd’hui, mercredi 19 janvier 2022, nous étions présents à Istanbul pour manifester notre attachement à Hrant Dink. Nous nous sommes retrouvés d’abord au cimetière arménien du quartier de Balekji (Balekdje,ndlr) avec la famille et les proches: Prières, recueillement et paroles de réconfort.
Ensuite, nous étions des milliers devant l’ancien siège du Journal « Agos » que Hrant avait créé et dont il était le rédacteur en chef. Le rassemblement était serein et digne, entrecoupé de slogans repris par la foule attentive qui réclamait tout haut la justice pour Hrant.
Le discours principal a été prononcé par Rakel Dink. Très émue, Rakel a rappelé le manque créé par l’absence de Hrant. Elle a insisté sur le besoin de vérité et de justice.
Profonde croyante, Rakel a aussi cité plusieurs passages de la Bible dont le texte de l’épître aux Éphésiens, chapitre 5, verset 11: « Ne prenez point part aux œuvres infructueuses des ténèbres, mais plutôt condamnez-les ». Rakel nous a ainsi encouragés à dénoncer les injustices et à marcher sur un chemin d’espérance.
Hrant Dink avait l’habitude de dire à ses interlocuteurs turcs: parle-moi, raconte-moi tes souffrances et ce qu’il y a dans ton cœur; et moi, je t’ouvrirai mon cœur et je te raconterai mes souffrances.
Hrant, comme de nombreux intellectuels de tous bords en Turquie, rêvait d’une Turquie juste, démocratique et égalitaire. Il défendait à sa manière la cause arménienne. Il avait réussi à gagner la sympathie de millions de citoyens de Turquie. Il voulait un vrai dialogue entre turcs et arméniens.
Et ce dialogue ne pouvait être basé que sur la vérité et la justice. Pour cela, le coupable doit reconnaître sa faute et avoir le courage de demander pardon. Le but étant, bien sûr, d’arriver un jour à une réconciliation solide et sincère.
À sa manière, Hrant Dink a ouvert la voie. Son influence, aujourd’hui, continue à être sensible dans tous les milieux.
Les autorités turques devraient faire preuve de courage pour éluder entièrement les vrais responsables de l’assassinat de Hrant Dink.
À la suite de Hrant Dink, que des hommes et des femmes de bonnes volontés, et compétents, se lèvent pour œuvrer pour un rapprochement entre les êtres humains, pour que cessent la haine, l’injustice et le mépris.
Pasteur René Léonian