OTC
L’Arménie aurait demandé la médiation de la Russie en vue d’une normalisation arméno-turque
Alors que l’annonce d’un sommet Aliev-Pachinian en marge d’un sommet européen à Bruxelles en décembre fait espérer une reprise des négociations entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, dont les armées se sont heurtées violemment pourtant le 16 novembre lors de combats dans les zones frontalières arméniennes auxquelles la médiation russe a une fois encore mis un terme, la question d’une normalisation des relations turco-arméniennes, qui avait été évoquée avec insistance en septembre tant à Erevan qu’à Ankaran, semble à nouveau à l’ordre du jour. L’Arménie aurait demandé à la Russie de servie de médiateur en vue d’une telle normalisation, une demande officielle puisqu’elle a été évoquée lundi 22 novembre par le ministère arménien des affaires étrangères. Vahan Hunanian a fait savoir au Service arménien de RFE/RL que plusieurs pays partenaires de l’Arménie, dont son alliée, la Russie, avaient exprimé leur disposition à arbitrer une normalisation turco-arménienne et que la parie arménienne avait demandé à Moscou d’offrir sa médiation dans ce processus. “Un certain nombre de partenaires internationaux, dont la Russie, ont affirmé qu’ils étaient prêts à soutenir le processus de règlement arméno-turc. Et nous avons informé la Russie que nous étions prêts à engager le processus de règlement arméno-turc sans préconditions. Quand et su un tel processus débutera, évidemment, nous fournirons des informations à ce propos”, a déclaré V.Hunanian. Rien de bien nouveau à ce stade, puisque la mise en œuvre de ce processus repose sur la nature des « préconditions » qu’a toujours posées la Turquie à une telle normalisation, à commencer par la reconnaissance par l’Arménie de l’intégrité territoriale de son allié, l’Azerbaïdjan, soit l’abandon du Karabagh arménien. En août dernier pourtant, les leaders de l’Arménie et de la Turquie avaient fait état de “signaux positifs” de part et d’autre de leur frontière commune. En septembre, le président turc Recep Tayyip Erdogan avait même révélé que par l’entremise du premier ministre de Géorgie, le premier ministre arménien Nikol Pachinian se serait proposé de le rencontrer. Mais le président turc avait précisé qu’une telle rencontre devait être précédée de “gestes clairs” d’Erevan, autrement dit “[l’ouverture] du corridor du Zangezour [au profit de l’Azerbaïdjan]”, cet axe dont Bakou et Ankara réclament depuis des mois qu’il soit aménagé au sud de l’Arménie en vue de relier l’Azerbaïdjan à son enclave du Nakhitchevan et au-delà à la Turquie. Peu après, Pachinian avait réaffirmé par la voix d’un porte-parole que l’Arménie ne saurait accepter que ce qu’il appelait ‘la logique du corridor’ préside à la réouverture des axes de transport dans la région. Mais il avait précisé que Erevan restait ouvert à des contacts avec Ankara. Selon le porte-parole du ministère arménien des affaires étrangères, aucune discussion directe n’a été établie depuis entre Erevan et Ankara. Dans une récente interview accordée au quotidien français Le Figaro, le ministre arménien des affaires étrangères Ararat Mirzoyan a indiqué qu’Ankara posait de nouvelles conditions en vue d’engager un dialogue avec Erevan, y compris la garantie relative à l’aménagement d’un corridor extraterritorial qui relierait l’ Azerbaïdjan à son enclave du Nakhitchevan. A.Mirzoyan rappelait à cette occasion qu’un tel corridor ne saurait être inscrit à l‘ordre du jour des discussions. “Les Etats doivent permettre le transit tout en préservant leur souveraineté sur leur territoire”, avait-il déclaré au quotidien français en ajoutant : “Tous les liens de transport dans la région doivent être réouverts ». Le porte-parole du ministère arménien Hunanian, commentant les propos d’A.Mirzoyan, a indiqué qu’ils étaient fondés “sur des déclarations publiques de la Turquie relatives à ce prétendu corridor du Zangezour”. “Ils [les Turcs] ont constamment soulevé cette question, au niveau du président et du ministre des affaires étrangères. Et nous disons qu’une telle chose ne peut se produire. Par ailleurs, comme je l’ai indiqué, il n’y a pas eu de négociations”, a martelé le diplomate arménien. De son côté, le ministère turc des affaires étrangères, sollicité par RFE/RL, ne s’est pas prononcé sur la question. L’orientaliste arménien David Hovhannisian, qui a un statut de diplomate en qualité d’ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire, estime que la Turquie tente de prendre avantage de l’affaiblissement de l’ Arménie, en cherchant à régler cette question d’importance stratégique qui assurerait une continuité territoriale turco-azérie. “Nous devrions discuter de tout, car peut-être ces conditions ne sont-elles pas posées de façon aussi rigide, ou peut-être y a-t-il des marges de to manœuvre. Mais la ligne rouge pour nous, serait que cette ou ces préconditions porteraient atteinte à notre souveraineté. Si elles créent un problème, alors c’est inacceptable. Et la notion de corridor, naturellement, crée un problème”, a indiqué D. Hovhannisian, cité par RFE/RL.
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2.Les Nouvelles d’Arménie
23 novembre 2021
Erevan ne confirme pas encore les informations pour le sommet arméno-azerbaïdjanais organisé par la Russie
Erevan ne confirme ni n’infirme les rapports des médias sur une possible rencontre entre les dirigeants de la Russie, de l’Arménie et de l’Azerbaïdjan cette semaine.
Répondant aux demandes d’information des médias, le porte-parole du ministère arménien des Affaires étrangères, Vahan Hunanian, a déclaré lundi en fin de journée que « des propositions de rencontres sous différents formats sont en cours de discussion. »
« Lorsqu’un accord sera trouvé sur la date, le lieu et le format, nous vous en informerons à l’avance, dans un délai raisonnable », a-t-il ajouté.
Plus tôt, citant une personne supposée avoir des liens avec les cercles dirigeants en Arménie et en Russie, le site Pastinfo a rapporté qu’une réunion entre le président russe Vladimir Poutine, le Premier ministre arménien Nikol Pashinian et le président azerbaïdjanais Ilham Aliyev aura lieu dans la station balnéaire russe de Sotchi le 26 novembre.
Les informations relatives à un éventuel sommet arméno-azerbaïdjanais organisé par la Russie surviennent quelques jours après qu’Erevan et Bakou ont confirmé que les deux dirigeants du Caucase du Sud avaient accepté la proposition de l’Union européenne de se rencontrer en marge du sommet du Partenariat oriental qui se tiendra à Bruxelles le 15 décembre.
L’annonce de la réunion de Bruxelles a été suivie d’un appel téléphonique entre Pashinian et Poutine le 21 novembre, au cours duquel les deux parties, selon le Kremlin, ont discuté « de la situation dans la région et des mesures visant à stabiliser la situation dans le cadre des accords conclus sur le Haut-Karabakh le 9 novembre 2020 et le 11 janvier 2021. »
L’effervescence de l’activité diplomatique internationale autour de l’Arménie et de l’Azerbaïdjan survient après une autre escalade majeure le long de la frontière entre les deux pays qui, l’année dernière, ont mené une guerre de 44 jours sur le Haut-Karabakh, arrêtée en raison d’un cessez-le-feu négocié par la Russie.
Le 18 novembre, deux jours seulement après les affrontements frontaliers entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, au cours desquels au moins 13 soldats ont été tués avant d’être arrêtés grâce à la médiation de la Russie, M. Pashinian a publiquement accepté ce qui semblait être de nouvelles propositions de Moscou sur le lancement du processus de démarcation et de délimitation de la frontière de l’ère soviétique entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Bakou n’a pas encore commenté l’offre russe annoncée.
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3.Les Nouvelles d’Arménie
23 novembre 2021
Un soldat arménien tué par l’Azerbaïdjan, selon Erevan
Un soldat arménien a été tué lundi par des tirs des forces azerbaïdjanaises, a annoncé le ministère de la Défense à Erevan, une semaine après des combats meurtriers non loin de la région contestée du Nagorny-Karabakh.
« Un conscrit âgé de 19 ans a été tué » après avoir été atteint par des « tirs de différents calibres des forces armées azerbaïdjanaises contre une position arménienne à la frontière », a déclaré le ministère de la Défense.
La semaine dernière, l’Arménie et l’Azerbaïdjan, deux pays rivaux du Caucase, se sont affrontés lors des plus violents combats les ayant opposés depuis la fin d’une guerre l’an dernier qui a fait plus de 6.500 morts.
Selon Bakou et Erevan, les affrontements de la semaine dernière ont fait 13 morts, sept soldats azerbaïdjanais et six militaires arméniens.
Ces combats illustrent l’équilibre précaire qui règne entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie, en conflit pour le Nagorny-Karabakh, territoire légalement azerbaïdjanais, mais sous contrôle depuis 30 ans d’un gouvernement arménien autoproclamé.
Ces affrontements se sont produits malgré la présence dans cette région de soldats des forces de maintien de la paix russes, déployés en novembre 2020 dans le cadre du cessez-le-feu négocié par le président russe Vladimir Poutine.
Peuplée majoritairement d’Arméniens, la région montagneuse du Nagorny-Karabakh, soutenue par Erevan, avait fait sécession de l’Azerbaïdjan à la chute de l’URSS, entraînant une première guerre dans les années 1990 qui avait causé la mort de 30.000 personnes.
Erevan, 22 nov 2021 (AFP) –
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4.Les Nouvelles d’Arménie
22 novembre 2021
Le président Simonyan rencontre Richard Ferrand
« La dernière agression azérie contre l’Arménie était une attaque contre la démocratie » a déclaré Alen Simonyan le Président du parlement arménien à son homologue français Richard Ferrand à Paris.
Simonyan et Ferrand ont discuté de la dernière attaque meurtrière azerbaïdjanaise contre l’Arménie, a indiqué le service de presse du parlement arménien dans un communiqué de presse.
Simonyan a déclaré à Ferrand que la dernière attaque est la poursuite de la politique cohérente de l’Azerbaïdjan de capture et d’occupation des territoires de la République d’Arménie, qui a commencé le 12 mai de cette année lorsque l’armée azerbaïdjanaise a envahi les provinces de Syunik et Gegharkunik.
La discussion a également porté sur les événements qui ont eu lieu après la guerre de 2020 en Artsakh et les défis auxquels sont confrontés la sécurité et la stabilité de l’Arménie et de la région. Simonyan a remercié la France pour la grande attention portée aux questions du rapatriement des prisonniers de guerre et civils arméniens retenus en otages en Azerbaïdjan, des droits des réfugiés d’Artsakh et de la protection du patrimoine historico-culturel sous contrôle azéri. Il a souligné l’adoption, le 3 décembre 2020, de la résolution sur la protection des communautés chrétiennes d’Europe et d’Orient et du peuple arménien au parlement français. Le président du Parlement arménien a déclaré que les résolutions adoptées par le Sénat et l’Assemblée nationale français sont une étape importante pour une résolution équitable du conflit du Haut-Karabakh dans le cadre de la coprésidence du groupe de Minsk de l’OSCE et le renforcement du rôle actif de la France dans ce processus .
Le président de l’Assemblée nationale de France Richard Ferrand a réaffirmé que la France était et reste une amie de l’Arménie quelle que soit la distance géographique.
Simonyan et Ferrand se sont félicités de la forte coopération interparlementaire, soulignant le rôle des groupes d’amitié parlementaire des deux pays dans le développement continu des relations.
A la fin de la réunion, les parties ont souligné l’importance des efforts conjoints pour la continuité et le renforcement de la coopération entre l’Arménie et la France dans divers secteurs.
Le Président Simonyan est en France à l’invitation du Président du Sénat français Gérard Larcher. Au cours de la visite de deux jours, Simonyan et sa délégation participeront à la conférence Armenia One Year Later, organisée par Larcher.
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5.Les Nouvelles d’Arménie
23 novembre 2021
L’Arménie a – presque- acheté huit hélicoptères d’attaque russes
Andrey Boginsky, directeur général de la société holding Russian Helicopters de la société d’État Rostec a annoncé que l’’Arménie a presque finalisé son contrat d’achat avec la Russie de huit hélicoptères d’attaque russes Ka-52 « Alligator » et Mi-28NE « Night Hunter » selon avia.pro.
Et pourtant les hélicoptères d’attaque n’ont pas fait preuve d’une grande efficacité lors de la dernière guerre. Cependant, les experts notent que l’une des principales raisons de l’intérêt de l’Arménie pour ces véhicules de combat est leur armement, à savoir les complexes Hermès. Ces systèmes de missiles sont capables de frapper efficacement et avec le plus haut degré de précision des cibles au sol à des distances allant jusqu’à 100 kilomètres, ce qui remplace en fait un chasseur ou un bombardier à part entière. Considérant qu’un hélicoptère peut emporter jusqu’à 12 missiles Hermes, cela permet d’infliger avec succès de graves dommages à l’ennemi, alors que les hélicoptères de combat eux-mêmes sont tout simplement irremplaçables dans les zones montagneuses.
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6.Liberation
19 novembre 2021
Pour la reconnaissance du Haut-Karabakh
Des universitaires lancent un appel : la solution au conflit passe par la reconnaissance de l’indépendance du Haut-Karabakh, et le placement de sa population arménienne sous la protection du droit international.
Un homme sur le toit du monastère de Dadivank, dans le Haut-Karabakh, le jeudi 12 novembre.
La zone est désormais en territoire azéri. (Adrien Vautier / Le Pictorium/Photo Adrien Vautier. Le Pictorium pour Libération)
par Catherine Coquio, Professeure de littérature, Michel Surya, Ecrivain, Pierre Tevanian, Philosophe, Philippe Huneman, Philosophe, Jacob Rogozinski, Philosophe, Frédéric Chauvaud, Historien, Razmig Keucheyan, Sociologue, Catherine Larrère , Philosophe, Pascal Engel, Philosophe, Arnaud Saint-Martin, Sociologue, Claudine Tiercelin, Philosophe, professeure au Collège de France, Renaud Barbaras , Philosophe, Stefan Kristensen, Philosophe et Taline Papazian, Politiste
Tribune. Les Arméniens du Haut-Karabakh ont été victimes pendant quarante-quatre jours d'une offensive militaire meurtrière engagée par l'Azerbaïdjan et son allié turc. A eux deux, ces pays comptent plus de 90 millions d'habitants. L'Arménie en compte trois millions, le Haut-Karabakh seulement 145 000 avant le début des hostilités. Recep Tayyip Erdogan n'a pas fait mystère de son soutien à ses «frères azéris». Pire, il est avéré que plusieurs milliers de jihadistes syriens acheminés par la Turquie sont venus grossir les rangs de l'armée azerbaïdjanaise. Selon l'Observatoire syrien des droits de l'homme, près de 300 de ces mercenaires ont été tués sur le champ de bataille.
Les Arméniens ont résisté. Mais l’Azerbaïdjan, fort de sa manne pétrolière, s’est dotée au fil des ans d’un armement sophistiqué, en particulier de drones de fabrication israélienne et turque. Sur le plan militaire, le rapport de force a penché de manière écrasante en faveur des assaillants. Le 9 novembre dernier, l’Arménie s’est vue contrainte de signer un cessez-le-feu humiliant. Une fois de plus, la communauté internationale – la France en particulier – s’est lavée les mains du sort des Arméniens.
Un cessez-le-feu n'est pas un traité de paix. En la matière, tout reste à faire. C'est pourquoi, il est urgent aujourd'hui de placer les Arméniens sous la protection de la communauté internationale. Pour cela, une seule solution : la reconnaissance de l'indépendance du Haut-Karabakh. La communauté internationale doit activer l'un de ses principes fondateurs, né au XIXe siècle, affirmé avec force au début du XXe aussi bien par Woodrow Wilson que Lénine, et consacré depuis en droit international : «l'autodétermination, ou le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes».
Ce droit soulève d’emblée plusieurs questions. Qu’est-ce qu’un peuple ? Qu’est-ce qui le définit, et qui peut lui accorder l’indépendance ? Les interprétations sont nombreuses. Certaines privilégient une conception territoriale. C’est celle qui avait prévalu au moment de la décolonisation, lors de laquelle certaines des principales résolutions des Nations unies sur l’autodétermination des peuples furent promulguées.
D’autres favorisent une définition plus sociologique. Le droit d’un peuple à disposer de lui-même repose dans ce cas sur une culture, une langue ou une religion communes, lui donnant une profondeur historique. Un troisième critère consiste à affirmer que ce n’est pas le peuple lui-même qui fonde son existence, mais la communauté internationale. En le reconnaissant comme Etat, en établissant avec lui des relations diplomatiques, celle-ci l’accepte en son sein comme entité à part entière.
Il y a une quatrième approche : la «sécession remède» (remedial secession en anglais), un concept émergent dans le droit international depuis un demi-siècle environ. L'idée est celle-ci : l'intangibilité des frontières prime sauf en cas d'extrême nécessité, lorsque l'intégrité physique de la population qui demande son autodétermination est en danger. Cet argument avait prévalu lors de la déclaration d'indépendance du Kosovo en septembre 2008, suivie de sa reconnaissance par une grande partie de la communauté internationale. Outre le fait que le Kosovo est peuplé à 90 % d'Albanais, sa population avait été victime, au moment du démembrement de la Yougoslavie, de crimes de guerre perpétrés par l'Etat serbe, rendant inconcevable la coexistence dans le même Etat. Les puissances avaient insisté à ce moment-là sur le fait que le Kosovo ne pourrait servir de précédent. Cette insistance est toutefois l'aveu qu'il en constitue effectivement un.
Tous les critères traditionnellement invoqués pour justifier l’autodétermination sont réunis dans le cas du Haut-Karabakh. Staline avait attribué ce territoire quasi exclusivement peuplé d’Arméniens à l’Azerbaïdjan soviétique en juillet 1921. Pendant la période qui a suivi, et jusqu’à la chute de l’URSS, il a disposé d’un statut de région autonome, en vertu duquel les autorités du Haut-Karabakh ont recouru au droit de sécession de l’URSS, selon les dispositions de la loi sur la sécession d’avril 1990, et ce au même titre que la république soviétique azerbaïdjanaise. Les Arméniens qui y vivent ont leur propre culture, leur langue, et une religion chrétienne qui explique les pogroms dont ils ont été victimes, notamment à Soumgaït en 1988, l’événement déclencheur de la «guerre d’indépendance» des années 90.
Depuis les années 90, le Haut-Karabakh a développé ses propres institutions politiques, séparées de celles de l’Azerbaïdjan, comme jadis le Kosovo. Il fonctionne de fait depuis vingt-cinq ans comme un Etat indépendant. On signalera au passage qu’alors que l’Azerbaïdjan est une dictature, qui réprime férocement sa propre population, où la famille Aliev, père et fils, occupe le pouvoir depuis plus trente ans, et où la vice-présidente du pays est aussi la femme du Président, le Haut-Karabakh est une démocratie, où les élections comptent. Ce qui était visé par l’Azerbaïdjan lors de la guerre, ce sont non seulement des vies humaines, des biens matériels, mais aussi une démocratie construite avec ténacité, dans les circonstances les plus hostiles. Il serait temps que la promotion de la démocratie par la communauté internationale aux quatre coins du monde soit suivie d’actes.
L'argument décisif en faveur de la reconnaissance du Haut-Karabakh est le risque d'anéantissement de la population arménienne. Le cessez-le-feu prévoit que des troupes russes maintiendront la paix pendant cinq ans. Et après ? Bien qu'elle n'enverra pas de soldats, la Turquie sera associée à ces opérations via un centre de contrôle russo-turc, esquisse d'une future base militaire en Azerbaïdjan. Erdogan ne s'y est pas trompé, qui a déclaré que le Haut-Karabakh intégrait le «croissant turc». Faut-il rappeler que les Arméniens ont subi en 1915, dans l'Empire ottoman, l'un des premiers génocides du XXe siècle, et qu'Erdogan a souvent répété sa volonté d'achever l'œuvre commencée par ses prédécesseurs ottomans ? A supposer même que les forces russes parviennent à imposer une stabilité pendant cinq ans, la perspective à l'issue de cette période est parfaitement claire : nouvelle guerre et parachèvement du nettoyage ethnique du Haut-Karabakh. Comme l'ont documenté de nombreuses organisations internationales et ONG, les hommes d'Etat azéris, à commencer par le Président, appellent couramment à l'éradication des Arméniens de la région. On peut débattre longtemps du meilleur critère conduisant à la reconnaissance d'un Etat. On n'en trouvera pas de plus convaincant que le risque avéré de crime contre l'humanité et de génocide.
Les spécialistes du droit international sont d’accord sur un point : entre l’intangibilité des frontières et le droit à l’autodétermination des peuples, il y a un conflit. L’application de l’un de ces principes va souvent à l’encontre de l’autre. Mais la solution à ce problème n’est pas juridique. Elle est politique.
Nous appelons l'Assemblée nationale, et plus généralement la communauté internationale, à travers ses institutions, à prendre ses responsabilités, et à reconnaître l'indépendance du Haut-Karabakh. Trente-cinq ans après son déclenchement, il est temps que ce «conflit gelé» issu de l'effondrement de l'URSS trouve sa solution définitive, afin que les générations futures de jeunes Arméniens et Azéris ne continuent pas à payer de leur sang le prix de l'inaction de la communauté internationale. Cette solution passe par la reconnaissance de l'indépendance du Haut-Karabakh, et le placement de sa population arménienne sous la protection du droit international. C'est la seule option réaliste aujourd'hui. Alors, la sérénité requise pour l'ouverture de négociations en vue d'un règlement de long terme du conflit pourra apparaître. Alors, la réconciliation des populations du Caucase du Sud deviendra enfin possible.
Lire la liste des signataires sur : https://www.
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7.Les Nouvelles d’Arménie
23 novembre 2021
Les États-Unis invitent l’Arménie au sommet sur la démocratie ; Mais pas l’Azerbaïdjan et la Turquie Par Harut Sassounian
La Maison Blanche a récemment annoncé qu’elle avait invité plus de 100 pays à un « Sommet virtuel pour la démocratie » les 9 et 10 décembre.
Parmi les invités au Sommet figurent l’Arménie et la Géorgie, mais pas l’Azerbaïdjan et la Turquie qui sont des dictatures. Il est intéressant de noter que ces deux derniers pays ne se sont plaints de leur absence du sommet que lorsqu’ils ont appris que l’Arménie était invitée.
La Maison Blanche a annoncé que le président Joe Biden a déclaré : « le défi de notre époque est de démontrer que les démocraties peuvent tenir leurs promesses en améliorant la vie de leurs propres citoyens et en s’attaquant aux plus grands problèmes auxquels le monde entier est confronté. » Le président « a reconstruit nos alliances avec nos partenaires et alliés démocratiques, ralliant le monde pour s’opposer aux violations des droits de l’homme, pour faire face à la crise climatique et pour lutter contre la pandémie mondiale, notamment en faisant don de centaines de millions de doses de vaccin aux pays du monde entier. »
L’annonce de la Maison Blanche précise également que ce sommet « sera suivi, dans un an environ, d’un deuxième sommet en personne. Ce sommet virtuel, qui aura lieu les 9 et 10 décembre [2021], permettra de galvaniser les engagements et les initiatives autour de trois thèmes principaux : la défense contre l’autoritarisme, la lutte contre la corruption et la promotion du respect des droits de l’homme. Après une année de consultation, de coordination et d’action, le président Biden invitera les dirigeants du monde entier à se réunir une nouvelle fois pour présenter les progrès réalisés par rapport à leurs engagements. Les deux sommets rassembleront des chefs d’État, des représentants de la société civile, de la philanthropie et du secteur privé, et seront l’occasion pour les dirigeants du monde entier de s’écouter mutuellement et d’écouter leurs citoyens, de partager leurs réussites, d’encourager la collaboration internationale et de parler honnêtement des défis auxquels la démocratie est confrontée, afin de renforcer collectivement les fondements du renouveau démocratique. »
Après que la Maison Blanche ait fait cette annonce, une discussion animée a éclaté sur la question de savoir pourquoi certains pays étaient invités au Sommet, alors que d’autres ne l’étaient pas ? De toute évidence, ce sommet a pour but de former une coalition dirigée par les États-Unis contre ses rivaux, la Chine et la Russie. Certains des dirigeants invités craignent-ils d’être considérés comme « pro-occidentaux » et « anti-Chine et Russie » ? Il s’agit d’une question particulièrement sensible pour l’Arménie, qui entretient des liens militaires et économiques étroits avec la Russie, et qui est en train d’établir des relations plus étroites avec la Chine. Comment la Chine et la Russie vont-elles considérer la participation de l’Arménie à un sommet aussi contradictoire ? Le Premier ministre Nikol Pashinyan, qui a accepté l’invitation des États-Unis, doit réfléchir sérieusement à la réaction négative de la Russie à sa participation à un tel sommet. Toutefois, le refus de participer aurait également des conséquences avec les États-Unis.
Alors que l’Arménie se félicite de son invitation au Sommet pour la démocratie, M. Pashinyan a malheureusement régressé par rapport aux valeurs démocratiques qu’il avait initialement déclarées en harcelant ou en emprisonnant des manifestants, en muselant les médias et en prenant des décisions unilatérales sans aucune contribution du public ou même des membres de son cercle dirigeant. Pour quelqu’un qui est arrivé au pouvoir en épousant des idéaux démocratiques, Pashinyan a bizarrement fait campagne lors des élections de juin en tenant un marteau à la main et en menaçant de frapper la tête de ses adversaires politiques.
En invitant l’Arménie au sommet, les États-Unis incitent probablement le gouvernement arménien à se rapprocher de l’Occident. Un fonctionnaire américain « impliqué dans la planification du sommet a déclaré à Reuters que les invitations avaient été envoyées à des pays ayant des expériences différentes de la démocratie et provenant de toutes les régions du monde. Il ne s’agissait pas de dire : ’Vous êtes une démocratie, vous n’êtes pas une démocratie’. Ce n’est pas le processus que nous avons suivi ». Les responsables de l’administration Biden disent qu’ils ont dû faire des choix pour garantir la diversité régionale et une large participation", rapporte Reuters.
Naturellement, l’Azerbaïdjan et la Turquie n’étaient pas très heureux que l’Arménie soit invitée au sommet, alors qu’ils en étaient exclus. Dans un article publié par le journal AzerNews, intitulé « Sommet de la démocratie ou exemple clair de deux poids, deux mesures », Ayya Lmahamad cite Vugar Iskandarov, membre du Parlement azerbaïdjanais, qui se plaint : « Il est ridicule que des pays comme l’Azerbaïdjan, la Turquie et la Hongrie ne soient pas invités au sommet, où le niveau de démocratie est bien plus élevé que dans la majorité des pays invités. » Iskandarov doit être complètement aveugle aux graves violations des droits de l’homme et à l’absence de démocratie dans les régimes autocratiques d’Azerbaïdjan et de Turquie.
Le site d’information azéri Day.az est allé encore plus loin en affirmant que l’Arménie avait été invitée en raison de l’influence des Arméniens-Américains aux États-Unis : « Inutile de se plonger dans les années précédentes, il suffit de voir ce qui s’est passé et continue de se passer dans les relations entre Washington et la diaspora arménienne au cours de l’année écoulée. Les révérences de la diplomatie américaine à l’égard d’Erevan, les interminables discussions anti-azerbaïdjanaises et les décisions prises sur l’insistance du lobby arménien parlent d’elles-mêmes. »
Bien que ce site web azéri ait fait une évaluation complètement exagérée du pouvoir des Arméniens-Américains à Washington, il s’agit néanmoins d’un compliment bienvenu. L’Azerbaïdjan et la Turquie ne craignent peut-être pas l’Arménie, mais ils semblent terrifiés par l’influence politique du lobby arménien aux États-Unis !
Par Harut Sassounian
Editeur, The California Courier
www.TheCaliforniaCourier..com
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8.Les Nouvelles d’Arménie
23 novembre 2021
Serge Sarkissian dans le collimateur de la nouvelle instance anti-corruption
La nouvelle agence anti-corruption de l’Arménie a décidé de poursuivre l’ancien président Serge Sarkissian, qui devrait être interrogé dans le cadre d’une affaire dont les détails n’ont pas encore été divulgués. Marina Ohanjanian, une porte-parole de ce Comité Anti-Corruption, a confirmé le statut d’accusé de S.Sarkisian, mais n’a pas précisé les chefs d’accusation qui le visaient. Peu avant cette annonce, dans la matinée du lundi 22 novembre, l’avocat de S.Sarkissian avait écrit sur sa page Facebook que son client faisait à nouveau l’objet de poursuites. Amram Makinian précisait qu’il avait reçu une notification en ce sens du Comité Anti-Corruption, en vue de convoquer son client pour un interrogatoire. L’avocat de l’ex-président a évoqué que cette affaire pourrait être en lien avec le témoignage d’une femme dénommée Silva contre S. Sarkissian, en laissant entendre que l’affaire serait politiquement motivée. “L’ironie de l’affaire est que, 3 ans et demi après, ils ont décidé que la dénommée Silva devait témoigner sur le fait qu’elle aurait donné un pot de vin à Serge Sarkissian aussi. Et dans le cadre de la même affaires, deux ans avant, Serge Sarkissian avait été interrogé comme témoin, aucun nouvel élément n’est apparu depuis”, souligne Me Makinian. Le message d’A.Makinian fait manifestement allusion à une femme d’affaires connue, Silva Hambardzumian, dont le nom a été associé à plusieurs affaires médiatisées de corruption impliquant un autre ancien président, Robert Kotcharian, qui est lui aussi l’une des principales figures de l’actuelle opposition. L’ex-président Sarkissian avait été poursuivi en 2019 dans le cadre d’une autre affaire de corruption relative à de prétendus détournements de carburants. Il avait été accusé, en particulier, d’avoir organisé un détournement de l’ordre d’un million de dollars, accusation qu’il avait qualifiée de montage politique. Le procès dans cette affaire a été instruit dans la Cour de juridiction générale de Erevan, il y a un an. Le mois dernier, une nouvelle procédure a été lancée, portant sur des vols privés financés par le budget de l’Etat dont aurait profité S. Sarkissian durant son double mandat, le menaçant de poursuites pour d’éventuels abus de pouvoirs. L’affaire a été ouverte sur la base d’une enquête menée par la « Fact Investigation Platform », l’un des principaux sites arméniens dédiés aux enquêtes anti-corruption, qui a révélé que dans la période 2008-2017, couvrant les deux mandats de S. Sarkissian, ce dernier avait utilisé l’avion présidentiel une dizaine de fois pour des vols privés, mais avec les deniers du contribuable arménien, vers la station thermale allemande de Baden-Baden, où il avait ses habitudes. Là encore, S.Sarkissian et les membres de son équipe politique, regroupés au sein de l’alliance d’opposition Badiv Ounem (J’ai de l’honneur), ont récusé de telles allégations, qu’ils ont jugées politiquement motivées.
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9.Le Courrier d’Erevan
18 novembre 2021
L'Arménie élue au Conseil exécutif de l'UNESCO (courrier.am)
L'Arménie élue au Conseil exécutif de l'UNESCO
Au terme des élections organisées lors de la 41e session de la Conférence générale de l'UNESCO à Paris, l'Arménie a été élue pour la première fois au Conseil exécutif de l'UNESCO pour la période 2021-2025.
Pour les trois sièges vacants attribués au groupe régional des pays d'Europe de l'Est pour les élections au Conseil exécutif, il y a eu des nominations de quatre pays :Arménie, Lituanie, Ukraine et Azerbaïdjan.
Lors d'un scrutin secret, l'Arménie, avec un maximum de 146 voix, a été élue au Conseil exécutif pour la première fois.
L'Arménie a été élue membre du Conseil exécutif de l'UNESCO pour la première fois depuis son adhésion à l'UNESCO en 1992. Dans le cadre de son adhésion au Conseil suprême, l'Arménie s'efforcera de mettre en œuvre ses engagements et priorités, en particulier pour soutenir la mise en œuvre des programmes de l'UNESCO, assurer l'accès à une éducation de qualité pour tous et la protection et la préservation du patrimoine culturel.
Note : Le Conseil exécutif de l'UNESCO est composé de 58 pays membres et est le deuxième organe le plus important de l'organisation après la Conférence générale. Les réunions du Bureau exécutif sont convoquées deux fois par an. Ce dernier a pour principale fonction de veiller à la bonne exécution des décisions adoptées par l'Assemblée générale.
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10.Le Courrier d’Erevan
22 novembre 2021
L'Arménie confirme sa participation au sommet Erevan-Bakou à Bruxelles en marge du Partenariat oriental de l'UE
L'Arménie a accepté de participer au sommet Erevan-Bakou à Bruxelles en marge du Partenariat oriental de l'UE le 15 décembre, a déclaré le porte-parole du ministère arménien des Affaires étrangères, Vahan Hunanyan.
Le 19 novembre, l'UE a publié un communiqué indiquant que " Le président du Conseil européen, Charles Michel, s'est entretenu plus tôt par téléphone avec Aliyev et Pashinyan, avec qui il a évoqué les préparatifs de la tenue du Sommet du partenariat oriental qui se tiendra le 15 décembre 2021.
Le président Charles Michel a proposé d'accueillir le Président Ilham Aliyev et le Premier ministre Nikol Pashinyan pour une rencontre à Bruxelles en marge du sommet du partenariat oriental.
Les dirigeants ont convenu de se rencontrer à Bruxelles pour discuter de la situation régionale et des moyens de surmonter les tensions pour un Sud-Caucase prospère et stable, que l'UE soutient.
Au cours des appels téléphoniques, les dirigeants arméniens et azerbaïdjanais ont également convenu d'établir une ligne de communication directe, au niveau des ministres de la défense respectifs, qui servira de mécanisme de prévention des incidents".
L'Azerbaïdjan a également accepté de participer au Sommet.
Source: Armenpress
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11.La Presse (Québec, Canada)
20 novembre 2021
Texte : Janie Gosselin, Photos : Martin Tremblay
Haut-Karabakh | Aux frontières de la guerre | La Presse
HAUT-KARABAKH
Aux frontières de la guerre
Tirs sporadiques aux frontières, militaires aux aguets, accusations mutuelles : un an après la fin de la guerre dans le Haut-Karabakh, la situation entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan reste tendue. À preuve : cette semaine encore, des escarmouches ont tué des militaires des deux côtés. La Presse a parcouru différentes régions de l’Arménie en octobre pour en prendre le pouls. Premier volet d’une série de deux reportages de nos envoyés spéciaux Janie Gosselin et Martin Tremblay.
Un cessez-le-feu fragile
(Eraskh, Arménie) Le soleil se couche sur le village d’Eraskh, à environ une heure de route de la capitale arménienne. Des vaches paissent. Des enfants jouent sur la route en terre. Des poules picorent le sol.
Des coups de feu viennent soudainement perturber la scène agricole. Nune Grigorian crie en poussant les représentants de La Presse vers un mur de briques. Les balles sifflent dans le ciel.
« On dort tout habillé, on est devenus comme des soldats », venait de confier Mme Grigorian, mère de deux fils adultes, en racontant le stress des derniers mois.
Les habitants de ce village de 780 âmes accusent les soldats azerbaïdjanais, postés dans cette zone frontalière – tout près du Nakhitchevan, une république autonome de l’Azerbaïdjan –, de prendre Eraskh pour cible depuis l’été dernier. Sur les collines surplombant le hameau, on distingue un poste militaire azerbaïdjanais d’un côté. En face, un drapeau rouge-bleu-orange révèle une position arménienne.
Tensions
Les tensions entre ces deux pays voisins de la région du Caucase ne sont pas nouvelles. Mais elles connaissent un regain depuis ce qu’il est désormais convenu d’appeler la guerre de 2020 au Haut-Karabakh.
République autoproclamée, appelée Artsakh par ses quelque 141 000 habitants, le Haut-Karabakh a déclaré son indépendance de l’Azerbaïdjan en 1991. Mais la souveraineté de ce territoire d’une taille comparable à celle de la Communauté métropolitaine de Montréal n’est pas reconnue par la communauté internationale.
Majoritairement arméniens et chrétiens, les habitants du Haut-Karabakh refusent d’appartenir à l’Azerbaïdjan turcophone et musulman, brandissant un patrimoine culturel historique en appui de leurs revendications. Dans cette région, les populations et les frontières ont fluctué au fil des siècles.
Malgré les frontières officielles, l’Azerbaïdjan a perdu le contrôle du territoire en 1994 lors d’une guerre sanglante. Des milliers d’Azerbaïdjanais ont quitté leurs demeures, tout en continuant d’espérer un retour.
Le conflit est resté latent pendant des années, ravivé sporadiquement par des accrochages et une guerre express de quatre jours en 2016.
Jusqu’à l’automne 2020.
La guerre
Le 27 septembre marque le début de cette nouvelle guerre. Les deux camps s’accusent mutuellement d’avoir lancé les hostilités.
Soutenu par la Turquie, l’Azerbaïdjan a réussi à reprendre le contrôle sur environ les deux tiers du Haut-Karabakh et sept districts limitrophes, au terme de 44 jours de combat.
Fort d’un développement économique important ces dernières années – grâce en partie aux revenus de l’exportation d’hydrocarbures vers l’Europe –, le pays de 10 millions d’habitants s’était doté d’un budget militaire conséquent.
En face, l’Arménie, où vivent moins de 3 millions de personnes, sortait tout juste d’une révolution pour mettre fin à des années de corruption politique.
Le Haut-Karabakh est devenu le théâtre d’un jeu géopolitique dépassant ses frontières.
Les hostilités ont fait plus de 6500 morts.
Accord précaire
Le 9 novembre, sous l’égide de la Russie – l’autre grande puissance de la région, avec la Turquie –, les deux pays ont signé un cessez-le-feu. Mais il demeure fragile. Si le calme règne dans la plupart des régions de l’Arménie, les tensions restent vives dans les zones frontalières entre les deux ex-républiques soviétiques.
« C’est toujours une surprise », témoigne le chef du village d’Eraskh, Radik Ogikyan, en parlant des tirs. L’homme en veston bleu, une cigarette aux lèvres, est l’un des rares à avoir été blessé, deux mois plus tôt, dit-il.
Les coups de feu entendus par La Presse ne semblent pas avoir causé de blessures ou de dégâts. Les dommages seraient surtout matériels, estiment les villageois – une odeur de brûlé flottait toujours dans l’air et de la fumée s’échappait de ballots de foin lors du passage de La Presse. Résultat, ont affirmé les habitants du hameau, de projectiles reçus trois jours plus tôt.
Une mine divisée
Les habitants d’Eraskh ne sont pas les seuls à constater un regain d’activité aux frontières.
En juillet dernier, un accrochage près du village de Sotk, dans l’est de l’Arménie, a causé la mort de trois soldats arméniens et fait deux blessés, selon Erevan. L’Azerbaïdjan a de son côté fait état de deux militaires blessés.
« Il y a des tirs tous les jours, raconte un gardien de sécurité posté à une guérite, sur le chemin menant à la mine d’or de Sotk. Le soir, on éteint les lumières. »
Le gardien de 50 ans, qui refuse de donner son nom, dit plonger la petite cabane dans le noir par crainte des drones survolant la région.
Avec son collègue de 60 ans, une tuque noire enfoncée sur la tête, ils gèrent le va-et-vient des camions de la mine exploitée par une entreprise russe. La frontière entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan traverse la mine. Depuis la fin de la guerre, l’Azerbaïdjan a repris le contrôle sur une portion du territoire.
Si les deux hommes sont gardiens de sécurité, c’est parce que la paie est bonne, disent-ils, alors que la situation économique est particulièrement difficile dans la région.
« Il y a toujours du danger, mais il n’y a pas vraiment de raisons d’avoir peur, avance l’un des deux en fumant une cigarette. Ça fait 11 mois qu’on est ici et ils ne nous ont pas pris pour cibles. »
Au loin, des camions militaires des forces arméniennes s’activent dans les montagnes.
Un couloir
Au cours des derniers mois, l’Arménie a accusé l’Azerbaïdjan d’incursion dans le pays. À Bakou, capitale de l’Azerbaïdjan, le gouvernement a nié, avançant une défense de ses propres lignes.
Il faut dire que depuis l’accord de cessez-le-feu de novembre 2020, des Arméniens craignent un empiètement sur leur État.
L’entente prévoyait une « connexion sûre » entre l’Azerbaïdjan et sa république autonome du Nakhitchevan, enclavée dans l’Arménie, pour assurer le passage des personnes et des marchandises. Actuellement, les Azerbaïdjanais doivent faire un détour par l’Iran pour se rendre de l’un à l’autre par la route.
Cette « connexion » (ou corridor, selon le terme utilisé en Azerbaïdjan) devrait passer par Meghri, dans le sud de l’Arménie, ville frontalière avec l’Iran.
Dans la bourgade de Meghri, regorgeant d’arbres fruitiers, rien ne laissait deviner en octobre la mise sur pied d’un tel passage.
Nombre d’Arméniens s’y opposent, y voyant une menace à l’intégrité de leur territoire.
« Meghri, c’est le portail sud de l’Arménie, souligne Silva Ovakinian, une commerçante de 61 ans rencontrée sur place. S’ils donnent Meghri aux Turcs [Azerbaïdjanais], c’est comme donner toute l’Arménie. » Comme d’autres Arméniens, elle désigne les habitants du pays voisin par leur langue, rappelant du même coup leur alliance avec le pays issu de l’Empire ottoman, responsable du génocide arménien.
Le génocide de 1915, qui a fait plus d’un million et demi de morts, reste d’ailleurs en filigrane du dernier conflit. Pour les descendants des survivants installés en Arménie, la menace existentielle pèse toujours sur les mémoires.
Train
Boris Azatzian vit aussi à Meghri. Il estime que la meilleure solution pour permettre un lien entre l’Azerbaïdjan et le Nakhitchevan devrait prendre la forme d’un train.
« Je voudrais que le train soit ouvert à tout le monde, que les Arméniens puissent traverser le Nakhitchevan, qu’ils puissent aller jusqu’à Moscou », rêve l’homme de 69 ans.
Comme à l’époque de l’Union soviétique.
« J’avais de bonnes relations avec les Azerbaïdjanais, il y a toujours eu de bons gars », confie le grand-père de deux garçons en se remémorant ses voyages ferroviaires.
À l’époque, le train s’arrêtait dans le village d’Eraskh.
Antranik Vartanyan, qui habite le hameau, est né à la fin des années 1980, au moment où les relations se sont détériorées. Même s’il dit souhaiter la paix, il n’imagine pas traverser le Nakhitchevan, à 500 m de ses terres, d’où proviennent des tirs « pratiquement chaque jour », affirme-t-il.
« C’est une situation d’inimitié qui date de nos grands-parents et qui continue, c’est trop profond, dit-il. Je ne vois pas comment ça peut être résolu. »
* Ce reportage a été réalisé grâce à une bourse du Fonds québécois en journalisme international.
Des frontières sous tension
(Région du Syunik, Arménie) D’un côté de la route 2 flotte le drapeau bleu, rouge et vert frappé d’un croissant et d’une étoile de l’Azerbaïdjan, au-dessus d’un poste militaire. De l’autre, l’étendard arménien. Entre les deux, un char d’assaut avec son pavillon de la Russie, où se trouvent quelques hommes en uniforme, dépêchés sur place l’an dernier dans l’opération de maintien de la paix.
Le village de Chournoukh, où passe la route 2, a été coupé en deux après la guerre. Une douzaine de maisons du hameau de quelque 200 personnes se trouvaient du mauvais côté de la voie. Elles sont maintenant officiellement en Azerbaïdjan. Leurs habitants ont fui.
Manik Alexanian habite Chournoukh, du côté resté arménien, depuis septembre 2020. Depuis qu’elle a quitté son village du Haut-Karabakh, pendant la guerre.
« C’est la réalité qu’on vit maintenant ici, dit en soupirant la grand-mère de 65 ans, assise dans une pièce où elle vit avec son fils et sa bru. Là-bas, nous n’étions pas en sécurité. Ici, c’est moins dangereux, mais on voit les Turcs [Azerbaïdjanais] par la fenêtre. »
Depuis la fin des hostilités, l’an dernier, l’Azerbaïdjan a repris le contrôle du territoire tel que tracé à l’époque où les deux ex-républiques soviétiques partageaient des frontières ouvertes.
« Bienvenue en Azerbaïdjan »
Pour arriver au village de Chournoukh en provenance d’Erevan, il faut passer par la route 2, dont un tronçon d’environ 3 km est maintenant contrôlé par l’Azerbaïdjan.
Pour le traverser, il faut d’abord le feu vert des gardiens russes et des militaires arméniens déployés à un point de contrôle.
« Bienvenue en Azerbaïdjan ! », proclame, un peu plus loin, un panneau planté le long de la route à flanc de montagne, en russe, en anglais et en langue azérie.
Au bout de quelques kilomètres, on retrouve des soldats russes, avec, cette fois, des gardes-frontières azerbaïdjanais.
Sur le bas-côté, une dizaine de camions immatriculés en Iran et circulant en direction inverse sont immobilisés.
Des chauffeurs originaires de ce pays au sud de l’Arménie ont confirmé à La Presse qu’une taxe d’environ 200 $US était maintenant exigée pour emprunter les 3 km de cette route.
En traversant l’Arménie, puis la Géorgie, les marchandises iraniennes peuvent ensuite atteindre la mer Noire, l’Europe et la Russie. L’Arménie a mis les bouchées doubles pour réaménager une route passant par l’intérieur du pays pour permettre le passage des camions de marchandises.
Selon des informations relayées la semaine dernière par la presse arménienne, les Arméniens ne pourraient plus circuler eux-mêmes librement sur ce tronçon. Une taxe serait exigée, quand l’entrée ne serait pas carrément interdite.
Tracé
Ce point de contrôle dans les environs de Chournoukh semblait une exception en octobre. Mais ailleurs le long des frontières, les deux voisins tentent d’asseoir leurs limites territoriales.
Dans le sud du pays, en quelques minutes, le GPS fluctue de l’Azerbaïdjan à l’Arménie au gré des courbes de la route. Près du village de Chakaten, un panneau a été planté pour souhaiter la bienvenue en Azerbaïdjan. Avec des photos de Bakou, même s’il est impossible de gagner la capitale azerbaïdjanaise par cette voie.
La présence azerbaïdjanaise inquiète les habitants de la région. Des rumeurs sur des vaches volées circulent parmi les agriculteurs. « Mais, Dieu merci, il n’y a pas encore eu d’incidents violents », note Arsen Marsaelian, professeur de musique.
Les gens du village ont peur, souligne-t-il. Et une simple étincelle pourrait embraser toute la région.
« Les villageois descendent aux champs en groupes, et ceux qui ont des armes les apportent avec eux au cas où, affirme Tamara Hagopian, devant son magasin général de Chakaten. D’autres n’y vont plus parce qu’ils ont trop peur. »
Impossible de vérifier ses dires auprès des principaux intéressés ou dans les autres villages plus au sud. Invoquant l’absence du permis requis et les risques sécuritaires, des militaires arméniens ont demandé à La Presse de rebrousser chemin.
Une nouvelle réalité
Avec la reprise de contrôle de certains territoires par l’Azerbaïdjan, les Arméniens doivent s’adapter à une nouvelle réalité. Frontière rapprochée, craintes pour le patrimoine ou pour les soldats toujours en poste, le pays s’ajuste avec méfiance.
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12.La Presse (Québec, Canada)
21 novembre 2021
Paix fragile au Haut-Karabakh | Des plaies toujours vives | La Presse
Paix fragile au Haut-Karabakh
Des plaies toujours vives
L’Arménie et l’Azerbaïdjan se sont affrontés pendant 44 jours dans le Haut-Karabakh. Un an plus tard, les plaies restent vives. Des milliers de personnes ont fui leur domicile. Chaque côté compte ses disparus. Le sort des détenus arméniens préoccupe particulièrement Erevan. Et l’utilisation d’une technologie canadienne dans les hostilités est dénoncée. Deuxième volet de la série de nos envoyés spéciaux, Janie Gosselin et Martin Tremblay
Gyumri, Arménie – À la recherche des soldats disparus
« Reviens vite »
Une pluie fine tombe sur Gyumri, dans le nord de l’Arménie. Des femmes sont assises dans une salle de réunion de la municipalité, attablées devant des chocolats. Des hommes boivent du cognac dans de petits gobelets en plastique.
Mels* est appuyé sur le rebord d’une grande fenêtre. L’homme de 24 ans est libre depuis moins d’une semaine. Il a passé les 10 derniers mois dans une cellule de prison en Azerbaïdjan, le pays voisin avec lequel l’Arménie est en conflit.
« Même arrivé à Erevan, je ne croyais pas que j’étais libre, raconte l’homme d’une voix basse. C’est juste quand je me suis retrouvé dans les bras de mon frère et de mes parents que j’ai accepté que j’étais finalement libre. »
Pour les pères et les mères de prisonniers rassemblés dans la grisaille de l’automne, Mels et ses quatre camarades libérés au même moment incarnent l’espoir.
Le réserviste et étudiant en agriculture est l’un des 68 soldats de la région de Gyumri interceptés au même moment par les forces azerbaïdjanaises, le 13 décembre dernier, dans le Haut-Karabakh. Le cessez-le-feu conclu avec la médiation de la Russie était pourtant en vigueur depuis le 10 novembre précédent, après 44 jours d’affrontements.
La souveraineté du Haut-Karabakh, république autoproclamée, n’est pas reconnue par la communauté internationale. Ses frontières se trouvent officiellement en Azerbaïdjan, mais le territoire a fait l’objet de violentes disputes depuis l’écroulement de l’Union soviétique.
Le dernier embrasement, l’an dernier, aurait fait plus de 6500 morts.
Accusations
La question des soldats disparus ou emprisonnés reste brûlante en Arménie. Encore cette semaine, des combats entre les forces armées des deux pays ont mené à l’emprisonnement de 13 soldats arméniens, et 24 sont portés disparus, selon le gouvernement arménien, qui a aussi fait état de 6 soldats tués. L’Azerbaïdjan a de son côté déploré la mort de sept de ses militaires dans ces affrontements, mardi dernier.
Pour l’Azerbaïdjan, les soldats de Gyumri sont des « terroristes ». Le gouvernement a condamné ces soldats pour entrée illégale dans son territoire et possession d’armes, notamment.
Une trentaine des 68 militaires de la région ont cependant été libérés depuis.
Aucune raison n’a été avancée publiquement par les gouvernements azerbaïdjanais et arménien pour expliquer les dernières libérations, dont faisait partie Mels, en octobre.
En février dernier, l’Arménie estimait à 240 le nombre de détenus, civils et militaires, en Azerbaïdjan. Environ le tiers aurait été libéré.
Dans les derniers mois, des prisonniers ont servi dans les négociations entre les deux pays. Le 3 juillet dernier, par exemple, l’Azerbaïdjan a accepté de libérer 15 soldats en échange d’une carte détaillée des mines plantées par l’Arménie dans la région.
Deux journalistes avaient été tués par l’explosion d’une mine laissée par l’armée arménienne quelques semaines plus tôt, selon le gouvernement azerbaïdjanais.
« Reviens vite »
Outre les détenus confirmés, on compte toujours, un an après la fin du conflit, des centaines de disparus des deux côtés de la frontière.
Le nom de Hagop*, réserviste trentenaire père de deux enfants, s’est d’abord retrouvé sur cette liste.
Sa famille a cherché des réponses pendant deux mois, scrutant les vidéos sur le web – montrant parfois des scènes de torture et de décapitations – à la recherche de leur proche parmi les jeunes hommes.
« On avait reconnu des membres de son unité dans une vidéo, mais mon fils a trouvé une façon de ne pas se faire filmer par les Azerbaïdjanais », confie le père de Hagop.
Ils en ont finalement eu la confirmation en février : Hagop faisait partie des soldats interceptés en décembre. Il était vivant.
Après avoir fait les cent pas dans le salon de la demeure familiale de Gyumri, inquiet d’en dire trop et d’attirer les représailles, soucieux d’en dire assez pour que son fils ne sombre pas dans l’oubli, le père s’assoit. Il se rend chaque jour au bureau du gouverneur, dit-il, à la recherche de nouvelles, mais aussi avec l’espoir de faire bouger les choses.
La famille a pu entrer en contact avec Hagop, par l’entremise de la Croix-Rouge.
Sa fille de 5 ans a ainsi écrit à son père. « Reviens vite », a-t-elle demandé. Elle lui a aussi donné des nouvelles de l’évolution des framboisiers, plantés devant la maison peu avant son départ.
« Les enfants ressentent l’absence », note la femme du prisonnier, alors que leur fils de 4 ans sirote une boisson gazeuse, les yeux rivés sur des dessins animés.
Disparus
La Croix-Rouge tente toujours de connaître le sort des disparus de chaque côté, en plus d’assurer un lien entre les prisonniers et leurs familles. L’organisme refuse toutefois de révéler le nombre exact de détenus confirmés, préférant se tenir loin de l’aspect politique du débat sur les chiffres, dit au téléphone Zara Amatuni, porte-parole du Comité international de la Croix-Rouge dans la région.
Du côté arménien, tous les détenus officiels azerbaïdjanais ont été libérés peu après la fin des hostilités. « Nous n’avons pas été informés d’autres cas de détention par les autorités », explique M me Amatuni, établie à Erevan.
Il y a encore de nombreux cas de personnes portées disparues, et nous travaillons avec les autorités compétentes pour faire la lumière sur ces disparitions.
Zara Amatuni, porte-parole du Comité international de la Croix-Rouge dans la région
Elle rappelle que le conflit de 2020 n’est qu’une nouvelle couche dans une tragédie pour les familles de la région, tant en Arménie qu’en Azerbaïdjan. « Il y a des cas de disparus qui n’ont toujours pas été élucidés depuis les années 1990, environ 4500 personnes dans la région, selon des informations collectées de familles dans nos bureaux d’Erevan, de Bakou et du Haut-Karabakh », précise-t-elle.
L’organisme tient à sa neutralité dans les conflits et n’a pas publié de rapports publics sur les conditions de détention.
Torture
Hagop n’a rien révélé à sa famille sur son traitement. « Mon fils n’est pas stupide, il sait ce qu’il ne doit pas dire », souffle son père.
L’organisme Human Rights Watch a répertorié de la torture et des « traitements cruels et dégradants » contre des prisonniers de guerre arméniens, dans un rapport publié en mars dernier. Électrochocs, coups, brûlures de cigarettes.
Les familles rencontrées, tout comme Mels, refusent d’aborder la question des mauvais traitements.
« Les normes sont respectées en ce moment, avec les visites de la Croix-Rouge », s’est contenté de dire Mels.
Le jeune homme fait son possible pour soutenir les familles des détenus, en les visitant et en participant à leurs rassemblements. « Je ne me sens pas entièrement libre tant que mes camarades sont encore là-bas », glisse-t-il.
* Les personnes interviewées ont demandé de taire leur identité par crainte de représailles sur les détenus arméniens en Azerbaïdjan.
Des drones dans le ciel, avec technologie canadienne
Un bourdonnement, un grondement, un bruit sourd. Pour Anoush, 6 ans, et Gore, 4 ans, les sons inconnus se confondent depuis l’an dernier.
« Dès qu’ils entendent un bruit quelconque, leur première réaction, c’est de penser qu’il y a des drones », raconte leur mère Tatev Karapetyan, 30 ans.
La famille a quitté sa demeure du Haut-Karabakh, l’an dernier, pendant la guerre, et vit maintenant dans le village de Gomaran, dans le sud de l’Arménie.
De leur salon, on aperçoit une colline à environ 1,5 km. À son sommet se trouve la limite de l’Arménie. L’Azerbaïdjan est de l’autre côté.
Les enfants s’amusent avec un ballon de La reine des neiges, vaguement conscients des batailles politiques de territoire.
Leur souvenir de la guerre se résume aux drones de surveillance et à leur déménagement précipité, leur village n’ayant pas connu la violence.
Technologie canadienne
Ils ne sont pas les seuls à avoir remarqué l’omniprésence des engins aériens.
L’utilisation des drones – de surveillance, mais aussi d’attaque – dans le conflit l’an dernier est vue comme un tournant dans les stratégies militaires modernes. Et une des clés du succès de l’Azerbaïdjan, soutenu par la Turquie.
La présence de capteurs aériens canadiens dans ces appareils sans pilote a d’ailleurs causé un émoi pour nombre d’Arméniens – et forcé Affaires mondiales Canada à enquêter sur ses licences d’exportation vers la Turquie.
On a les preuves que la Turquie avait envoyé [en Azerbaïdjan] des drones construits en Turquie avec des systèmes optiques canadiens, qui avaient été installés au mois de septembre, avant le début de la guerre.
Sergey Ghazaryan, représentant à Erevan du Haut-Karabakh
Ghazaryan désigne le Haut-Karabakh comme la « République de l’Artsakh », même si ce statut n’est pas reconnu par la communauté internationale.
La suspension des licences d’exportation de biens et de technologies militaires par le Canada vers la Turquie a été confirmée en avril dernier, au terme d’une enquête.
Affaires mondiales Canada a décliné la demande d’entrevue de La Presse, mais confirmé, dans un courriel, que les restrictions continuaient de s’appliquer.
Accusations
« En apprenant l’utilisation de cette technologie au Haut-Karabakh, c’était la première fois que j’avais honte d’être canadienne », confie en visioconférence Sheila Paylan, originaire de Montréal.
L’avocate en droits de la personne, maintenant installée à Erevan, souhaite d’ailleurs que le gouvernement canadien s’implique dans un processus d’enquête. Des rapports de différents organismes, dont Amnistie internationale et Human Rights Watch, rapportent des allégations de crimes de guerre contre l’Azerbaïdjan et l’Arménie, notamment des attaques indiscriminées.
Or, aucun des deux pays n’a ratifié le Statut de Rome. Ils ne sont donc pas des membres de la Cour pénale internationale, où peuvent être jugées ces violations. Ce qui ne leur donne pas l’impunité, mais complique le processus.
« Le conflit n’est pas réglé, il est seulement gelé de nouveau, rappelle l’avocate. La seule solution serait d’avoir un organisme régional ou international pour mettre en place une commission d’enquête, ce qui aiderait vraiment à se diriger vers une solution de paix durable pour la région. »
En septembre dernier, l’Arménie s’est tournée vers la Cour internationale de justice, accusant l’Azerbaïdjan de répandre la haine. Sheila Paylan agit à titre de consultante pour l’Arménie. Bakou a, à son tour, déposé une plainte quelques jours plus tard.
La Presse a voulu se rendre dans le Haut-Karabakh à partir de l’Arménie pour constater la situation, mais ses demandes d’autorisation ont été refusées par les représentants de l’Artsakh.
Des milliers de déplacés en situation précaire
Syunik, Arménie — La guerre faisait rage depuis près de trois semaines. À Zangilan, Hasmik Dalakian préparait des conserves pour l’hiver, seule avec ses trois enfants – son mari et son frère servaient dans l’armée. Elle était persuadée que sa ville du Haut-Karabakh resterait sous contrôle arménien.
Hasmik Dalakian hésitait à quitter l’endroit où repose la dépouille de son fils, mort à l’âge de 5 ans.
« Les soldats sont rentrés dans la ville et nous avons tout laissé, raconte la femme de 35 ans. Ils n’ont pas tiré, mais nous ont dit de foutre le camp. »
Trois jours plus tard, le président de l’Azerbaïdjan, Ilham Aliyev, annonçait la prise de contrôle de la ville.
La Presse a rencontré M me Dalakian dans le village de Syunik, dans le sud de l’Arménie, non loin de la frontière avec l’Azerbaïdjan.
La vue de postes militaires azerbaïdjanais au loin ne l’inquiète pas outre mesure. « Qu’est-ce qu’on peut faire ? demande-t-elle en secouant la tête. On a d’autres problèmes pour l’instant. »
Situation précaire
Comme elle, quelque 90 000 Arméniens ont fui leurs demeures en raison du conflit de 2020, selon le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR), la majorité d’entre eux étant des femmes et des enfants. Ils étaient toujours quelque 36 000 personnes dans une situation « comme celle de réfugiés », selon les données de juillet dernier.
Du côté azerbaïdjanais, environ 40 000 personnes ont été déplacées en raison des hostilités, selon les données retransmises par l’ONU.
Le statut des déplacés internes reste précaire. En Arménie, l’UNHCR estime que les deux tiers d’entre eux gagnent moins que le salaire minimum.
La situation économique déjà difficile au pays a été aggravée par la guerre et la COVID-19.
« On a de la difficulté à arriver », confie M me Dalakian, ajoutant que son mari « s’est cherché un emploi partout ». Ils font un peu d’argent en vendant des herbes qu’il cueille.
Aide humanitaire
Les déplacés du Haut-Karabakh se trouvent à différents endroits en Arménie. Dans la capitale, à Erevan, Haik Kazarian, Montréalais d’origine, s’affaire à charger un camion rouge de vêtements donnés à l’organisme qu’il a cofondé, Transparent Charity NGO.
Notre orientation, c’est qu’on aide seulement les personnes déplacées internes, et on donne de l’aide une seule fois par famille. Il y a tellement de gens qui ont besoin d’aide qu’on ne peut pas donner plus.
Haik Kazarian, de Transparent Charity NGO
Gayané Gharayan, 45 ans, attend son tour pour accéder au local où les bénéficiaires peuvent prendre des vêtements. La mère de trois enfants a quitté Steparnaket, dans le Haut-Karabakh, au lendemain du début de la guerre.
« On pensait que ce serait comme la guerre en 2016, qui avait duré quatre jours », note-t-elle.
Elle habite maintenant une maison à Erevan avec de la famille, où ils sont 20 à s’entasser, dit-elle. Stepanakert est resté sous contrôle arménien et elle compte regagner sa demeure. Une fois que des réparations pourront être faites à sa maison, fortement endommagée, dit-elle en soupirant.
* Ce reportage a été réalisé grâce à une bourse du Fonds québécois en journalisme international.