Au village arménien de Nor Ghazantchi dans la région de Martakert (Artsakh) les forces azéries ont une nouvelle fois avancé leurs positions hier. Le 26 avril ils avaient déjà avancé leurs positions de plusieurs centaines de mètres. Le 27 avril ils avaient du reculer sur leurs positions initiales mais aujourd’hui 28 avril, les Azéris sont revenus en avançant une nouvelle fois selon Rouslan Aroustamyan le maire du village de Nor Ghazantchi.
« Les Azéris ont une nouvelle fois avancé et sont venus aux positions où le 27 avril ils étaient venus avant d’être repoussées. Notre gouvernement entreprend des pourparlers avec les forces russes chargées de la paix en Artsakh pour régler le problème » a indiqué Rouslan Aroustamyan.
Cette information a été confirmée par Hayk Bakhchiyan le responsable de la région de Martakert.
Lousiné Avanesyan la porte-parole de la présidence de la République de l’Artsakh n’a pas commenté ces faits.
Krikor Amirzayan
_________________________
4- Les Nouvelles d'Arménie
29/04/2021
Témoignages de soldats arméniens torturés par des militaires azéris
Vice World News group a pu interviewer le jeune soldat arménien Vasken, volontaire de 25 ans, grièvement blessé, puis torturé pendant la guerre des 44 jours entre l’Azerbaïdjan et les forces arméniennes. D’autres soldats arméniens ont pu aussi témoigner des sévices infligés par des soldats et la police militaire azéri.
Vasken, esseulé sur le théâtre de guerre est resté sur place, immobile, pendant environ une semaine, se nourrissant des fruits d’un pommier poussant à proximité, lorsque les Azerbaïdjanais l’ont découvert et l’ont constitué prisonnier. Durant toute la route menant de l’Artsakh à Bakou, malgré de graves blessures et son état critique, l’armée azerbaïdjanaise l’a sévèrement battu. La même chose a continué à Bakou lorsqu’il a été transféré d’un poste de police à un autre.
Vice World rapporte les paroles du jeune homme selon lesquelles « les soldats azerbaïdjanais ont enfoncé leurs mains dans la plaie de mon estomac, ils m’ont versé du poivre moulu dans les yeux, m’ont brûlé les mains, les ont battus avec des chauves-souris. Tombant entre les mains de chaque nouveau groupe de militaires, j’ai de nouveau été sévèrement battu et torturé », se souvient Vazken.
Il dit également que les Azerbaïdjanais l’ont forcé à faire des déclarations obscènes au sujet du Premier ministre arménien.
« Ils m’ont frappé à la tête jusqu’à ce que je dise ce qu’ils voulaient », admet-il.
Bien qu’il soit déjà rentré chez lui, Vazken continue de marcher avec des béquilles, car les traces de torture et de blessures ne sont pas encore guéries. Armen, 20 ans, raconte que lors de sa capture, l’armée azerbaïdjanaise l’a frappé à la tête avec une barre de métal et lui a attaché les mains si fort qu’elles ont encore des cicatrices.
Selon Armen, tous les prisonniers ont été battus à coups de matraque depuis l’Artsakh jusqu’à Bakou. La même chose a continué avec la police militaire, selon Armen. Il était attaché au système de chauffage, et il a passé toute la nuit dans cette position. « Je n’ai pas pu dormir de la nuit à cause de la douleur », se souvient-il.
David, 19 ans, qui s’est également retrouvé en captivité azerbaïdjanaise, a admis qu’il valait mieux mourir que d’être capturé par les Azerbaïdjanais. Il a dit que de son détachement de volontaires, seul lui avait survécu et avait été capturé. David a noté qu’il avait été témoin de la façon dont l’un des volontaires s’est tiré une balle dans la tête en voyant les Azerbaïdjanais s’approcher. Bien que les Azerbaïdjanais aient d’abord donné de l’eau à David et pansé ses blessures, ils lui ont attaché les mains et ont commencé à le battre sévèrement. Il a ensuite été emmené à l’hôpital où il a reçu du pain et de l’eau et conduit à la police militaire. Selon lui, il y a été également contraint d ’« avouer » que la partie arménienne avait engagé des militants kurdes pour combattre en Artsakh.
« Ce n’était pas vrai, mais je n’avais pas le choix. Il y avait des électrochocs et d’autres instruments de torture dans la pièce, et ils m’ont dit qu’ils me battraient à mort si je ne disais pas ce qu’ils voulaient », admet le jeune homme, ajoutant que les Azerbaïdjanais lui ont cassé ses lunettes.
« Même lorsque les employés de la Croix-Rouge m’ont apporté de nouvelles lunettes, les Azerbaïdjanais les ont de nouveau cassées », a poursuivi David.
Le projet Vice World rappelle également les vidéos apparues sur Internet, où des Azerbaïdjanais ont littéralement coupé et tué des prisonniers arméniens devant les caméras. « Ces vidéos ont également été vues par les proches de ces jeunes », indique l’article.
L’auteur de l’article ajoute également que, selon diverses sources, de 60 à 220 Arméniens sont aujourd’hui en captivité en Azerbaïdjan. « Les autorités arméniennes affirment que de nombreux prisonniers ont simplement été tués », conclut l’auteur de l’article.
par Jean Eckian
_________________________
5- The Economist
30/04/2021
Turkey and Armenia : Caucasian Knot
The genocide a century ago is just one reason the two countries cannot reconcile.
Both past and present haunt relations between Turkey and Armenia. A century ago, Ottoman troops carried out a genocide of Armenians. A few months ago, Turkey helped Azerbaijan defeat Armenia in a war. For decades, the border between Turkey and Armenia has been closed.
Yet in December Turkey’s president, Recep Tayyip Erdogan, held out hope of “a new era” in Turkish-Armenian relations. The unlikely setting was a military parade in Azerbaijan celebrating victory over Armenia. Using Turkish arms, Azeri forces had just recaptured parts of Nagorno-Karabakh, an enclave populated and controlled by ethnic Armenians, and some adjacent districts that had been occupied by Armenia for three decades. Army convoys rolled past Mr Erdogan and the Azeri president, Ilham Aliyev, displaying the wreckage of Armenian tanks, as well as the Turkish drones that had pounded them into the ground. Mr Erdogan hinted that Armenia might have learned a lesson from its defeat, and later suggested that Turkey could open its border with Armenia.
Nothing of the sort has happened. On the contrary, tempers flared again on April 24th, when President Joe Biden formally declared the killings and deportations of over a million Armenians by Ottoman forces in 1915-17 to have been a genocide. Most historians agree with Mr Biden, but previous American presidents have usually avoided saying so to avoid upsetting Turkey, which furiously denies that the killings were as widespread or systematic as the evidence suggests they were. Turkey’s foreign ministry called Mr Biden’s statement “a vulgar distortion of history”.
Turkey’s ties with America may not suffer much. With its shaky currency, Turkey cannot a ord another crisis with its nato ally. But Turkish officials suggest their country’s offer of detente with Armenia may be a casualty. Ilnur Cevik, an adviser to Mr Erdogan, says the end of the NagornoKarabakh war removed obstacles to reconciliation. (Turkey backed Azerbaijan’s territorial claims, and now deems them more or less settled.) However, he says, “if Armenians continue to antagonise Turkey, forcing the Americans to recognise genocide, then this is not going to go anywhere.”
Turkey closed its border with Armenia in 1993, out of solidarity with Azerbaijan. Reopening it would relieve tensions with Armenia “in a dramatic way”, Nikol Pashinyan, Armenia’s prime minister, told The Economist in March. Armenia, he also said, would be ready to establish relations with Turkey “without preconditions”. Mr Pashinyan, who was pilloried for losing the war, resigned on April 25th in order to trigger early elections.
If there were a broad regional settlement, “everybody would win”, says Ahmet Davutoglu, a Turkish former prime minister. Opening borders would help stabilise the entire Caucasus, offer Armenia, the region’s poorest country, access to markets in Turkey and beyond, and connect Turkey to the energy-rich Caspian Sea and Central Asia. Mr Davutoglu, who now heads a small opposition party, was foreign minister when Turkey and Armenia came close to normalising diplomatic ties in 2009. The process foundered after a backlash from nationalists in both countries. Those in Turkey blocked any deal unless Armenia withdrew from Nagorno-Karabakh. Those in Armenia demanded that Turkey recognise the bloodshed of 1915 as genocide.
Western diplomats have long believed that a settlement between Turkey, a nato power, and Armenia would diminish Russia’s influence in the Caucasus. Today the opposite may be true. Instead of pulling Armenia into the West’s orbit, normalisation could draw Turkey deeper into Russia’s. “Russia’s plan is to have an open border between the Eurasian Economic Union and Turkey,” says an Armenian ruling-party mp, referring to a Russian-led trade bloc Armenia joined a few years ago. Turkey itself, having learned to cut deals with the Kremlin, does not look keen nowadays to help Western interests in the Caucasus.
Russia may have as big a say in the conciliation process as Turkey and Armenia themselves. Russian troops have patrolled the Armenian side of the border with Turkey ever since the fall of the Soviet Union; Armenia would doubtless insist that they continue to do so. “Armenia is more locked in Russia’s orbit than ever before,” says Richard Giragosian, an analyst. “Normalisation with Turkey will only deepen this.”
As good as it may look on paper, a regional settlement seems as elusive as ever. Some Armenian officials cautiously welcome the prospect of direct trade with Turkey. But much of the political class and society at large seem unready for any kind of engagement. Some also fear that detente with its powerful neighbour would force Armenia to relinquish its claims to Nagorno-Karabakh. In a country of barely 3m people, which remains shaken by the war, fear of Turkey is greater than in recent memory. “This was a war that was triggered by Turkey, instigated by Turkey and managed by Turkey,” says an Armenian o cial. “There is no confidence.”
Turkey and Azerbaijan have not exactly sounded reassuring. During that victory parade in Azerbaijan, Mr Erdogan praised Enver Pasha, one of the architects of the genocide. Mr Aliyev recently presided over the opening of a ghoulish “Spoils of War” theme park, featuring mannequins of wounded Armenian soldiers with hooked noses and grotesque faces, along with neatly arranged helmets of Armenians killed in the war. How to square such displays with Azerbaijan’s offers of peace is a puzzle. What Mr Erdogan and Mr Aliyev are offering Armenia looks less like an olive branch than the short end of the stick.
_________________________
6- Les Nouvelles d'Arménie
30/04/2021
Plus de 100 habitations sont en construction au village de Karmir Chouka en Artsakh
Artak Beglaryan l’ex-responsable des droits de l’homme en Artsakh aujourd’hui conseiller présidentiel indique sur sa page facebook « il y a deux jours, avec le défenseur des droits de l’homme Gegham Stepanyan et le procureur général Gurgen Nersisyan, nous avons visité les communes de Taghavard et du Karmir Chouka. Nous avons appris les conditions de sécurité des villages, les problèmes des personnes déplacées et nous avons eu des conversations avec un groupe de résidents.
Les questions et les préoccupations des villageois sont devenues plus claires, je leur ai transmis les approches et les programmes à venir sur diverses questions.
La plus importante nouvelle est que plus de 100 nouveaux appartements sont en travaux de construction d’un quartier à Karmir Chouka. Parallèlement à aux fondations en béton, des maisons d’assemblage rapide seront installées et espérons que le quartier sera prêt à être habité à court terme ».
Ainsi ces constructions pour installer des populations dans ce village près de Martouni et d’une importance stratégique pour l’Artsakh sont encourageants.
Krikor Amirzayan
_________________________
7- Les Nouvelles d'Arménie
29/04/2021
Le secrétaire d’Etat souligne l’importance du Groupe de Minsk
Selon Ned Price, porte-parole du Departement d’Etat, le Secrétaire d’Etat Antony J. Blinken s’est entretenu aujourd’hui avec le Président azerbaïdjanais Ilham Aliyev. Le Secrétaire Blinken et le Président Aliyev ont souligné l’importance continue du partenariat bilatéral entre les Etats-Unis et l’Azerbaïdjan, et ont discuté d’une série de questions. Le Secrétaire a souligné l’importance du respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Le Secrétaire a noté l’importance des efforts continus des co-présidents du Groupe de Minsk de l’OSCE pour négocier un règlement politique durable du conflit du Haut-Karabakh bénéficiant à tous les peuples de la région.
_________________________
8- France Culture
29/04/2021
La BNF publie un témoignage inédit sur le génocide arménien
La BNF publie un livre inédit sur le génocide arménien : "Seule la terre viendra à notre secours" reproduit le journal d'une jeune femme déportée, Serpouhi Hovaghian, entre 1915 et 1918. Un récit unique préfacé par l'historien Raymond Kévorkian, qui répond aux questions de France Culture.
C'est un témoignage rare sur le génocide arménien : un carnet rédigé au jour le jour, contemporain des événements qui y sont relatés. Un journal écrit par une jeune femme, Arménienne, entre 1915 et 1918 en Anatolie. Serpouhi Hovaghian (1893-1976) n'avait alors qu'une vingtaine d'années : mère de deux enfants, elle y raconte son quotidien, la mort d'un enfant, l'abandon d'un second, son évasion d'une marche forcée puis sa vie dans la clandestinité dans l'Empire Ottoman. Le génocide arménien, perpétré en pleine Première Guerre mondiale, fera un million et demi de morts.
Récit à la première personne, il est
publié ce jeudi par les éditions de la Bibliothèque nationale de France (BNF), qui ont hérité il y a peu du manuscrit. Le carnet n'a été retrouvé que très récemment par la petite-fille de Serpouhi Hovaghian : l'actrice et écrivaine Anny Romand.
"Je l'ai trouvé en 2014 dans une boîte à chaussures, quand je me suis décidée à trier les affaires de mon oncle, décédé depuis 2008 déjà. Ma grand-mère n'en avait jamais parlé. Son fils encore moins, lui qui n'évoquait jamais le sujet", raconte-t-elle dans une interview à l'Agence France Presse. C'est elle qui a décidé de confier le carnet à la BNF en 2018 :
"Ils l'ont accueilli avec joie. Il était tout petit, abîmé par le temps. Aujourd'hui je leur suis éternellement reconnaissante de le valoriser ainsi".
Le livre présente le récit de Serpouhi Hovaghian – qui écrivait en arménien, grec et français – ainsi qu'une présentation de l'historien spécialiste du génocide arménien
Raymond Kévorkian ; ce dernier a également répondu aux questions de France Culture.
Les Éditions de la BNF présentent ce carnet comme étant un témoignage unique. Pourquoi ?
Il s'agit d'un journal écrit par une déportée alors qu'elle était sur la route. Or, tenir un journal dans ces conditions relevait vraiment de l'exploit. Les autres témoignages que nous connaissons sur cette période ont été écrits quelques mois ou quelques années après la déportation, mais un journal rédigé "à chaud" pendant la déportation, c'est exceptionnel. Je n'en connais pas d'autres.
Comment se situe ce récit dans le génocide arménien, qui commence en avril 1915 ?
Il est écrit par une jeune femme qui a 23 ou 24 ans, mère d'un enfant de 3 ans et d'un autre de quelques mois ; le plus jeune se trouve à l'hôpital à ce moment-là. Cette femme vit au bord de la mer Noire à Trébizonde, pas très loin de la frontière géorgienne, et elle est déportée au mois de juin 1915. Elle fait partie des convois, qui sont essentiellement de femmes, d'enfants et de vieillards qui sont expédiés vers les déserts de Syrie : entre 1 200 et 1 500 kilomètres à pied pour atteindre les camps de concentration. On estime que 20% des personnes survivaient à ces marches de la mort. Elle part du nord et appartient aux groupes qui ont eu à faire les trajets les plus pénibles, les plus mortels. Le jour où on lui demande de rejoindre le convoi, elle réussit à aller à l'hôpital, où elle découvre que sa fille est décédée. L'établissement était géré par le Croissant-Rouge et était une sorte de zone expérimentale pour des jeunes médecins turcs qui ont inoculé des "saloperies", il n'y a pas d'autre mot, aux gamins pour les tuer et qui, après, jetaient les corps dans la mer Noire. Elle est donc partie avec son garçon mais elle le "perd" en cours de route, à peu près 200 kilomètres après le départ. Elle n'est plus en état de le porter et décide de l'abandonner à une paysanne turque qui est sur la route. Ceci dit, elle va le retrouver miraculeusement quatre ans plus tard, dans un orphelinat basé en Géorgie.
Ensuite, elle réussit à fuir son convoi à environ 350 km de son point de départ, au quatrième mois de sa déportation. Elle se cache chez des gens, et elle a un avantage : comme elle est de Trébizonde, où la majorité de la population était grecque, elle est hellénophone. Elle se fait donc passer pour une Grecque et elle travaille plus ou moins discrètement sous la bienveillance d'un notable turc local qui, manifestement, veut l'épouser ; on peut y mettre des guillemets si vous voulez, et elle survit comme ça quelques mois. Et après, elle parvient à s'enfuir vers le nord, vers un autre port de la mer Noire qui s'appelle Giresun, où vit également une population grecque. Et là, c'est une sorte de jeu du chat et de la souris qui va durer presque deux ans entre la police locale et quelques réfugiés qui changent pratiquement tous les jours de cache : c'est du Anne Frank, en quelque sorte, au bord de la mer Noire. Une famille joue un rôle essentiel : les Collaro. Il s'agit de Levantins originaires des îles grecques et qui vont l'accueillir, mais auxquelles elle ne va jamais dire qu'elle est Arménienne. Parce que garder un Arménien à la maison, c'était prendre le risque de se voir confisquer son domicile et même d'être fusillé. Elle sort de la guerre début 1918 et ce carnet nous conte ses diverses aventures vraiment personnelles et comment on survit à une marche de la mort.
Le récit s'arrête quand ?
Il s'arrête en 1918, mais elle n'est pas toujours précise dans les dates. Il faut dire aussi que le manuscrit a une singularité, à l'image du personnage. La moitié du document est en arménien, qu'on a traduit, mais environ 30% du récit est en français – elle était francophone. C'est le fruit des écoles des pères au Proche-Orient à l'époque, et la dernière partie, les 20% restants sont en grec. Cela nécessitait une double compétence et c'est mon collègue Maximilien Girard, qui est conservateur à la BNF, qui s'est occupé évidemment des traductions du grec.
Et après avoir tenu ce carnet, on sait ce qu'est devenue cette femme, elle s'est réfugiée en France.
Oui, mais ça ne s'est pas fait du jour au lendemain. À la fin de la guerre, elle rejoint Constantinople, Istanbul, où elle avait de son côté familial, une sœur mariée, qui va s'occuper d'elle et l'accueillir. Et c'est à partir d'Istanbul, effectivement, qu'elle va migrer vers la France en 1922. On a le document, qu'on a publié d'ailleurs, du consulat français qui lui donne un visa pour arriver à Marseille. Et entre temps, en 1921, grâce à un autre parent qui se trouvait dans la partie russe au Caucase, qui est en train d'être soviétisée, miraculeusement, elle retrouve son fils. C'est cette relation du Caucase qui retrouve son fils. Un enfant dont elle parle souvent dans son journal, où elle se maudit de l'avoir abandonné sur la route. Tous deux arriveront en France ensemble.
Explique-t-elle pourquoi elle a écrit ce carnet ? Car ce journal s'est perdu et elle-même n'en a pas parlé. C'est sa petite fille qui l'a retrouvé en 2014.
J'ai l'impression que cela a une valeur quasi thérapeutique pour elle, cela devait lui faire du bien probablement de mettre par écrit ce qu'elle vivait. "Seule la terre viendra à notre secours" : ce sont ses propos, qu'on a repris. C'est une de ses phrases, parmi d'autres, où elle porte un jugement sur l'humanité. Elle dit : "Si je viens demain à raconter ce qu'on a vécu, l'enfer qu'on a vécu. Personne ne nous croira. On va attacher une petite oreille à ces propos et on va retourner à notre confort quotidien". C'est vraiment un texte très personnel d'une jeune femme désespérée et, en tout cas, cela n'était absolument pas destiné à être publié, c'est évident. Il y a peut être la volonté de laisser un témoignage à son fils et à une éventuelle descendance.
Et par la suite, cette femme n'a pas témoigné sur ce qu'elle avait vécu, sur ce génocide. Elle n'a pas cherché à le faire connaître.
Non, elle s'est installée à Marseille et elle a vécu une petite vie modeste, comme beaucoup de migrants arméniens qui se sont établis dans le sud.
Et vous, en tant qu'historien, qui avez participé à l'édition de ce livre, pourquoi avez-vous souhaité le faire publier ?
C'est la BNF qui a pris l'initiative de le faire publier et c'est la BNF qui a fait appel à moi car j'ai travaillé dans cette institution pendant 17 ans, avant de passer à l'université. J'étais responsable du département arménien, où j'ai fait le catalogue des incunables arméniens, puis le catalogue des manuscrits médiévaux arméniens.
Le moment de la publication n'est pas anodin : aux Etats-Unis, Joe Biden est le premier président américain qui reconnaît la réalité du génocide arménien.
Pour cela, il s'agit d'une coïncidence mais la date de publication est proche du 24 avril, le jour de commémoration tous les ans de ces évènements, et cela est voulu, bien entendu. Pour le reste, vous savez, quand on est face à un déni d'Etat, l'Etat qui a pratiqué ce génocide, ses descendants en tout cas, la relation qui s'établit entre les descendants des victimes et les descendants des bourreaux est assez singulière. Quand l'Etat qui est en face de vous s'est bâti précisément sur ce crime, que ceux qui l'ont bâti sont les criminels qui ont mis en œuvre ce génocide, cela entraîne une singularité dans la relation. La déclaration de Biden est importante en ce sens qu'elle finit d'isoler définitivement la Turquie dans sa posture de déni. Il y a en Turquie une partie de la société qui est parfaitement consciente de l'origine de ce crime mais elle est dans une posture où elle est obligée de se taire. Il y a une répression assez féroce à l'égard des médias et maintenant des universitaires depuis quelques années.
Côté arménien, il faut vivre avec cet héritage… Moi, historien, par exemple, je sais parfaitement dissocier mon héritage personnel, avec mes irritations régulières, et mon travail d'historien où je prends la distance nécessaire pour l'accomplir proprement. Mais il y a au moins un mérite, c'est que ces Arméniens, avec obstination, ont un peu de dignité et n'ont pas oublié ce qui s'est passé. Face à un État relativement puissant avec ses lobbys, ses capacités d'influence à droite et à gauche, sa puissance économique… Malgré ce combat inégal, les Arméniens, les descendants de victimes arméniennes, n'ont jamais renoncé à réclamer justice. C'est leur honneur et il est hors de question de renoncer.
_________________________
9- Paris Match
29/04/2021
Le coup d'éclat diplomatique de Gérard Larcher
(Lire l'article en pièce jointe)
_________________________
10- Marianne
28/04/2021
Joe Biden a reconnu le génocide arménien, Israël à la traîne
Le 24 avril, Joe Biden a officiellement reconnu le génocide arménien, suscitant la colère de la Turquie. Pendant ce temps, Israël s'y refuse pour ne pas froisser un allié historique.
« J’attends la reconnaissance du génocide par les États-Unis. C’est selon moi leur devoir, car le premier témoin de poids et indiscutable du génocide fut Henri Morgenthau, l’ambassadeur américain à Constantinople jusqu’en 1917. Si Washington reconnaît, je pense que la Turquie suivra, car elle ne peut continuer à le nier sans la complaisance des États-Unis », nous confiait, en 2015, Patrick Devedjian, qui fut le principal avocat de la reconnaissance, par la France en 2001, du génocide des Arméniens de 1915.
Si une trentaine de pays l'avaient alors reconnu, parmi lesquels la France, la Russie, et la plupart des pays ayant accueilli sur leur sol une communauté arménienne, manquaient à l’appel les États-Unis, qui comptent en Californie une diaspora arménienne de plus d’un million d’âmes, et Israël, dont l’un des quartiers historiques de Jérusalem est arménien. Ces deux pays, n’avaient pas sauté le pas, soucieux de ne pas fâcher leur allié turc, farouchement négationniste. Nombreux étaient ceux à attendre qu’une reconnaissance pleine et entière ait lieu à l’occasion de la date symbolique du centenaire. Attente déçue.
L'opposition de Trump
L’année suivante, en 2016, ce fut le Bundestag allemand qui, à l’initiative du président des Verts d’origine turque Cem Özdemir, de la CDU et du SPD, franchissait le pas, reconnaissant en outre « le rôle déplorable du Reich allemand qui, en tant que principal allié militaire de l'Empire ottoman (…) n'a rien entrepris pour arrêter ce crime contre l'humanité ». Ce qui suscita une réaction furieuse du président turc Recep tayyip Erdogan, assortie de menaces : « Si ce texte est adopté et que l'Allemagne tombe dans ce piège, cela pourrait détériorer toutes nos relations avec l'Allemagne où vivent trois millions de Turcs et qui est notre alliée dans l'Otan ». Avant de rappeler son ambassadeur…
En 2019, les deux chambres du Congrès américain en firent de même, aussitôt contrées par Donald Trump, soucieux, comme la majorité des Républicains, de ménager la Turquie. Il aura fallu l’arrivée de Joe Biden à la Maison Blanche, et le comportement de plus en plus erratique du sultan d’Ankara, pour que ce vœu s’accomplisse.
« C’est notre responsabilité morale en tant qu’État juif »
Reste toujours Israël, où de plus en plus de voix appellent désormais à reconnaître le premier génocide du XXè siècle. « L’échec d’Israël à reconnaître le génocide arménien est indéfendable », titrait ainsi le Jerusalem Post à l’annonce de la déclaration de Joe Biden, le 24 avril, jour commémoratif pour les Arméniens du monde entier. « De nombreux dirigeants israéliens, écrivait le journal, ont publiquement reconnu le génocide arménien, à plusieurs étapes de l’histoire d’Israël. Mais en tant que nation, l’État juif a refusé de le reconnaître, par peur de la réaction de la Turquie, un État qui a historiquement été un allié clé pour la sécurité d’Israël. Aujourd’hui, la relation avec la Turquie a changé à cause de l’hostilité marquée d’Erdogan envers Israël ».
Yair Lapid, leader du parti Yesh Atid, qui avait introduit une motion en ce sens, en 2019, a pour sa part applaudi l’ « importante déclaration morale de Biden », assurant : « Je continuerai à me battre pour la reconnaissance par Israël du génocide des Arméniens, c’est notre responsabilité morale en tant qu’État juif ».
Pour l’heure, le ministère des affaires étrangères israélien a assuré, dans un communiqué, reconnaître « la souffrance terrible et la tragédie du peuple arménien », sans toutefois prononcer le mot qui fâche Ankara. Avant de conclure : « En ces jours particulièrement, nous et les nations du monde avons la responsabilité d’assurer que de tels évènements ne se produisent plus ». De l’art de la litote…
_________________________
11- Figaro Vox
27/04/2021
Guerre du Haut-Karabakh: «Face à la barbarie, les Arméniens incarnent des valeurs humaines»
FIGAROVOX/TRIBUNE – À l'occasion du 106e anniversaire du génocide arménien, Hovhannès Guévorkian, le représentant de la République d'Artsakh en France rend hommage à ce peuple, une nouvelle fois victime de la guerre.
Par Hovhannès GuévorkianHovhannès Guévorkian est le représentant de la République d'Artsakh en France.
Chaque 24 avril, l'âme des Arméniens de nationalité, d'origine ou de cœur se fige pour commémorer le génocide dont leurs ancêtres furent victimes et dont la négation par la Turquie ravive sans cesse la douleur. Au-delà de l'hommage aux victimes, au-delà de l'espoir que soit un jour réparé ce crime qui inspira avec la Shoah la notion juridique de génocide, les Arméniens de nationalité, d'origine ou de cœur se souviennent aussi de la signification civilisationnelle de leur martyrologe, celle d'une agression contre les valeurs humaines.
Si, dès le 24 mai 1915, les gouvernements français, anglais et russes avaient fait « savoir publiquement à la Sublime Porte qu'ils tiendront personnellement responsables desdits crimes tous les membres du gouvernement ottoman ainsi que ceux de ses agents qui se trouveraient impliqués dans de pareils massacres », c'est bien qu'ils avaient déjà conscience qu'il était là « en présence de nouveaux crimes de la Turquie contre l'humanité et la civilisation ». Et il en est de même pour mon pays l'Artsakh. L'Artsakh, c'est cette terre que les Bolchéviques arrachèrent à l'Arménie pour l'offrir à la République Soviétique d'Azerbaïdjan, créée en 1920 pour des Tatares. L'Artsakh, c'est aussi cette terre de résistance qui recouvra son indépendance en 1991 en sortant du giron azéri quand celui-ci sortit du giron soviétique. L'Artsakh, c'est enfin cette République autodéterminée encore agressée et amputée de son territoire, il y a quelques mois à peine, par cet Azerbaïdjan dictatorial et une Turquie complice.
Ainsi ce 24 avril 2021 a revêtu une résonance particulière, quelques mois après cette guerre inique et disproportionnée. Ainsi, alors que – comme en 1915 – Bakou et Ankara font à nouveau planer la menace génocidaire sur les habitants arméniens de l'Artsakh et de l'Arménie ce 24 avril 2021 fut aussi celui de la reconnaissance du Génocide arménien par Joe Biden, le président des États-Unis d'Amérique.
Ces circonstances rendent frappantes les connivences entre la Turquie et l'Azerbaïdjan. La Turquie qui se mure dans le déni et le mensonge en condamnant comme criminels ceux de ses citoyens qui osent seulement aborder la question, a émis des protestations outrées contre cette nouvelle reconnaissance. Dans la même lignée, les porte-parole de l'Azerbaïdjan et ses zélateurs se succèdent pour geindre toute honte bue dans les médias qu'ils sont ignorés, inaudibles ou incompris de la Communauté internationale.
L'Azerbaïdjan, un régime qui a commandité des pogroms contre ses citoyens arméniens en 1988-1994, faisant des milliers de victimes, brûlées vives, défenestrées, battues à mort, dépecées à la hache, doit-il être compris ?
Un régime qui a fait appel cet automne à des centaines de supplétifs djihadistes et aux forces armées d'une puissance étrangère – la Turquie – pour tenter d'éradiquer les quelque 150 000 Arméniens d'Artsakh – ses propres ressortissants selon son argument captieux d'intégrité territoriale – doit-il être compris ?
Un régime qui a utilisé des armes interdites par les Conventions de Genève, qui a encouragé des décapitations, des profanations de cadavres, des exactions contre des civils sans défense, qui a fièrement revendiqué ses crimes sur les réseaux sociaux doit-il être compris ?
Un régime qui, lors des célébrations de sa victoire à Bakou le 12 décembre dernier, en présence du dictateur turc Recep Tayyip Erdogan, a salué avec lui Talât et Enver, les commanditaires du génocide de 1915, doit-il être compris ?
Un régime qui met en œuvre une politique de nettoyage ethnique, éradiquant ou falsifiant de façon systématique toute trace de présence arménienne sur les territoires annexés en 1921 et réannexés ces derniers jours, doit-il être compris ?
Un régime qui inaugure un macabre « parc des trophées militaires » sur cinq hectares, pour souiller et humilier la mémoire des soldats du camp adverse doit-il être compris ?
Un régime qui prétend conférer une identité nationale aux Azerbaïdjanais en les éduquant à la haine des Arméniens, qu'il faudrait selon lui éradiquer de la surface de la terre doit-il être compris ?
Non, définitivement non ! Un tel régime n'est pas fait pour être compris, il est fait pour être combattu.
Bafouer le Droit international en prétendant que « la force sert le droit », se servir de prisonniers de guerre comme d'otages pour briser l'âme de leurs familles, détruire des sépultures et profaner des monuments ne suffisaient donc pas : les politiques vexatoires, cruelles et menaçantes finissent de démontrer que l'Azerbaïdjan recherche l'anéantissement et non pas la paix et achèvent de déshonorer ce régime.
À l'occasion de ce 24 avril 2021, les gouvernements d'Azerbaïdjan et de Turquie continuent de nous rappeler, à nous les « chiens », les « restes de l'épée », à nous les Arméniens de nationalité, d'origine ou de cœur, que nous n'avons toujours rien à attendre d'eux ; que nous restons l'incarnation des valeurs humaines face à la barbarie ; et que ces régimes ne sont pas faits pour être compris mais pour être combattus.
_________________________
12- Le Droit de Vivre
24/04/2021
Génocide arménien : du négationnisme à la fabrique du déni
Le génocide arménien commence avec la rafle des intellectuels, à Constantinople, le 24 avril 1915. Mis en place par les autorités ottomanes dès 1915, les arguments de la négation du crime n’ont jamais cessé d’être développés et propagés.
Par Boris Adjemian, historien, directeur de la Bibliothèque Nubar de l’UGAB
Les agressions et intimidations menées l’été dernier contre des Arméniens à Décines (Rhône) par de jeunes Franco-Turcs se réclamant de l’organisation turque d’extrême droite des « Loups gris » ; les dégradations répétées de monuments à la mémoire des victimes du génocide ; les déclarations d’amour à Erdoğan et les messages haineux sur les réseaux sociaux, ne sont que quelques exemples des effets sociaux destructeurs du négationnisme et de la manière dont, savamment orchestré depuis des décennies, il contribue chaque jour un peu plus à ancrer le déni dans les esprits. Non plus seulement en Turquie, où nier le génocide des Arméniens et le droit de ceux-ci à la mémoire et à la justice est la norme, mais également dans la diaspora turque et chez tous ceux que pourraient séduire les postures sultanesques de l’actuel président turc. Dans ce contexte, les voix dissonantes et minoritaires sont bien sûr réduites au silence en Turquie, et ce qui demeure de la communauté arménienne sur place reste condamnée à faire profil bas, comme toujours.
Institutionnalisation de la négation du génocide
Il n’est pas sans ironie de constater que, si l’on parle encore tant du génocide des Arméniens de nos jours dans le monde, c’est avant tout en raison du refus de l’État et de la société turcs de le reconnaître et d’affronter leur passé. Si les Arméniens d’Arménie et du Haut-Karabagh analysent tant la guerre contre l’Azerbaïdjan et son allié turc à l’aune de la mémoire du génocide, c’est que sa négation est à la racine de toutes les haines réciproques. Depuis les années 1970, l’institutionnalisation de la négation du génocide en Turquie et dans les représentations turques à l’étranger (c’est également le cas en Azerbaïdjan de nos jours), sa professionnalisation pour ainsi dire, ont été le carburant des mobilisations militantes des descendants des victimes et des rescapés, longtemps si esseulés dans leur combat. Cette systématisation de la négation turque est venue en réponse à la montée des revendications mémorielles arméniennes, après le tournant du cinquantenaire du génocide en 1965. Alors que les communautés arméniennes de la diaspora n’avaient jusqu’alors commémoré le deuil que dans leur for intérieur, la politisation de la mémoire du génocide lui faisait faire irruption dans l’espace public et sur la scène internationale, appelant une réponse organisée — et généreusement financée — des autorités turques qui s’étaient jusqu’alors contenté d’ignorer ces mémoires blessées.
Pierre Vidal-Naquet l’avait bien remarqué : la négation du génocide arménien est singulière parce qu’il s’agit d’un négationnisme d’État. Non pas d’un État « voyou » au ban des nations, mais d’une puissance bien intégrée aux grandes organisations interétatiques, pilier de l’OTAN, ancien candidat et toujours très étroitement lié à l’Union européenne sur une multitude de dossiers. Le discours des autorités turques sur la question du génocide a fluctué. Il s’est parfois sophistiqué, comme dans les années 2000 où le gouvernement turc appelait à des commissions mixtes d’historiens turcs et arméniens pour « étudier les archives » de manière « objective », où Erdoğan présentait des « condoléances » sans jamais prononcer le mot qui fâche, celui de génocide, et où une certaine musique sur les douleurs partagées de la Grande Guerre entre Turcs et Arméniens, et sur les nouveaux mots qu’il faudrait trouver ensemble pour les qualifier, se faisait entendre.
Les Arméniens, toujours des gavur
Fondamentalement, malgré les artifices rhétoriques, l’État et ses représentants n’ont jamais dévié de leur ligne négationniste, quel que soit le régime en place. Il y a une véritable continuité en la matière entre le Comité Union et Progrès, qui a planifié et perpétré le génocide dans l’Empire ottoman, et la République turque actuelle héritière de Mustafa Kemal, lui-même ancien cadre unioniste et promoteur, une fois au pouvoir, d’une réécriture de l’histoire nationale empêchant tout examen de conscience.
Les Arméniens qui vivent en Turquie sont toujours des gavur, des infidèles, comme le sont les Grecs, les juifs, les communistes, les Alévis et autres déviants. Ceux dont les parents ont été islamisés de force en 1915-1916 sont toujours « les restes de l’épée ». « Ermeni » est toujours une insulte. Les enfants des écoles arméniennes d’Istanbul notent toujours docilement, sous la dictée de leurs professeurs d’histoire, turcs, qu’une déportation temporaire pour des raisons liées à la sécurité de l’État a été organisée en 1915. Les manuels scolaires continuent à parler des Arméniens comme des traîtres, et les ministres rappellent régulièrement qu’ils ont été châtiés pour leurs méfaits. Tout est bien.
Dans le beau film de Nuri Bilge Ceylan, Bir Zamanlar Anadolu’da (Il était une fois en Anatolie, 2011), un assassin escorté par des policiers recherche dans des paysages déserts le cadavre de sa victime, mais il ne sait plus où il l’a enterré. C’est justement ça le drame du négationnisme et du déni qu’il a engendré : il n’y a plus de cadavre, il n’y a plus de trace, donc il n’y a plus de crime. Mais il n’y a plus de mémoire non plus.
_______________________
13- Swissinfo
27/04/2021
La Suisse et l’Azerbaïdjan: pas de corruption, mais de la coopération
L'Azerbaïdjan a utilisé la «diplomatie du caviar» pour s’acheter les faveurs de parlementaires européens. Cela n’a pas été nécessaire en Suisse, car les deux pays avaient des intérêts stratégiques communs.
En Allemagne, des personnalités politiques conservatrices de la CDU/CSU sont dans la tourmente pour avoir reçu de généreux cadeaux ou des sommes d'argent de l'Azerbaïdjan.
Le scandale n’est en fait pas nouveau: cette question avait déjà fait les gros titres en 2012, lorsque le groupe de réflexion «European Stability Initiative» avait révélé comment l'Azerbaïdjan avait corrompu des parlementaires du Conseil de l'Europe. Lesquels avaient, en retour, pris parti pour le pays dans le Caucase. Le procédé avait alors été surnommé «diplomatie du caviar».
Des cas de corruption n'ont cessé d'être révélés depuis, plusieurs élus et élues d'autres pays européens s'étant également volontiers laissés amadouer par l’Azerbaïdjan. En Italie et en Espagne, notamment, des procédures sont en cours dans le cadre d'accusations de corruption.
En Suisse, il n'y a jamais eu d'enquête ou de condamnation en lien avec la «Caviar Connection». Cependant, des personnalités politiques suisses comme les libéraux
Doris Fiala et Dick Marty, qui ont tous deux siégé pendant un certain temps au Parlement européen, ont aussi évoqué publiquement des cadeaux et autres appels du pied que leur ont faits les délégations azerbaïdjanaises.
Andreas Gross, représentant parlementaire de longue date de la Suisse auprès du Conseil de l'Europe et premier rapporteur du Parlement européen pour l'Azerbaïdjan, se souvient de cette époque et de tentatives manifestes d'influence et de corruption.
«J'ai moi-même eu de grosses disputes avec Eduard Lintner, qui voulait passer sous silence toutes les violations des droits humains commises par le dictateur azéri», déclare-t-il. Eduard Lintner, membre allemand de la CSU, a participé à des missions d'observation électorale en Azerbaïdjan, auxquelles Andreas Gross a également assisté.
Le Suisse, qui s’est rendu dans le pays des dizaines de fois, n'a jamais caché sa conviction que les élections étaient truquées. Cela a entraîné de graves conflits avec Eduard Lintner, considéré comme l'une des figures les plus importantes de la «Caviar Connection». Il fait actuellement l’objet d’enquêtes en Allemagne.
Liés politiquement…
Indépendamment des événements survenus au Conseil de l'Europe, la Suisse et l'Azerbaïdjan se sont rapprochés au début des années 2000, en raison notamment du gaz naturel: la Suisse souhaitait diversifier ses sources d'énergie, c'est-à-dire réduire sa dépendance vis-à-vis du gaz russe.
De ce point de vue, elle était alignée avec l'Europe. À l'époque, l'Union européenne ambitionnait de mettre en place le «corridor gazier méridional», qui devait permettre de transporter du gaz naturel de l'Azerbaïdjan vers le sud de l'Europe via la Turquie.
Une partie de ce corridor gazier est couverte par le Trans Adriatic Pipeline (TAP), un gazoduc de 878 kilomètres transportant du gaz naturel azerbaïdjanais à travers la Grèce et l'Albanie jusqu'en Italie, en service depuis fin 2020.
Jusqu'en 2013, la diplomatie suisse a activement fait avancer le projet: des délégations azerbaïdjanaises ont été reçues par les conseillères et conseillers fédéraux une douzaine de fois et, à la même période, des membres du gouvernement se sont rendus neuf fois dans le pays de la mer Caspienne. En outre, de nombreuses réunions ont eu lieu à un niveau inférieur.
C'est beaucoup de soutien diplomatique pour un projet privé, ce qui montre bien que la réalisation du TAP était un objectif de la politique étrangère suisse.
L'entreprise suisse Stadler Rail a également bénéficié des efforts déployés pour établir de bonnes relations avec l’Azerbaïdjan. En 2014, elle a reçu une commande de 120 millions de francs suisses de Bakou. Lorsque le journal Blick a interrogé le chef d'entreprise Peter Spuhler sur la situation politique dans le pays, ce dernier a répondu: «Nous ne pouvons pas nous préoccuper des droits humains pendant les négociations».
Peu de temps auparavant, en juin 2013, TAP avait déjà obtenu de la part de la Suisse un contrat de transport de gaz naturel. À l'époque le groupe énergétique suisse Axpo, basé dans le canton de Zoug, détenait 42,5% du TAP. Un mois plus tard, Axpo a vendu la majorité des actions et détient depuis 5% des actions du pipeline.
Le fait que la Suisse s'engage à ce point a suscité l'étonnement jusqu’au Parlement. Dans une
interpellation de 2013, par exemple, le conseiller national vert Bastian Girod a cherché à savoir pourquoi le Conseil fédéral soutenait «de tels projets, non seulement très dommageables pour le climat, mais aussi extrêmement discutables du point de vue des droits humains, des normes sociales et de la corruption».
«Bien sûr, j’ai la même position critique aujourd’hui qu’à l’époque», a déclaré Bastien Girod lorsqu'on l’a interrogé. D’autant qu’en matière de politique climatique, la construction de nouvelles infrastructures pour les énergies fossiles irait à l'encontre de l'objectif d'un réchauffement limité à 2 degrés.
La Suisse a également collaboré étroitement avec l'Azerbaïdjan au niveau multilatéral. Au Fonds monétaire international et à la Banque mondiale, les deux pays forment, avec d'autres pays d'Asie centrale, le groupe de vote «Helvetistan». Cette décision a été prise à l’initiative de la Suisse, qui voulait s'assurer un siège dans les organes directeurs et dépendait pour cela de ses partenaires.
…et encore plus liés économiquement
On sait désormais que l'Azerbaïdjan présente de nombreuses caractéristiques des dictatures classiques: prisonniers politiques,
répression de l’opposition,
médias muselés… Le pays obtient de mauvais résultats selon presque tous les indicateurs pertinents. Pourtant, lorsque la Suisse a lancé le projet TAP, les médias occidentaux parlaient à peine de l'Azerbaïdjan. Et Berne n’a pas émis une seule critique de Bakou méritant d'être mentionnée.
La même chose peut être dite des autres États européens. Toutefois, très peu d’entre eux entretiennent avec l'Azerbaïdjan des liens économiques aussi étroits que la Confédération.
Cela s'explique principalement par le fait que la Suisse joue le rôle de plaque tournante dans le secteur de l'énergie: l’entreprise publique d'énergie azerbaïdjanaise Socar possède plusieurs filiales dans le pays alpin.
Leur activité sur le marché intérieur a récemment été portée à l'attention du public de manière plutôt brutale. En 2012, Socar a racheté toutes les stations-service Esso. Le groupe Migros, qui en exploite les magasins, collabore avec la société azerbaïdjanaise depuis cette date.
Une coopération rentable, mais qui a aussi son revers: lorsque Socar s'est livré à une propagande guerrière sur ses réseaux sociaux pendant le conflit entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan à l’automne 2020, le détaillant suisse s’est vu
vertement critiqué par des personnalités politiques helvétiques.
Le modèle économique n'a pas changé pour autant. Sponsor principal du Montreux Jazz Festival, Socar est également devenu un acteur majeur du mécénat culturel suisse.
«Il est clair que la Migros a un problème avec son partenaire, qui se livre ouvertement à de la propagande de guerre. Je ne fais sûrement pas le plein à Socar. Et la semaine prochaine, j'organise une rencontre entre la Migros et des Arméniens de Suisse. Beaucoup d'explications sont nécessaires.»
Par ailleurs, et c'est bien plus important, les filiales de Socar sont aussi responsables du commerce du pétrole et du gaz azerbaïdjanais sur le marché mondial. Les profits tirés de la vente d'énergie fossile ont été dans une large mesure affectés à l'armement militaire, sans lequel la guerre n’aurait pas été possible, comme l'a récemment souligné le dirigeant Aliyev
dans un discours.
La victoire sur son ennemi honni qu'est l'Arménie a dopé sa popularité. Et semble lui avoir aussi fait oublier la retenue, comme le montre la photo ci-dessous. On y voit Ilham Aliyev, vêtu d'un treillis militaire, marchant à travers des rangées de casques de soldats arméniens tombés au combat l’année dernière et exposés dans un tout récent «parc de trophées militaires». L’image en dit long.
Giannis Mavris
___________________
14- Les Nouvelles d'Arménie
28/04/2021
https://www.armenews.com/spip.php?page=article&id_article=78475
Interview de S.E.M. l’Ambassadeur Christian Ter Stepanian, Délégué permanent de la République d’Arménie auprès de l’UNESCO
Nouvelles d’Arménie Magazine : Que fait et qu’envisage de faire l’Arménie pour obtenir une implication de l’UNESCO en faveur de la protection des monuments arméniens situés dans les zones occupées par l’Azerbaïdjan.
Christian TER STEPANIAN : Je veux, en premier lieu, préciser que l’Arménie est maintes fois intervenue auprès de l’UNESCO durant l’agression turco-azerbaïdjanaise contre l’Artsakh dans un contexte ou le patrimoine culturel arménien – j’ai notamment à l’esprit les graves dommages causés à la cathédrale Sainte Sauveur Ghazanchetsots de Chouchi – faisait l’objet d’attaques intentionnées de la part des forces armées azerbaïdjanaises.
Après la Déclaration tripartite du 9 novembre 2020 qui a mis fin aux hostilités dans et autour de la zone de conflit du Haut-Karabagh, les autorités compétentes de la République d’Arménie, que ce soit le Ministère des Affaires étrangères, le Ministère de l’Education et de la Culture, la Commission nationale arménienne pour l’UNESCO ou encore les Défenseurs des Droits de l’Homme d’Arménie et d’Artsakh ont, à plusieurs reprises, exprimé à la Directrice générale de l’UNESCO leurs profondes préoccupations concernant les actes de vandalisme et destructions des biens culturels arméniens situés sur les territoires passés sous le contrôle des forces armées azerbaïdjanaises, mais aussi à propos des tentatives de l’Azerbaïdjan de s’approprier le patrimoine culturel arménien.
Nous avons alors nourri le Secrétariat de l’UNESCO ainsi que les délégations permanentes des Etats membres auprès de l’UNESCO, de mémorandums, de documents photographiques et vidéos attestant les nombreux actes de vandalismes et de destructions délibérées perpétrés par l’Azerbaïdjan ; chacun gardera à l’esprit les dommages infligés à la cathédrale « Kanach Zham » (Saint-Jean-Baptiste) à Chouchi.
Dans cette action de sensibilisation, nous avons pu apprécier la mobilisation des organisations non gouvernementales, telles que Terre et Culture, l’UGAB ou le CDCA ainsi que des nombreuses personnalités intellectuelles internationales.
Eu égard les informations reçues et prenant en compte les différentes démarches effectuées, Madame Audrey Azoulay, Directrice générale de l’UNESCO, après consultations et accord des parties concernées, a pris l’initiative de proposer, fin novembre 2020, l’envoi d’une mission de l’UNESCO dans et autour du Haut-Karabagh en vue d’évaluer l’état des biens culturels de la région, en s’appuyant sur les dispositions de la Convention de 1954 pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé et ses deux Protocoles.
L’Arménie a accueilli favorablement cette proposition qui fût notamment discutée lors de l’entretien entre la Directrice générale de l’UNESCO et S.E.M. Ara Aivazian, Ministre des Affaires étrangères d’Arménie, lors de sa visite à l’UNESCO, le 8 décembre dernier.
L’Arménie s’est ainsi engagée d’une façon constructive dans sa préparation, notamment en fournissant au Secrétariat de l’UNESCO une liste exhaustive des biens culturels et religieux arméniens, plus de 4000 monastères, églises, pierres à croix (Khatchkar) et autres monuments, localisés en Artsakh et dans ses alentours qui témoignent de la richesse de ce patrimoine.
La proposition de l’UNESCO ne se résumait pas à l’envoi d’une seule mission mais d’une série de missions rendues nécessaires pour effectuer une évaluation aussi complète que possible de l’état des biens culturels dans le Haut-Karabagh et de ses alentours.
Dans cette perspective, la liste transmise contenait également une liste de monuments situés dans la région de Chahoumian qui, comme chacune le sait, recèle des trésors du patrimoine culturel arménien.
Une liste plus ciblée de biens culturels susceptibles d’être visités dans le cadre d’une mission préliminaire a également été communiquée au Secrétariat de l’UNESCO.
Cette proposition reçut également, au mois de décembre 2020, le soutien du Comité intergouvernemental pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé du Deuxième Protocole de la Convention de 1954 qui a adopté une Déclaration, avec l’accord de l’Arménie et de l’Azerbaïdjan, appelant à la protection des biens culturels au sein du Haut-Karabagh et ses alentours, et saluant l’initiative de l’UNESCO d’effectuer, dès que possible, une mission technique indépendante d’évaluation de la situation de ces biens culturels.
Vous aurez donc compris que cette mission de l’UNESCO se ferait avec l’implication et l’accord de toutes les parties concernées.
NAM : De quels moyens dispose concrètement l’UNESCO pour protéger ce patrimoine ? Que peut-on attendre de cette organisation ?
CTS : La responsabilité de l’organisation de cette mission technique indépendante revient au Secrétariat de l’UNESCO qui peut s’appuyer sur une expérience, un savoir-faire technique et une logistique.
Il dispose ainsi d’une liste d’experts ayant des compétences dans le domaine de la protection des biens culturels qu’il est en mesure de mobiliser.
Tout aussi important, l’UNESCO est investie de la tache de mener les consultations avec les parties en vue de la mise en place de la mission, qui, dans le cadre de la Convention de 1954 et du format agréé de la mission, requiert l’accord des parties.
NAM : Dans ce contexte, quelle a été la position de l’Azerbaïdjan ?
CTS : Bien qu’ayant donné son accord de principe, l’Azerbaïdjan n’a cessé, depuis le début, de créer des obstacles artificiels et motivés politiquement à la mise en œuvre de la mission, notamment en faisant trainer délibérément les préparatifs de la mission ou en essayant d’en changer son format.
Ce n’est pas un hasard si l’UNESCO, dans une communication datée du 21 décembre 2020, fait publiquement savoir qu’en dépit de sollicitations multiples qui se sont avérées infructueuses, « Seule la réponse de l’Azerbaïdjan est encore attendue pour que l’UNESCO puisse aller de l’avant avec l’envoi d’une mission sur le terrain ».
Force est aujourd’hui de constater que la situation est restée inchangée ; les discussions perdurent et la mission n’a toujours pas pu être effectuée.
A l’évidence, les autorités azerbaïdjanaises redoutent que les experts de l’UNESCO puissent avoir accès à des sites culturels arméniens où des actes de destruction sont avérés ou pourraient être attestés.
Il est vrai que l’appel du Président azerbaïdjanais à supprimer les inscriptions arméniennes anciennes figurant sur les murs des églises arméniennes, lancé lors d’une visite à une église arménienne du XVIIe siècle dans la région d’Hadrout de l’Artsakh, le 15 mars dernier, est une véritable incitation au vandalisme et ne laisse présager rien de bon sur l’état des biens culturels arméniens dans les territoires passés sous le contrôle de l’Azerbaïdj