Paris souhaite un règlement politique et soutient une mission de l’Unesco pour protéger le patrimoine.
PHILIPPE GÉLIE @geliefig
FRANÇOIS BOUCHON/ LE FIGARO
Manifestation d’Arméniens pour la « reconnaissance » par la France et la communauté internationale de l’indépendance du Haut-Karabakh, le 25 octobre à Paris.
Mise sur la touche par six semaines de combats et un accord de cessez-le-feu négocié sans elle, la France tente de reprendre pied dans le Haut-Karabakh. Sa qualité de coprésidente – au côté de la Russie et des États-Unis – du « Groupe de Minsk », missionné en vain pour négocier la paix entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie depuis près de trois décennies, lui offre une petite porte d’entrée qu’elle espère exploiter.
L’entourage d’Emmanuel Macron met en avant son activisme ces dernières semaines, concrétisé par « une quinzaine de longues conversations » téléphoniques avec le président russe, Vladimir Poutine, le président azerbaïdjanais, Ilham Aliev, et le premier ministre arménien, Nikol Pachinyan. Le chef de l’État a aussi évoqué le dossier avec le chef de la diplomatie américaine, Mike Pompeo, de passage à Paris cette semaine, et avec le président élu Joe Biden, qu’il a appelé pour le féliciter. Deux absents de marque de ces consultations tous azimuts: Donald Trump, apparemment trop occupé à contester le résultat des élections, et le président turc, Recep Tayyip Erdogan, qui a pourtant armé le bras de Bakou dans son offensive au Haut-Karabakh. «Le rôle de la Turquie sera abordé dans le cadre de l’Otan », avertit une source diplomatique.
Soulignant que « la France est attendue » dans la région, notamment par les Russes qui voudraient « éviter un tête-à-tête avec la Turquie», Paris envisage trois niveaux d’intervention: politique, humanitaire et culturel. Politiquement, il s’agit d’intercéder en faveur d’une « solution négociée entre les parties» sur plusieurs enjeux laissés de côté par l’accord de cessez-le-feu russe du 9 novembre: le statut international du Haut-Karabakh, le retour des réfugiés, le départ des quelque 2000 djihadistes syriens déployés par la Turquie en appui de l’Azerbaïdjan… S’y ajoutent la définition des mécanismes de contrôle de la trêve, sur lesquels Moscou semble encore tâtonner, et la question de la souveraineté de l’Arménie, soulevée par l’établissement d’un corridor entre le Nakhitchevan et l’Azerbaïdjan.
Sur le terrain humanitaire, la France demande que plus de 120000 Arméniens chassés par les combats puissent retourner chez eux – même si beaucoup ont préféré incendier leur maison plutôt que la laisser à l’ennemi. Un avion-cargo chargé de 20 tonnes d’aide gouvernementale partira pour Erevan ce dimanche, avant une deuxième cargaison de 50 tonnes le 27 novembre, incluant du matériel rassemblé par la communauté arménienne de France (tentes, couvertures, groupes électrogènes, médicaments).
Diplomatie souterraine
La préservation du patrimoine culturel et religieux, enfin, « tient énormément à coeur» au président français. Il a reçu jeudi Audrey Azoulay, la directrice générale de l’Unesco, dont il soutient l’initiative : mettre sur pied une mission « d’inventaire » composée d’experts internationaux, afin de vérifier l’état des sites culturels et religieux, chrétiens mais aussi musulmans – qui, s’ils ne figurent pas sur la liste du patrimoine mondial, «doivent être protégés et transmis aux générations futures », dit Mme Azoulay.
L’Unesco s’appuie sur une Convention internationale de 1954 visant à la protection du patrimoine en temps de guerre, qui n’a jamais été actionnée de la sorte, a fortiori dans une région jusqu’ici inaccessible à l’organisation onusienne. Les premiers contacts avec les deux camps n’ont pas fermé la porte et l’Unesco se montre prudemment optimiste sur la possibilité d’envoyer cette mission sur le terrain vers la fin de l’année. En attendant, une «diplomatie souterraine » vise à sensibiliser aux enjeux culturels les 2 000 soldats russes chargés du maintien de la paix.
«Même les Russes admettent qu’il reste du travail, dit-on à Paris. Tout le monde comprend l’intérêt d’agir dans le cadre du Groupe de Minsk. Nous ne pouvons rien imposer aux parties, mais sans un règlement négocié durable, il y aura toujours un risque d’embrasement. »
_____________________________________________________ 2. Les Nouvelles d'Arménie
L’Unesco propose l’envoi d’une mission d’experts au Nagorny Karabakh
Paris, (AFP) – L’Unesco a proposé d’envoyer une mission d’experts au Nagorny Karabakh, « avec l’accord des parties concernées », pour faire un inventaire des biens culturels de la région, a annoncé vendredi l’organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture, basée à Paris.
Au cours de rencontres mercredi avec les représentants de l’Arménie et de
l’Azerbaïdjan, sa directrice générale, Audrey Azoulay, "a proposé le concours
technique des services de l’Unesco« en vue d’une éventuelle »mission sur le
terrain afin de dresser un inventaire préliminaire des biens culturels les
plus significatifs, comme préalable à une protection effective du patrimoine
de la région".
A ses interlocuteurs, Mme Azoulay a "réaffirmé la dimension universelle du
patrimoine culturel, témoin de l’histoire et indissociable de l’identité des
peuples, que la communauté internationale a le devoir de protéger", selon un
communiqué de l’Unesco.
Elle a notamment évoqué la Convention de La Haye de 1954 pour la protection
des biens culturels en cas de conflit armé qui permet au secrétariat de
l’Unesco d’envoyer une telle mission. Néanmoins, cela ne s’est jamais produit
; ce serait donc une première.
Ces dernières semaines, l’Unesco a reçu, des deux parties en conflit, un
flot d’informations sur des violations présumées touchant le patrimoine et les
biens culturels du Haut Karabakh : destructions, vandalisme…
Pour s’assurer de la possibilité de la mise en œuvre d’une telle mission,
Audrey Azoulay a mené une série de consultations, ces derniers jours, avec
l’Azerbaïdjan et l’Arménie, mais aussi avec les coprésidents du groupe de
Minsk (France, Russie, Etats-Unis) de l’OSCE, médiateurs dans ce conflit.
Ayaz Gojayev, délégué permanent adjoint de l’Azerbaïdjan auprès de l’Unesco
et Christian Ter Stépanian, ambassadeur arménien, délégué permanent auprès de l’Unesco, ont chacun manifesté « une ouverture sur le principe », ont indiqué à
l’AFP des sources proches du dossier.
Mme Azoulay s’est entretenue en début de semaine avec l’ambassadeur russe
auprès de l’Unesco, après que le président russe Vladimir Poutine et son
ministre des Affaires étrangères Serguei Lavrov eurent évoqué leur souhait que
l’Unesco s’engage pour la protection du patrimoine, selon l’organisation.
« Fenêtre d’opportunité »
Elle a poursuivi ses consultations jeudi soir auprès du président français
Emmanuel Macron qui a apporté son soutien à l’initiative de l’Unesco,
indique-t-on de mêmes sources, avant de s’entretenir vendredi à 13h00 (12h00 GMT) avec le ministre russe des affaires étrangères Sergueï Lavrov.
Ce dernier l’a "félicitée pour cette initiative et a apporté le plein
soutien de la Russie", selon ces sources. Lors de cette conversation
téléphonique ont notamment été évoquées « les prochaines étapes et l’importance de l’appui politique à cette initiative ».
L’Unesco devrait poursuivre les contacts "avec tous les acteurs qui
souhaitent y contribuer".
Si la prudence reste de mise, "on a le sentiment à l’Unesco qu’il existe
une fenêtre d’opportunité et qu’on a les bases pour avancer", alors que depuis
la première guerre des années 90, l’agence onusienne n’a jamais pu se rendre
dans cette région, malgré des tentatives en ce sens.
Le Haut Karabakh, enclave indépendantiste d’Azerbaïdjan soutenue par
l’Arménie avait déjà été le théâtre d’une guerre ayant fait plus de 30.000
morts au début des années 1990.
Une fois les conditions politiques réunies, il restera la phase pratique de
l’envoi d’une telle mission, complexe et qui devrait prendre plusieurs
semaines.
Devront notamment être déterminés le périmètre de la mission — l’Unesco
souhaitant pouvoir accéder aux zones géographiques des deux côtés —, les
biens qui seront visés, et la composition même de la mission, avec le choix
d’experts « incontestables ». Une phase « compliquée » aussi.
Erevan veut renforcer la coopération militaire avec Moscou
Erevan, 21 nov 2020 (AFP) – Le Premier ministre arménien, Nikol Pachinian,
a prôné samedi un renforcement de la coopération militaire avec la Russie,
après la défaite militaire cuisante dans la guerre du Nagorny Karabakh face à
l’Azerbaïdjan.
"Nous espérons que nous pourrons renforcer la coopération avec la Russie
non seulement dans le domaine de la sécurité, mais aussi la coopération
militaire et technique", a déclaré M. Pachinian, cité par son service de
presse, lors d’une rencontre à Erevan avec le ministre russe de la Défense,
Sergueï Choïgou.
"Bien sûr, il y avait des temps durs avant la guerre, mais la situation
aujourd’hui est encore plus difficile", a-t-il estimé.
L’Arménie et l’Azerbaïdjan ont conclu le 9 novembre sous le patronage russe
un cessez-le-feu au Nagorny Karabakh après six semaines de violents combats
dans cette république autoproclamée, accordant des gains territoriaux
importants à l’Azerbaïdjan. Ce dernier récupère ainsi des zones qui lui
échappaient depuis trois décennies.
Cet accord, qui prévoit le déploiement de quelque 2.000 soldats de la paix
russes au Nagorny Karabakh, a consacré une défaite arménienne, mais a permis
la survie de cette enclave montagneuse disputée depuis des décennies par Bakou
et Erevan.
« Pour nous, le principal est d’empêcher l’effusion de sang », a assuré M.
Choïgou, qui s’est rendu samedi dans la capitale arménienne avec une
importante délégation russe comprenant notamment le chef de la diplomatie
Sergueï Lavrov.
Cette visite intervient au lendemain de la récupération par l’Azerbaïdjan
du contrôle du district d’Aghdam, cédé par les séparatistes arméniens du
Nagorny Karabakh aux termes de l’accord de paix.
Ce district faisait partie du glacis sécuritaire formé par les séparatistes
autour de leur enclave.
Il s’agit de la première des trois rétrocessions à l’Azerbaïdjan de
territoires que contrôlaient les forces arméniennes depuis près de 30 ans, à
l’issue d’une première guerre qui avait fait à l’époque 30.000 morts et des
centaines de milliers de déplacés, dont notamment la population
azerbaïdjanaise d’Aghdam.
En Arménie, l’accord de fin des hostilités continue d’agiter une frange de
l’opposition qui accuse Nikol Pachinian d’être un « traître » et réclame sa
démission. Celui-ci exclut tout départ mais a remplacé vendredi deux
ministres, dont celui de la Défense, quelques jours après le limogeage du chef
de la diplomatie.
____________________________________________________________ 4. Les Nouvelles d'Arménie
Paris envisage de contraindre « beaucoup plus » la Turquie
Paris, 21 nov 2020 (AFP) – Le prochain Conseil européen se penchera sur la Turquie et pourrait la contraindre « beaucoup plus » à cause de son comportement « inadmissible » au Haut-Karabakh, a prévenu samedi le ministre français délégué au Commerce extérieur, Franck Riester.
Interrogé sur France Inter, M. Riester a fustigé l’attitude d’Ankara autour des appels à boycott de produits français dans certains pays musulmans sur fond de controverse sur les caricatures du prophète Mahomet. "La Turquie joue un rôle condamnable en matière d’instrumentalisation du discours du président de la République ou des positions de la France afin de nuire à la France et de nuire aux valeurs que porte la France", a-t-il jugé. Il a rappelé les autres griefs de Paris envers Ankara : "On souhaite que la Turquie change, on souhaite que ce comportement change, ce comportement expansionniste en Méditerranée orientale avec ces forages qui portent atteinte
à la souveraineté chypriote et grecque".
M. Riester a aussi appelé à ce que la Turquie "cesse ce comportement notamment en Afrique du Nord avec un certain nombre de trafics d’armes" et qu’elle "cesse d’instrumentaliser la question migratoire par rapport à l’Europe, on sait bien qu’ils jouent sur cette corde-là et ce n’est plus possible« . »La Turquie est un grand peuple, un grand pays avec lequel on a envie
d’avoir des relations diplomatiques et économiques mais avec lequel on doit avoir un discours de vérité car on ne peut pas continuer comme ça« , a-t-il dit. »C’est un discours que porte l’Europe, et pas simplement la France et c’est la raison pour laquelle une nouvelle fois au prochain Conseil européen, cette question turque sera abordée pour voir de quelle manière on contraint peut être un peu plus, voire beaucoup plus, la Turquie parce que son comportement notamment dans la crise du Haut-Karabakh est inadmissible", a-t-il ajouté.
Après une série de contentieux, l’Union européenne a condamné fin octobre les provocations « totalement inacceptables » d’Ankara mais renvoyé à son sommet de décembre toute prise de décision sur d’éventuelles sanctions.
Sur la question du Nagorny Karabakh, l’Azerbaïdjan et l’Arménie ont signé la semaine dernière un accord parrainé par la Russie qui a mis fin à plusieurs semaines d’affrontements meurtriers dans cette région séparatiste d’Azerbaïdjan à majorité arménienne.
La France a depuis appelé la Russie à lever les « ambiguïtés » entourant ce cesser-le-feu, notamment sur le rôle de la Turquie, qui a armé et soutenu l’Azerbaïdjan et dont l’influence est croissante dans la région.
____________________________________________________________ 5. Les Nouvelles d'Arménie
Opération de propagande miroir en Azerbaïdjan Par Arshaluys Barseghyan
Depuis le premier jour de la guerre d’Artsakh 2020, en plus de répandre de la désinformation et des informations paniques dans les médias de masse par le biais de faux comptes volés, de générer des tendances artificielles sur Twitter et de créer du matériel de propagande mis en scène, la partie azerbaïdjanaise a également eu recours à la méthode du miroir.
Miroir 1 : Mercenaires
Des rapports de mercenaires de groupes militants soutenus par la Turquie envoyés en Azerbaïdjan depuis le nord de la Syrie sont apparus à la suite des affrontements entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan en juillet de cette année.
Tout d’ abord, les médias arabes ont écrit à ce sujet. Puis le 21 septembre, un enregistrement audio a été publié par la journaliste américaine Lindsey Snell. Sa source a déclaré que, du 27 au 30 septembre, 1000 hommes de l’armée syrienne libre soutenue par la Turquie devaient être envoyés en Azerbaïdjan. Dans son tweet, la journaliste a également noté avoir entendu de plusieurs sources que certaines étaient déjà là.
Le 23 septembre, les coordonnées personnelles de 50 mercenaires envoyés en Azerbaïdjan ont été publiées .
Au cours des jours qui ont suivi le déclenchement de la guerre le 27 septembre, des plateformes internationales réputées telles que The Guardian , The Investigative Journal , Novaya Gazeta, BBC , The New York Review , The Washington Post, France 24 et d’autres ont écrit sur la présence de mercenaires, l’un après l’autre.
Le président français Emmanuel Macron a dénoncé le transfert d’au moins 300 Syriens des groupes djihadistes soutenus par la Turquie vers l’Azerbaïdjan. Quelques jours plus tard, des déclarations et des préoccupations similaires ont été exprimées par la Russie, y compris par le président Vladimir Poutine lui-même.
Les États-Unis ont averti leurs citoyens d’un risque d’attentats terroristes d’abord en Turquie , puis le lendemain en Azerbaïdjan . L’Iran a annoncé qu’il n’autoriserait pas la présence de terroristes à proximité de ses frontières.
Malgré des témoignages publiés dans les médias, des fuites de photos et de vidéos de mercenaires participants et des déclarations politiques, Ankara et Bakou nient officiellement l’implication de mercenaires.
Le 28 septembre, l’ambassadeur d’Azerbaïdjan en Turquie a décidé que les parties arméniennes impliquaient des mercenaires armés. Il a allégué que l’Arménie avait engagé des miliciens du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) basé en Turquie pour former la partie arménienne du Haut-Karabakh et recruté des combattants de l’Armée secrète arménienne pour la libération de l’Arménie (un groupe terroriste des années 1980 qui disparu depuis des décennies). C’étaient des fabrications complètes mais jouaient parfaitement dans le jeu du blâme des « deux côtés ».
Miroir 2 : conversations interceptées
Le 3 octobre, le Service national de sécurité (NSS) d’Arménie a publié des conversations interceptées prouvant l’implication de la Turquie et de mercenaires-terroristes dans les opérations militaires.
Le contenu se composait de trois parties. Dans la première partie, certaines coordonnées sont échangées en turc et en azerbaïdjanais. Elle est suivie d’une conversation entre un soldat azerbaïdjanais et un mercenaire arabe. La dernière partie est une conversation entre mercenaires.
Trois jours plus tard, le 6 octobre, le service de sécurité de l’État d’Azerbaïdjan a diffusé une vidéo de 3 minutes en arabe. Le contenu prétendument intercepté prouve la thèse de Bakou et d’Ankara selon laquelle la partie arménienne utilise des mercenaires-terroristes étrangers, en particulier des terroristes kurdes amenés d’Irak et de Syrie, qui seraient liés au Parti des travailleurs du Kurdistan.
L’enregistrement publié par l’Azerbaïdjan est une réplique miroir du contenu publié précédemment par la partie arménienne. Par exemple, soi-disant en référence aux mercenaires qui viennent d’arriver en Artsakh, la personne sur place dit : « Ils sont venus en vain, il y a de grandes pertes et la situation est mauvaise. » Il regrette alors d’être venu lui-même.
La vidéo prend même soin d’inclure un échange dans lequel l’un d’eux s’enquiert de la présence de Turcs sur le champ de bataille (ce que, naturellement, l’interlocuteur nie). Cette vidéo est ensuite présentée comme la preuve que la Turquie n’est pas impliquée dans la guerre.
La présence de F-16 turcs a été découverte par le spécialiste des enquêtes visuelles du New York Times, malgré le refus continu de l’Azerbaïdjan.
Miroir 3 : Munitions à fragmentation
Des images d’une attaque contre Stepanakert utilisant des armes à sous-munitions ont été publiées le 4 octobre. Le lendemain, Amnesty International a signalé l’utilisation d’une bombe à fragmentation de fabrication israélienne tirée par l’Azerbaïdjan.
Les armes à sous-munitions dispersent les bombes sur une vaste zone. Environ un cinquième d’entre eux n’explosent pas et constituent une menace permanente pour les civils. Cette arme est interdite par la Convention sur les armes à sous-munitions signée par plus de 100 États. L’Arménie et l’Azerbaïdjan ne sont pas parties à cette convention.
Deux jours après cette publication, tard dans la soirée du 6 octobre, Hikmet Hajiyev, conseiller du président azerbaïdjanais, a annoncé que l’Arménie avait lancé un missile à fragmentation en direction de l’oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan. Plus de 300 bombes à fragmentation auraient atterri à dix mètres de l’oléoduc, mais l’oléoduc n’a en aucun cas été endommagé.
La photo publiée par Hajiyev n’a cependant pas particulièrement convaincu les experts militaires. L’un d’eux, Rob Lee, a écrit sur Twitter : « Il semble terriblement suspect que toutes ces armes à sous-munitions atterrissent si près les unes des autres »
Cette publication de Hajiyev a été suivie de deux ( un et deux ) articles similaires sur le lancement présumé d’armes à sous-munitions par l’Arménie en direction des colonies.
Les affirmations de la partie arménienne ont été confirmées par l’organisation internationale de défense des droits humains Human Rights Watch, dont les représentants ont enregistré quatre cas de ce type en octobre. L’organisation n’a pas été en mesure de vérifier de manière indépendante les affirmations similaires de l’Azerbaïdjan.
Ce n’est que le 29 octobre qu’Amnesty International a confirmé que la partie arménienne avait utilisé des bombes à fragmentation sur la ville de Barda la veille.
Miroir 4 : Musique parmi les ruines
Le dimanche 8 octobre, la cathédrale Saint-Sauveur Ghazanchetsots de Chouchi a été bombardée. Ce n’était pas seulement une attaque contre le patrimoine spirituel et culturel, mais aussi contre des civils pacifiques qui s’y réfugiaient et ceux qui visitent la cathédrale pour la prière.
Le président azerbaïdjanais Ilham Aliyev a mis en doute le fait que son armée ait mené la frappe. Il a considéré que c’était une « provocation » arménienne fabriquée pour accuser l’Azerbaïdjan. Ensuite, dans un autre entretien, il a déclaré qu’ils menaient une enquête et que s’il s’était avéré que les forces azerbaïdjanaises avaient frappé la cathédrale, cela aurait été par erreur. Il y a eu en fait deux attaques distinctes sur la cathédrale ce jour-là, la seconde alors que des journalistes étaient présents pour prendre des photos.
Quatre jours après cet incident, une vidéo du violoncelliste Sevak Avanesian jouant une œuvre de Komitas à l’intérieur de la cathédrale partiellement détruite a été diffusée.
Une réplique en miroir a ensuite été faite de la musique en ruine dans la ville azerbaïdjanaise de Ganja. La première vidéo publiée d’un joueur de kamancha que nous avons pu trouver a été publiée sur les comptes Instagram et Facebook de Greenlight Group le 15 octobre. Dans la vidéo, le jeune homme ne joue même pas de l’instrument.
Selon les informations sur Facebook, cette page a été créée en 2014 sous le nom de Greenlight Media Group. Le mot « Médias » a été supprimé du titre l’année suivante. Il fournit des services de publicité.
Miroir 5 : Soins médicaux pour les prisonniers de guerre
Le 16 octobre, une vidéo est apparue d’abord dans des sources russes puis arméniennes montrant un prisonnier de guerre azerbaïdjanais recevant des soins médicaux en Artsakh.
Une telle approche humanitaire a été accueillie avec émotion, surtout dans le contexte de ce qui s’était passé la veille : deux prisonniers de guerre arméniens ont été humiliés et exécutés à Hadrout. Bien que le ministère azerbaïdjanais de la Défense ait nié les actions de ses forces et les ait qualifiées de fausses, les plateformes de vérification des faits bellingcat.com et DFRLab ont prouvé que les auteurs du meurtre étaient les forces spéciales azerbaïdjanaises.
Deux jours après cet incident, le 18 octobre, l’Azerbaïdjan a publié des photos de trois soldats arméniens capturés, bandés et couchés dans leur lit. Ils ont reçu la visite du Secrétaire de la Commission d’État sur les prisonniers de guerre, les personnes disparues et les otages d’Azerbaïdjan.
Miroir 6 : Confessions des prisonniers de guerre
Les 22 et 24 octobre, le photographe Davit Ghahramayan a publié de courtes vidéos sur sa page Facebook, montrant deux prisonniers de guerre azerbaïdjanais recevant des soins médicaux du côté arménien.
Le premier a parlé de spécialistes militaires venus de Turquie pour les former, déclarant que ces personnes sont toujours aux postes de commandement de l’Azerbaïdjan et qu’aucune décision n’est prise sans eux. Le deuxième rapportait qu’en plus des unités de l’armée azerbaïdjanaise, des militants étrangers combattent également l’Artsakh.
Le 23 octobre, l’Azerbaïdjan a également publié une vidéo de l’interrogatoire des prisonniers de guerre arméniens où l’un d’eux dit que des mercenaires kurdes servaient dans son unité militaire à Martuni et recevaient 600 dollars par mois ; leurs détachements exploraient constamment la région et se préparaient au combat. Aucun média international n’a corroboré les allégations d’une quelconque implication kurde.
Voici quelques exemples révélant le modus operandi de la propagande azerbaïdjanaise. Avec cette méthode, la partie en guerre visait à maintenir les deux parties sur un pied d’égalité moral. Avec l’utilisation d’un tel contenu, l’Azerbaïdjan avance certaines thèses de propagande d’État, comme l’implication de mercenaires kurdes du côté arménien et que la partie arménienne a déclenché la guerre. Bien que la tactique ait fonctionné dès le début puisque la couverture médiatique comprenait que « les deux parties accusent l’autre de déclencher la guerre », l’approche a été moins efficace une fois que les journalistes ont commencé à arriver dans la région pour voir les choses par eux-mêmes. Même dans ce cas, cependant, cela a créé un brouillard d’information où, si un côté mentait carrément, ceux qui recherchaient la vérité restaient confus sur ce qu’il fallait croire.
EVN Report
____________________________________________________________ 6. Le Point
La victoire de l'Azerbaïdjan au Haut-Karabakh provoque l'exode des Arméniens vers Erevan. Désormais, Poutine et Erdogan sont face à face dans le Caucase.
Par Gilles Bader, envoyé spécial au Haut-Karabakh, avec Michael Hatchikian
Sacré. Dernier selfie pour un soldat devant le monastère de Dadivank, fierté de l’Église apostolique arménienne, dans la région du Kelbajar.
Sortir d'Erevan par le nord, c'est remonter un flot de voitures continu. La route est la seule qui relie encore la région du Kelbajar, province bientôt rendue à l'Azerbaïdjan, comme le prévoit l'accord de cessez-le-feu conclu le 10 novembre sous l'égide de la Russie. Dès la signature du texte, des milliers d'habitants de cette région ont vidé leur maison – enfin, ce qu'ils pouvaient emporter dans leur voiture – et ont pris la route en direction de la capitale de l'Arménie.
À la sortie de Vardenis, dernière localité du pays avant le Kelbajar, à un premier barrage, des militaires et des policiers contrôlent les véhicules qui entrent en Arménie, mais à peine ceux qui en sortent. Une confusion dont nous profitons pour passer, car on ne délivre plus d’accréditation pour le Haut-Karabakh. Les journalistes ont été évacués quelques jours plus tôt, et les autorités ne sont visiblement pas pressées de voir revenir la presse en pleine débâcle.
La route, en piteux état, serpente et s’élève progressivement jusqu’à un col où se trouve une mine d’or encore exploitée. Et, toujours dans l’autre sens, ces voitures chargées de meubles et de chaises. Désormais, on croise aussi des véhicules militaires, pour beaucoup endommagés, de retour en Arménie. Au loin apparaît enfin le majestueux monastère de Dadivank. Ce bâtiment est plus qu’un lieu historique pour les Arméniens, il est sacré. Nombreux sont les civils et les militaires qui viennent s’y recueillir une dernière fois. Un soldat sort son téléphone et fait un selfie devant l’entrée de l’église, tandis qu’une femme pleure toutes les larmes de son corps sur l’autel de la chapelle. À l’intérieur, des cierges ont été allumés, qui continueront à brûler après le départ. L’atmosphère est lourde, au moment d’abandonner ce jalon de l’histoire arménienne. Tous s’interrogent : quel sort réserveront les Azerbaïdjanais à leur « joyau » ?
Stepanakert, ville fantôme.
Nous poursuivons notre route, direction Stepanakert. Ni barrage ni point de contrôle, les militaires que nous croisons sont en cours de démobilisation. Certains marchent sur le bord de la route, d’autres s’affairent à réparer leur camion, en panne. La nuit est tombée quand nous entrons dans la ville. La pluie et le brouillard donnent au cheflieu du Haut-Karabakh des allures de ville fantôme. Combien les combattants arméniens les avaient espérées, ces conditions de visibilité réduite, qui leur auraient permis d’échapper aux drones azerbaïdjanais ! Les voilà enfin… Elles arrivent une semaine trop tard.
À chaque coin de rue, des traces de bombardement, des voitures retournées, des vitrines brisées, des tubes de bombes plantés dans le bitume. Un seul hôtel est resté ouvert, mais il est dans un piteux état. La ville semble vidée de ses habitants, presque à l’abandon. Délaissée aussi par la communauté internationale, qui ne s’est guère mobilisée dans ce conflit.
Un détour par l’hôpital permet de réaliser l’atrocité de cette guerre : la maternité a été méticuleusement pilonnée par l’artillerie. À Chouchi, ce sont des églises qui ont été visées, ailleurs ce sont des bombes à sous-munitions et même au phosphore blanc qui ont été tirées. Les habitants du HautKarabakh sont sonnés par tant de violence. « Pourquoi l’Occident n’est-il pas venu à notre aide ? Pourquoi, en face, y avait-il des mercenaires syriens ? » Voilà les questions qu’ils posent aux rares témoins qu’ils croisent.
Du côté des combattants arméniens, on persiste à croire que la victoire aurait été au rendez-vous s’il n’avait fallu combattre que l’Azerbaïdjan, comme lors des précédents épisodes de ce conflit, en 1991 et en 2016. Un soldat nous apostrophe au sujet du président turc, Erdogan : « Pensez-vous que quelqu’un qui utilise de tels moyens et de telles armes va s’arrêter là ? Nous devons notre salut à la Russie, qui joue là une partie d’échecs géopolitique, mais vous, qui viendra vous sauver quand vous serez dans son viseur ? »
Forces russes.
Nous poursuivons notre chemin vers Chouchi, située à 15 kilomètres de Stepanakert. Mais, avant d’y parvenir, nous sommes arrêtés par un barrage de police. Il serait suicidaire d’aller plus loin, des tireurs embusqués azerbaïdjanais sont en position et n’hésiteraient pas à tirer sur quiconque essaierait de s’approcher de la ville, conquête stratégique et hautement symbolique pour eux. Les deux camps s’observent en attendant les Russes, qui doivent jouer le rôle de force d’interposition.
Le lendemain matin, l’information se répand dans Stepanakert : les forces envoyées par Moscou sont arrivées. De quoi rassurer la ville, où toute la nuit ont circulé des rumeurs faisant état d’infiltrations nocturnes d’Azerbaïdjanais. Trois chars russes sont en effet bien visibles, positionnés sur les hauteurs de la ville. Un barrage en pierre a été installé dans la nuit, l’accès au corridor de Latchin, qui doit permettre de rejoindre l’Arménie, n’est toujours pas ouvert mais l’éventualité d’une énième attaque azerbaïdjanaise s’estompe pour les habitants de la capitale du Haut-Karabakh.
Moins d’une heure de route plus tard, nous entrons dans Martuni, un peu plus à l’est, où combats et bombardements ont été d’une rare violence. La ville est morte aujourd’hui, beaucoup plus abîmée que Stepanakert par les tirs des blindés et les attaques des drones. Pas une rue n’est épargnée, même les écoles ont été durement touchées. Nous pénétrons dans une maternelle devant laquelle est tombé un missile Grad, et constatons que le souffle de l’explosion a fait voler les vitres du bâtiment, heureusement évacué de ses élèves. Un bataillon des pompiers de la ville nous invite à regarder un trou béant dans le mur de leur caserne et l’un d’eux, reconverti en soldat, propose de nous emmener voir d’où est parti le tir.
Drone.
Nous embarquons dans une ambulance hors d’âge et montons par un chemin de terre sur la colline en face. Là, deux chars azerbaïdjanais carbonisés sont abandonnés dans un champ. « Nous les avons détruits, dit le pompier avec une certaine satisfaction. Si vous voulez voir les cadavres des tankistes, ils sont encore là. » Sept corps mutilés – pour certains carbonisés – gisent à quelques mètres de là. Un peu plus loin, c’est une batterie d’artillerie arménienne qui a été mise hors d’usage. «Les trois canons ont été détruits par un drone», nous explique notre guide. Des soldats s’affairent à ranger les obus non utilisés dans un camion et, quand on leur demande si, pour eux, le combat est fini, ils répondent : « Pas sûr… » Les forces azerbaïdjanaises ne sont qu’à 1 kilomètre… Chacun reste sur ses gardes.
En attendant, l’Arménie tente de se reprendre et pleure ses territoires perdus, consciente d’avoir été battue par un ennemi mieux armé et mieux encadré. En soutenant l’Azerbaïdjan, les Turcs ont eu ce qu’ils voulaient: une jonction avec ce pays et, au-delà, avec la mer Caspienne. Recep Tayyip Erdogan s’arrêtera-t-il là? Même protégés par Moscou, c’est pour la survie de leur nation que tremblent aujourd’hui les Arméniens.
___________________________________________________________ 7. Le Point
19 novembre 2020
Le bloc-notes de Bernard-Henri Lévy
La France peut reconnaître la République du Haut-Karabakh
De Bernard-Henri Lévy
À quoi bon commémorer la fin de la guerre de 14-18 ? Et pourquoi le souvenir des poilus ensevelis dans la glaise et le sang si c’est pour, un siècle plus tard, se retrouver pareillement somnambules ?
Car, à l’heure où Maurice Genevoix entrait au Panthéon, c’est la flamme, non du soldat inconnu, mais d’un désastre trop connu qui se rallumait aux confins de l’Europe.
Le Haut-Karabakh arménien était à la géhenne.
Toute la poudre du monde semblait s’être accumulée dans cette minuscule enclave chrétienne à l’histoire longue comme un jour d’angoisse et de persécution.
Chouchi, son humble Jéricho, tombait, non par la force de trompettes, mais par celle de soudards syriens à la solde de l’Azerbaïdjan.
Et ce n’est pas comme si on pouvait l’ignorer !
Ce n’est pas comme si le président azéri n’avait pas crié, sur les ondes de sa Radio Mille Collines nationale : les Arméniens du Haut-Karabakh sont des sous-hommes que « nous chassons comme des chiens » !
C’est tout un peuple, en vérité, que des dompteurs aux mains de cuir se sont octroyé le droit de mater, écraser sous une pluie de drones et doter, pour ceux qui n’ont pas pu ni voulu fuir, d’une muselière de chars, de checkpoints et de ruines.
La géopolitique devenait un dressage – et, pour tous les Arméniens du monde, revenait la terrible musique du passé génocidaire.
À l’origine de ce désastre, il y a deux impérialismes. Premièrement, bien sûr, la Turquie.
Avec un Erdogan ivre de lui-même qui n’a qu’une idée : devenir calife de l’islam sunnite et étendre son Lebensraum en Méditerranée, dans les Balkans, dans le Caucase, plus loin encore.
Faudra-t-il, pour que les yeux se dessillent, que ses Loups gris, dressés à massacrer les autres animaux de la ferme orwellienne qu’est devenue notre commune demeure covidée, remontent le Mississippi, expriment des vues sur la Pennsylvanie et continuent, comme à Vienne (les deux Vienne, l’autrichienne et la française !), de mettre à exécution le chantage terroriste explicitement formulé par le néo-sultan lui-même ?
Mais, deuxièmement, la Russie.
Car Moscou, en bénissant le cessez-le-feu final, a obtenu ce qu’il voulait: renforcer un autocrate en Azerbaïdjan; affaiblir un jeune Premier ministre libéral en Arménie ; et, pendant que le monde regardait ailleurs, redessiner, à partir d’un vieux conflit gelé, la carte de la région.
On s’aperçoit, par parenthèse, qu’il y avait, en bonne stratégie poutinienne, deux sortes de conflits gelés.
Ceux qu’on rallume d’un grand feu sec, par effet de surprise, façon pétard jeté dans les pattes d’une Europe déboussolée : c’était le scénario ukrainien.
Ceux qu’on porte à ébullition, lentement mais sûrement, à feu doux, en évitant les coups de chaud intempestifs, pour, un jour, ramasser la mise : c’était le scénario géorgien.
Eh bien en voici, avec le Haut-Karabakh, une troisième sorte : on congèle ; on ensevelit le conflit sous un manteau de neige et de cailloux ; et on attend le moment de souffler sur les braises et de tirer les marrons du feu.
Ces deux empires, pourtant, marchent ensemble. Erdogan et Poutine – c’était toute la thèse de mon Empire et les Cinq Rois – sont des jumeaux pyromanes jetant leurs torches, l’un contre les cathédrales de Chouchi, l’autre contre les églises de Marioupol, et, ensemble, dans cette vaste basilique du droit et de la justice qu’est l’Union européenne.
En sorte que l’on assiste, ici, aux travaux pratiques d’un monde où les compères se sont partagé les rôles : à Erdogan, les crocs et le sang ; à Poutine, le deus ex machina venant, d’une patte d’ours, promettre sa protection ; et, entre les deux, une Arménie exsangue qui vit une scène de sortie de civilisation.
Alors, de deux choses l’une.
Ou bien on abandonne nos amis du Caucase à leur sort de chiens, anthracites de ferraille et de canons.
En laissant toper Erdogan et Poutine, on laisse Chouchi devenir un Sarajevo chrétien dont la chute signifierait, comme en 1994, la perte d’une monade de l’esprit européen.
Et nous redevenons, comme en 1914, des somnambules dont la grande torpeur incrédule vulnérabilisera non seulement Chouchi, mais Nicosie, Riga, Varsovie ou Athènes. Le propre du maître-chien qui traite ses ennemis comme des chiens n’est-il pas de ne jamais trouver le repos tant qu’ils ne sont pas rabattus en leurs chenils ?
Ou bien on se réveille.
On se rappelle comment les convulsions reptiliennes des monstres froids impériaux ont pu mettre, naguère, en mouvement les bielles d’une machine infernale.
Et il se trouve un pays courageux, au moins un, pour reconnaître la République d’Artsakh blessée, mutilée et sanglante.
La Société des Nations, il y a un siècle, inventait, pour Dantzig, le statut de « ville libre ».
Et les Nations unies, après la Seconde Guerre mondiale, ont ressuscité ce statut pour Trieste.
Pourquoi ne pas faire de même au Haut-Karabakh ? Pourquoi la France ne décréterait-elle pas Stepanakert et Chouchi villes libres ?
Et ne peut-on imaginer cette liberté garantie par une force internationale ?
Ce sera un beau geste.
Ce serait, si la France était suivie, l’acte d’une Union européenne entérinant la primauté de ses valeurs sur ses intérêts.
Et ainsi naîtrait un droit additionnel à la charte des nations civilisées : le droit de légitime défense pour un peuple en minorité réduit à l’état de canidé.
Ceci est un appel.
________________________________________________________________ 8. Les Nouvelles d'Arménie
Deux convois russes de camions chargés de matériel de construction se sont dirigés ce vendredi à Stepanakert
Par deux convois de véhicules de transport, ce vendredi 20 novembre la Russie, par se Services d’urgence a dirigé vers le Haut-Karabagh (Artsakh) des fournitures dans le cadre de l’aide humanitaire à la population civile. Les camions étaient notamment chargés de matériel de construction afin de reconstruire ou réaménager les maisons endommagées par les bombardement de l’Azerbaïdjan à Stepanakert, Martakert, Martouni, Askeran ainsi que dans d’autres localités du Haut-Karabagh. Cette reconstruction permettra de reloger les habitants de l’Artsakh dont plusieurs dizaines de milliers se trouvent encore en Arménie. Une quarantaine de spécialistes Russes avec les représentants Arméniens des villes de Stepanakert, Martakert, Martouni et Askeran examinent les destructions des habitations et structures publiques. 2 400 habitations et 220 structures sociales furent examinées par ces groupes russo-arméniens afin d’apporter des réponses dans les prochains jours et reconstruire les habitations qui pouvaient encore être récupérées. Le quartier général des brigades des Services de secours d’urgence de la Russie déléguées au Haut-Karabagh est installé à Stepanakert depuis le 16 novembre.
_______________________________________________________________ 9. Les Nouvelles d'Arménie
20 novembre 2020
Vladimir poutine a insisté sur l’importance de la protection des monuments et lieux de culte au Haut-Karabagh
L’agence de presse russe RIA Novosti affirme que le président russe Vladimir Poutine a insisté sur l’importance de la protection des monuments et de culte au Haut-Karabagh et leur prise en compte par l’UNESCO, l’organisme mondial chargé de la protection du patrimoine culturel. « Je voulais particulièrement évoquer la question de la protection au Haut-Karabagh des lieux historiques et religieux, qu’ils soient Arméniens ou Azéris. Cette question a une portée humaine importante. Je crois que dans cette question l’investissement de l’UNESCO exigé. Nous avons espoir que l’UNICEF aidera également les enfants et adolescents qui sont particulièrement sans défense face aux atrocités du conflit » dit Vladimir Poutine. Il a également déclaré que les Russes avaient également sur place la charge de ces missions de protection.
PARIS (Reuters) – La France souhaite une supervision internationale pour mettre en place un cessez-le-feu dans le conflit du Haut-Karabakh, craignant que la Russie et la Turquie puissent conclure un accord pour exclure les puissances occidentales des futurs pourparlers de paix, a déclaré jeudi la présidence française.
Moscou co-préside le groupe de Minsk qui supervise le conflit dans le Haut-Karabakh avec Washington et Paris, mais ces derniers n'ont pas été impliqués dans l'accord signé par la Russie, l'Arménie et l'Azerbaïdjan pour mettre fin à six semaines de combats dans la région.
Depuis le cessez-le-feu, la Russie a eu des discussions avec la Turquie, un allié clé de l'Azerbaïdjan et critique sévère du groupe de Minsk, ce qui pourrait conduire Ankara à déployer des troupes dans la région.
"La fin des combats devrait maintenant permettre la reprise des négociations afin de protéger la population du Haut-Karabakh et d'assurer le retour des dizaines de milliers de personnes qui ont fui leurs foyers ces dernières semaines dans de bonnes conditions de sécurité", a déclaré le bureau du président français, Emmanuel Macron, après des entretiens avec le président azerbaïdjanais et le Premier ministre arménien.
La population française compte entre 400.000 et 600.000 personnes d'origine arménienne. Emmanuel Macron a pris soin de ne pas soutenir l'un des partis durant le conflit, mais il a été critiqué dans son pays pour ne pas avoir fait assez pour aider Erevan.
"Nous voulons que le Groupe de Minsk joue son rôle dans la définition de la surveillance du cessez-le-feu", a déclaré un responsable présidentiel français aux journalistes.
Paris faisait pression pour une "supervision internationale" du cessez-le-feu afin de permettre le retour des réfugiés, d'organiser le retour des combattants étrangers, en particulier ceux venant de Syrie, et d'entamer des discussions sur le statut du Haut-Karabakh, ajoute-t-on de même source.
Les relations entre la France et la Turquie sont particulièrement mauvaises depuis plusieurs mois. Paris a accusé Ankara d'alimenter la crise dans le Caucase.
"Nous comprenons que les Russes discutent avec les Turcs d'une formule possible, dont nous ne voulons pas, qui reproduirait le processus d'Astana pour diviser leurs rôles dans cette région sensible", a déclaré le responsable présidentiel français.
"Nous ne pouvons pas avoir d'un côté Minsk et de l'autre Astana. A un moment donné, les Russes doivent faire un choix".
Le processus d'Astana a permis à la Russie et à la Turquie de discuter entre elles de la manière de gérer le conflit syrien en écartant les puissances occidentales.
Jeanne der Agopian, directrice de la communication adjointe de SOS Chrétiens d’Orient, craint que le patrimoine culturel arménien fasse, lui aussi, les frais du conflit. Tribune.
Alors qu’une partie de l’Artsakh (nom arménien du Haut-Karabagh) est tombée entre les mains des forces turco-azerbaïdjanaises à l’issue d’un conflit inégal, le pire est à craindre pour le patrimoine religieux chrétien et pour l’ensemble du patrimoine culturel arménien, menacé d’un génocide culturel.
Lorsque Raphael Lemkin forgea le concept de génocide, il était empreint de l’indignation née de l’acquittement de Talaat Pacha, l’un des responsables politiques turcs du génocide arménien, par une Cour de Berlin au nom du primat du droit national. Il note, dans sa conception du génocide, que celui-ci vise à la fois l’élimination physique de la présence d’un groupe, mais aussi l’élimination culturelle des preuves de la présence du groupe en question sur un territoire. Cette élimination des marqueurs culturels peut être le signe avant-coureur du génocide, ou venir après dans le but d’effacer les traces du crime. Tout porte à croire que ce qui se passe actuellement en Arménie et sur les territoires alentours entre dans un tel projet de génocide culturel.
En effet, le génocide arménien de 1915 s’est accompagné d’un génocide culturel gommant les traces de la présence millénaire arménienne en Asie mineure. Il y avait 2 300 églises et monastères arméniens en Arménie occidentale. Il n’en reste plus que 34 dont 6 en Anatolie. Aujourd’hui encore, certains lieux sont menacés, comme l’Eglise Surp Giragos de Diyarbakir. Réouverte avec le soutien de la municipalité, elle avait permis la renaissance d’une vie arménienne à Diyarbakir. Depuis 2015, elle est propriété de l’état turc et fermée au culte. Des 150 églises et monastères qui se trouvaient autour du lac de Van, seule l’église Sainte-Croix d'Aghtamar subsiste – le monastère l’entourant ayant été détruit pendant le génocide – sauvée dans les années 1950 par l’intervention de l’écrivain, journaliste et militant Yachar Kemal. Les panturquistes ajoutant l’injure à la blessure en prétendant qu’il s’agirait d’une église turque.
Le Haut-Karabagh, voué au même sort que le Nakitchevan ?
Le sort du patrimoine arménien du Nakhitchevan, enclave azerbaïdjanaise située entre la Turquie, l’Iran et l’Arménie, peut laisser présager ce qu’il adviendra aux nombreuses églises, monastères et khatchkars des régions de l’Artsakh tombées aux mains de l’Azerbaïdjian. Et le constat est glaçant : les 89 églises médiévales ont été arasées, les 5 480 khatchkars et 22 700 tombes ont été détruites par l’Azerbaïdjan. Ainsi, le plus grand cimetière de khatchkars arménien, celui de Djoulfa a été détruit au bulldozer. Ces stèles rectangulaires sculptées par des artisans peuvent atteindre jusqu’à deux mètres de haut et sont ornées de la croix arménienne stylisée de diverses manières. Toutes sont uniques. Dans la tradition arménienne, elles servent à guider les défunts quand ils se relèveront le jour du Jugement Dernier. Les églises ont été transformées en mosquées, en salon de thé ou en salle de billard, quand elles n’ont pas été purement et simplement , comme les cimetières, détruites à coup de bulldozer.
Ces crimes anthropologiques majeurs peuvent faire penser à ceux auxquels s’est livré l’armée turque en 1974 à Chypre qui, non contente de faire fuir, de massacrer et de violer la population grecque des zones envahies, a méthodiquement détruit les églises grecques et les cimetières. Cela s’inscrit dans une longue tradition turque d’effacer le passé chrétien en Asie Mineure.
Il faut sauver Dadivank, Tsitsernavank, Gtichavank, Gandzasa…
Le monastère de Dadivank, joyau médiéval millénaire du IXe siècle, situé dans un écrin de verdure et de montagnes, est conservé in extremis dans le giron de artsakhiote. Fondé par Saint Dadi, disciple de Saint Thadée, qui a répandu le christianisme en Arménie Orientale dès le premier siècle après Jésus-Christ, ses trésors sont inestimables. Malgré le char russe qui se tient aujourd’hui dans son enceinte, son supérieur et protecteur le père Hovhannès a envoyé ce qu’il a pu en sécurité, quelque part en Arménie.
Mais qu’adviendra t-il du monastère d’Amaras, datant du IVe siècle et abritant la tombe de Saint Grigoris, du monastère de Tsitsernavank (Ve siècle), de celui de Saint-Elisée l’Apôtre (Ve siècle), des nombreuses églises, khatchkars et cimetières que l’on trouve sur les territoires désormais azerbaïdjanais ? Ce qui les menace, soyons bien clairs, c’est la dégradation, la transformation de leur usage et la profanation par deux dictatures panturquistes. Voyez, pour exemple, ce qui est déjà arrivé à la cathédrale Gazanchetsots de Shushi : bombardée à plusieurs reprises pendant la guerre, elle a déjà été vandalisée et taguée…
« Allez-y, détruisez l’Arménie ! Voyez si vous pouvez le faire. Envoyez-les dans le désert. Laissez les sans pain, ni eau. Brûlez leurs maisons et leurs églises. Voyez alors s’ils ne riront pas de nouveau, voyez s’ils ne chanteront ni ne prieront de nouveau. Car ils suffirait que deux d’entre eux se rencontrent, n’importe où dans le monde, pour qu’ils créent une nouvelle Arménie », disait le poète William Saroyan.
Si les Arméniens d’Artsakh auront la force, à n’en pas douter, de conserver et transmettre leur patrimoine culturel immatériel de danses, de chants et de récits, il est du devoir des organisations internationales telles que l’UNESCO de protéger son patrimoine matériel de ses voisins expansionnistes. Une pression forte doit être exercée par la France en ce sens sur la Turquie (qui construit des mosquées en France) et sur l’Azerbaïdjan (que soutiennent ouvertement des députés français LR et PS). Pour cela, il faut prier et lutter.
_______________________________________________________________ 12. Le Figaro Magazine
20 novembre 2020
SYLVAIN TESSON, ANTOINE AGOUDJIAN ET JEAN-CHRISTOPHE BUISSON SUR LE FRONT ARMÉNIE
Du 27 septembre au 10 novembre, une guerre a opposé Azéris et Arméniens dans le sud du Caucase. Enjeu ? La région du Haut-Karabakh (ou « République d’Artsakh »), où vivent depuis plus de dix siècles les Arméniens, premier peuple converti au christianisme (301). Supérieure en nombre, renforcée par des mercenaires djihadistes, encadrée par des officiers turcs, l’armée azerbaïdjanaise a conquis 2/3 du territoire avant que la Russie ne s’interpose dans ce conflit qui a fait plusieurs milliers de victimes.
Pendant un mois, le photographe Antoine Agoudjian a travaillé sur place, souvent seul, parmi la population civile arménienne victime de bombardements (missiles, roquettes, bombes au phosphore ou à sous-munitions, etc.) et les maigres mais vaillantes troupes de l’Artsakh. L’écrivain Sylvain Tesson et Jean-Christophe Buisson l’ont rejoint dans la région de Latchin, pendant les derniers jours d’une guerre dont ils craignent qu’elle ne promette les Arméniens à un effacement tragique, cent cinq ans après le génocide perpétré par les Turcs. Qui sont les grands vainqueurs géopolitiques de ce combat inégal…
______________________________________________________________ 13. Le Figaro Magazine
20 novembre 2020
“C’EST LEUR VIE SUR LA TERRE QUI SE JOUE”
Par Sylvain Tesson
(Extraits)
Chaque soir du conflit, Mgr Parkev Mardirossian a célébré une liturgie à Stepanakert, sous les bombes. Quelques jours après le cessezle-feu, épuisé, il a été victime d’une crise cardiaque et a été évacué à Erevan.
Définition du génie turc : faire place nette autour de soi. Une partie du Haut-Karabakh arménien – Artsakh, de son nom originel – est tombée aux mains des Azéris turcophones le 9 novembre 2020. L’Arménie et l’Azerbaïdjan, anciennes Républiques socialistes soviétiques, indépendantes depuis 1991, ont signé un accord de cessez-le-feu, sous le patronage de la Russie, à 10 heures du soir.
Pour l’Arménie c’est la Toussaint. « Quel dommage, cette guerre : l’automne était superbe », grince Areg, volontaire arménien de 40 ans, venu de sa Belgique d’adoption, comme quelquesunes des 12 millions d’âmes de la diaspora. Une catastrophe humanitaire se profile dans le petit pays de 3 millions d’habitants. La catastrophe spirituelle a déjà eu lieu. Celle-ci sera vite absorbée dans la frénésie mondiale. À la fin du mois de septembre, les troupes de l’Azerbaïdjan, soutenues par l’armée turque, appuyées par la chasse aérienne, servies par l’usage de drones de fabrication israélienne et le mépris des conventions internationales, pénétraient dans le territoire du Haut-Karabakh peuplé de 150 000 Arméniens et soutenu par Erevan. Motif de l’agression : récupérer l’enclave dont les Azéris avaient été expulsés à la chute de l’URSS.
LE CADEAU DE STALINE AUX AZÉRIS
Les Azéris s’accordent le crédit du « droit international ». L’argument est indéniable : le Haut-Karabakh appartient à l’Azerbaïdjan puisque les bolcheviks en décidèrent ainsi en 1923. Si les découpages de Staline fondent le droit international, on peut adouber Bakou ! Mais si l’on se place du côté des préséances du passé (« l’Histoire », en vieux français), le Karabakh est une place forte arménienne. Plateau du flanc oriental, ce mouchoir de roche, dont le calcaire blond sert à édifier des églises depuis mille six cents ans, n’est pas un caravansérail, mais un clocher. Citadelle du dernier recours, coeur de l’empire christianisé aux IIIeIVe siècles, il s’est maintenu, menacé sur ses flancs par la triple poussée perse, arabe et turque. Au ProcheOrient et dans le Caucase, l’enclavement est une option délicate. Surtout quand les Russes se mêlent d’arranger les choses.
À la chute de l’URSS, l’Arménie et l’Azerbaïdjan s’affrontèrent. L’Arménie perdit 30 000 hommes dans le conflit. En 1994, elle récupéra son enclave, évacua les Azéris du Karabakh, sécurisa les pourtours et relia son donjon forestier à la république indépendante par un couloir – une aorte ! – appelé corridor de Latchin. Les Arméniens rebaptisèrent du nom d’Artsakh l’antique province, qui proclama son indépendance, rêvant un jour d’un rattachement à la barque amirale. L’ordre des anciens jours revenait. En géopolitique, quand le passé se rétablit, l’avenir ne présage rien de bon. Vingt-six ans après les accords de 1994, aux premiers jours de novembre 2020, sur les bordures du haut plateau de l’Artsakh, les soldats arméniens contrôlaient encore leurs positions, pleins d’espoir : on tiendrait encore un peu, l’Europe se réveillerait, la Russie interviendrait… L’espoir est un allié fiable en Arménie. Chouchi, parvis spirituel, n’était pas encore tombé. La capitale, Stépanakert, résistait. (…)
Dégradations de monuments, attaques physiques, expéditions punitives : les groupes turcs pro-Erdogan ont profité du conflit en Artsakh pour rappeler leur inquiétante présence sur notre sol. Et leur haine inextinguible de ceux
qu’ils nomment atrocement « les restes de l’Épée ».
France, terre d’accueil, mais aussi terre d’écueils ! Les 600 000 Arméniens de France (dont 400 000 sont nés sur notre sol) en font ces temps-ci l’amère expérience. Certes, leurs aïeux sont arrivés il y a un siècle, fuyant le génocide de 1915, et ils constituent un modèle d’intégration et d’assimilation, mais ce n’est pas le cas de tous les immigrés, tant s’en faut. Car la France compte aussi entre 600 000 et 800 000 Turcs d’origine (puisque la moitié possède la nationalité française), lesquels ont massivement voté pour Recep Tayyip Erdogan aux élections présidentielles de 2018 (1) et sont presque tous de confession musulmane. Si l’on en croit un article du spécialiste Mehmet-Ali Akinci (2), professeur des universités à l’université Rouen-Normandie, l’identité de cette population (la deuxième en Europe, après l’Allemagne) est « construite autour de valeurs telles que la religion, le nationalisme (turcité) et l’attachement nostalgique au pays (gurbet) ».
INCIDENTS VIOLENTS
AUTOUR DE LYON
La guerre du Haut-Karabakh (Artsakh pour les Arméniens), déclenchée le 27 septembre par l’Azerbaïdjan et soutenue par Ankara, a servi de prétexte aux plus fanatiques d’entre eux pour importer le conflit dans l’Hexagone. Et ils ont d’autant moins d’inhibition que leur « reis » (chef) insulte régulièrement Emmanuel Macron et ordonne le boycott des produits made in France…
Les incidents les plus violents se sont déroulés fin octobre dans la périphérie de Lyon, secteur où les deux communautés sont fortement représentées (150 000 personnes chacune). Le 28 au matin, une centaine de manifestants proarméniens bloquent un péage de l’autoroute A7, au niveau de Vienne (Isère). S’ensuit une bataille rangée avec des automobilistes francoturcs, qui viennent en découdre. Coups de marteaux et d’autres objets contondants sont assénés. Bilan : 4 blessés (dont une fracture du crâne chez un jeune Arménien). Le soir même, deux expéditions punitives, menées aux cris de « Allahou Akbar ! » et « Ils sont où les Arméniens ? On est chez nous ici ! », sont organisées dans les rues de Vienne, puis de DécinesCharpieu (Rhône). Cette dernière
agglomération n’est pas choisie au hasard. « On la surnomme la “petite Arménie”, explique Sarah Tanzilli, présidente de la maison de la culture arménienne locale. C’est donc un objectif symbolique. D’ailleurs, nous avions déjà été attaqués le 24 juillet lors d’un rassemblement, pacifique et autorisé, pour soutenir l’Arménie. On avait vu débarquer une centaine d’activistes turcs se revendiquant des “Loups gris”, un mouvement ultranationaliste turc. Ils étaient équipés de barres de fer et d’armes blanches. Des magasins ont été saccagés et il y avait eu un début de chasse à l’homme. Cette contre-manif n’avait rien de spontané : elle avait été organisée via les réseaux sociaux par Ahmet Cetin, figure bien connue de la justice. »
Les représailles du 28 octobre auraient pu s’arrêter là. Il n’en a rien été. Dans la nuit du 31 octobre au 1er novembre, toujours à Décines-Charpieu, des graffitis sont inscrits sur la façade du Centre national de la mémoire arménienne (« Loup gris », sans s, et « RTE », les initiales de Recep Tayyip Erdogan) et sur le mémorial du génocide arménien (« Nique l’Arménie »). Devant la virulence de leurs actions, le gouvernement a dissous les « Loups gris » le 4 novembre, en tant que « groupement de fait » et « mouvement paramilitaire ». Une « décision provocatrice », selon le ministère turc des Affaires étrangères. Et pour cause : c’est l’organisation de jeunesse du parti extrémiste MHP, partenaire de la coalition pro-Erdogan et fervent partisan de la politique néo-impérialiste du numéro 1 turc. Quant à Ahmet Cetin, 23 ans, il a été condamné le 5 novembre à quatre mois de prison avec sursis pour « incitation à la violence ou à la haine raciale ». Euphémisme puisque ledit Cetin est l’auteur d’une vidéo diffusée sur Instagram à ses milliers d’abonnés (eh oui !) où il proclamait fièrement : « Que le gouvernement turc me donne 2 000 euros et une arme et je ferai ce qu’il y a à faire où que ce soit en France. »
Ara Toranian, coprésident du Conseil de coordination des organisations arméniennes de France (CCAF) et directeur des Nouvelles d’Arménie, a l’impression de « revivre un cauchemar » : « Nous sommes installés dans ce pays depuis plusieurs générations. Notre appartenance et notre fidélité à la République française ne sont plus à prouver. Et, soudain, brutalement, on est projetés un siècle en arrière, à l’époque des persécutions ottomanes et kémalistes. Il ne faut pas que nos compatriotes français croient avoir affaire à de simples affrontements intercommunautaires : dans tous ces événements, il y a toujours les mêmes agresseurs et les mêmes agressés ! Ce qu’il faut savoir, c’est que le racisme antiarménien et la négation du génocide sont inculqués aux Turcs dès leur plus jeune âge. Naturellement, lorsqu’ils émigrent, ils exportent cette idéologie. Pas tous, heureusement : je pense aux alévis (parce qu’ils sont aussi une minorité au sein de l’islam) ou aux anti-Erdogan, mais ils représentent une exception. »
Il serait illusoire de penser que la dissolution des « Loups gris » ou de toute autre entité agissante apaisera la situation. Car la Turquie n’a pas besoin de gros bras pour formater sa diaspora à l’islamopatriotisme. Elle dispose chez nous d’une galaxie de structures associatives, éducatives et humanitaires, dont la majorité est pilotée par l’AKP et qui font de l’entrisme en toute légalité. C’est particulièrement vrai dans le domaine religieux. Sur les 300 imams détachés en France, 151 sont turcs (les autres viennent du Maroc et d’Algérie, en vertu d’accords interétatiques). Ce sont des fonctionnaires formés et payés (ainsi que leurs 56 assistants provisoires) par le Ditib, émanation du ministre turc des Affaires religieuses, qui contrôle 250 mosquées sur notre territoire. Il faut y ajouter les 70 mosquées gérées par le Milli Gorus, organisation proche des frères musulmans et qui travaille main dans la main avec le Ditib. Au total, grâce à ce maillage efficace et complémentaire, Ankara contrôlerait 320 mosquées sur 2 600, soit un sixième des lieux de culte… ■
(1) À 65,3 % des voix contre 52,5 % en Turquie, et même à 86,8 % pour Lyon !
(2) La communauté turque de France en 2020, revue France Forum, avril 2020.
Sur 300 imams “détachés” en France depuis les pays musulmans, 151 sont turcs !
_______________________________________________________________ 15. Le Figaro Magazine
120 PERSONNALITÉS DU MONDE DES ARTS APPELLENT À SOUTENIR L’ARMÉNIE ET L’ARTSAKH
Plus d’un siècle après la perpétration du génocide des Arméniens par les dirigeants ottomans de 1915, le même peuple est de nouveau victime de deux régimes autoritaires qui, à Bakou comme à Ankara, exaltent la haine interethnique pour doter leur pouvoir sans partage d’un nouveau trophée sanglant.
Le destin des Arméniens vient d’être sauvagement meurtri dans le HautKarabakh, région qu’ils nomment Artsakh. Là vivent depuis plus de deux millénaires des gens humbles et fiers, irréductiblement attachés à leur terre rude et magnifique. Ils voulaient poursuivre leur existence là où leurs ancêtres avaient construit leurs maisons, leurs écoles et leurs monastères admirables, au coeur des montagnes imprenables et des plaines âprement labourées. Sans aucune considération humaine, la Turquie de Recep Tayyip Erdogan et l’Azerbaïdjan d’Ilham Aliev se sont acharnés à anéantir cette aspiration légitime. Pour les Arméniens, le Karabakh représente avant tout un peuple ; avec sa culture ancestrale, sa musique, ses danses et son désir de rejoindre la marche du monde en se désenclavant. Pour les autorités de Bakou et d’Ankara, il s’agit surtout d’un territoire ; sur lequel doit flotter coûte que coûte le drapeau de l’Azerbaïdjan, fût-ce en recevant l’appui des forces spéciales turques, en envoyant des volées de drones kamikazes écraser des cibles civiles ou en recourant à des mercenaires djihadistes payés pour tuer. Il est désormais prouvé que l’Azerbaïdjan y a utilisé des bombes à sousmunitions interdites par le droit international. La lutte était totalement inégale.
Les Arméniens n’ont pas voulu de cette guerre, mais ils ont été contraints de combattre pour leur survie. Pour le régime azéri, ce n’est qu’une question d’orgueil nationaliste. Le leader de l’Azerbaïdjan s’est montré clair dans ses intentions lorsqu’il a déclaré, aux premiers jours du conflit : « Nous les chassons comme des chiens. » Il a répété cette même phrase après l’exode des populations civiles qu’il a provoqué en Artsakh, en se déclarant fier d’avoir tenu cette horrible promesse. Au XXIe siècle, une telle détestation de l’humain, une telle exaltation de la haine, soulève la plus profonde indignation et n’a absolument plus lieu d’être.
Fanny Ardant, Stéphane Bern, Juliette Binoche, Françoise Chandernagor, Alain Delon, Alain Ducasse, Jean Dujardin et Bernard-Henri Lévy.
Simon Abkarian, Bruno Abraham-Kremer,
Alain Altinoglu, Fanny Ardant, Ariane Ascaride, Yvan Attal, Jacques Attali, Serge Avédikian, Nicolas Aznavour, Georges Bensoussan, François Berléand, Stéphane Bern, Daniel Bilalian, Juliette Binoche, Dany Boon, Hamit Bozarslan, Stéphane Breton, Dany Brillant, Pascal Bruckner, JeanChristophe Buisson, Claudia Cardinale, Virginie Carton, Gérard Chaliand, Françoise Chandernagor, Jean-François Colosimo, Costa-Gavras, Boris Cyrulnik, Xavier Darcos, Jean-Pierre Darroussin, Didier Decoin, Marina Dédéyan, Arnaud Delalande, Alain Delon, Olivier Delorme, François-Xavier Demaison, Anaïs Demoustier, Éric Denécé, Karim Dridi, Michel Drucker, Alain Ducasse, Jean Dujardin, Vincent Duclert, Atom Egoyan, Frédéric Encel, Sophie Fontanel, Caroline Fourest, Thierry Frémont, Laurent Gaudé, Yves de Gaulle, Laurent Gerra, Franz-Olivier Giesbert, Isabelle Giordano, Robert Guédiguian, Michel Hazanavicius, Patrick Hernandez, Nancy Huston, Alexandre Jardin, Pierre Judet de La Combe, Michèle Kahn, Nelly Kaprièlian,
Robert Kéchichian, Richard Labévière, Alexandra Lapierre, Camille Laurens, Pascal Légitimus, Gilles Lellouche, Claude Lelouch, Jean-Jacques Lemêtre, Grégoire Leprince-Ringuet, Bernard-Henri Lévy, Olivier Loustau, Mathieu Madénian, Benoît Magimel, Jean-Pierre Mahé, Christian Makarian, Bruno Mantovani, Michel Marian, Gérard Meylan, Jacques-Alain Miller, Frédéric Mitterrand, Olivier Mongin, Thibault de Montaigu, Vahram Muratyan, Lola Naymark, Jacky Nercessian, Véronique Olmi, Michel Onfray, Erik Orsenna, Frédéric-Jacques Ossang, Benjamin Penamaria, Michel Petrossian, Anne-Sophie Pic, Patrick Poivre d’Arvor, Michel Quint, Christophe Rauck, Jean Reno, Pierre Richard, Muriel Robin, Alexandre Romanès, Tatiana de Rosnay, Jean-Marie Rouart, Boualem Sansal, Lévon Sayan, Gilbert Sinoué, Zinedine Soualem, Robinson Stévenin, Pierre-André Taguieff, Bertrand Tavernier, Yves Ternon, Alain Terzian, Sylvain Tesson, Ara Toranian, Valérie Toranian, Philippe Torreton, Thierry Vendome, Marie Vermillard, Charles Villeneuve, Ysmahane Yaqini, Tigrane Yégavian.
_______________________________________________________________ 16. Le Monde
20 novembre 2020
L’Azerbaïdjan reprend Agdam, district voisin du Haut-Karabakh
Il s’agit de la première des trois rétrocessions à l’Azerbaïdjan de territoires contrôlés par les forces arméniennes depuis près de trente ans.
Le Monde avec AFP
District d’Agdam, le 19 novembre. SERGEI GRITS / AP
L’Azerbaïdjan a repris, vendredi 20 novembre, le contrôle du district d’Agdam, cédé par les séparatistes arméniens du Haut-Karabakh, aux termes d’un accord de fin des hostilités sous patronage russe, qui a mis fin à six semaines de guerre.
Il s’agit de la première des trois rétrocessions à l’Azerbaïdjan de territoires contrôlés par les forces arméniennes depuis près de trente ans et une guerre dans les années 1990 qui avait fait des dizaines de milliers de morts ainsi que des centaines de milliers de déplacés, notamment la population azerbaïdjanaise d’Agdam.
« En conformité avec la déclaration trilatérale [de fin des hostilités] signée par le président de l’Azerbaïdjan, le premier ministre de l’Arménie et le président de la Russie, des unités de l’armée azerbaïdjanaise sont entrées dans la région d’Agdam le 20 novembre », a annoncé le ministère de la défense azerbaïdjanais dans un court communiqué.
Cet accord du 9 novembre, négocié par Vladimir Poutine, consacre la défaite arménienne après six semaines de combats cet automne, qui ont fait probablement des milliers de morts. Si la république autoproclamée du Karabakh perd de nombreux territoires, elle voit sa survie assurée.