Boycotter les boycotteurs : est-ce légal en France ?
Le président turc Recep Tayyip Erdogan a appelé à boycotter les produits français .
Le Pakistan & certains pays arabes ont fait de même .
et si les boycottés boycottaient les produits des pays boycotteurs ?
Et aussi est-ce légal en France ?
Revue du boycott de l'origine à nos jours
À l'origine, le boycott est le choix de ne pas acheter des produits dont les conditions de production ne sont pas jugées justes. Le terme vient du nom de Charles Cunningham Boycott (1832–1897), intendant d'un riche propriétaire terrien du comté de Mayo, en Irlande de l'Ouest, durant le XIXe siècle : comme il traitait mal ses fermiers, il subit un ostracisme et un blocus de leur part en 1880.
Le boycott est un mode de protestation assez adapté à quelques tendances de notre société actuelle : individualiste mais solidaire. Le face-à-face Syndicat / Patronat fait place à un face-à-face Consom'acteurs / Multinationales avec la montée en puissance de celles-ci2. Les « consom'acteurs » utilisent, citoyens, leurs achats comme une sorte de droit de vote pour contrebalncer leur impuissance d’électeurs. Ce vote ne respecte pas "un homme, une voix", mais n'en constitue pas moins un contre-pouvoir. Les multinationales sont en expansion. Or elles sont, par définition, moins astreintes au contre-pouvoir du politique et des élus d’un pays, donc aussi à celui de leurs électeurs. En l’absence de vote efficace, les citoyens utilisent alors leur seul autre moyen d’exercer un contre-pouvoir : le boycott ou chantage au non-achat3.
Le boycott est une chose que les entreprises doivent prendre en considération pour ne pas être pénalisées par une baisse de demande4. Le boycott est d'autant plus efficace que l'entreprise a de grands frais fixes, et qu'une baisse d'à peine 5 % de la demande pourrait par exemple faire baisser son bénéfice de plus de moitié. L'appel au boycott peut donc avoir un énorme impact. Il peut être la goutte d’eau qui va définitivement déstabiliser un marché si celui-ci est déjà en difficulté. Pour le coup, le législateur a déjà mis en place dans certains pays, dont la France, quelques lois anti-boycott5.
- Pendant la Révolution américaine, à la fin du XVIIIe siècle, le boycott des marchandises anglaises était un moyen utilisé par les colons pour faire pression sur la métropole. Les Fils de la Liberté, une organisation de patriotes américains, eurent recours à l'appel au boycott, notamment sur le thé anglais.
- Le « boycott » est une forme de lutte qui a existé avant qu'un nom soit donné à ce type d'action de résistance. Les premiers anti-esclavagistes anglais lancèrent une campagne féroce en 1790 pour convaincre leurs concitoyens de renoncer au sucre provenant des Indes occidentales (les Antilles) et produit par des esclaves, au profit du sucre en provenance des Indes orientales (Inde), où l'exploitation de la main d'œuvre se faisait avec un peu plus de retenue.
- Le premier boycott répertorié de 1879, mis sur pied à l'appel de Charles Parnell, dirigeant de la Ligue agraire, qui le lança contre Charles Cunningham Boycott, riche propriétaire terrien qui traitait mal ses fermiers ;
- au Québec, en 1837, les chefs Patriotes incitent les Québécois à bouder ou à boycotter les produits importés d’Angleterre pour tarir les fonds publics, revenus fiscaux perçus à la douane, en vue de libérer le Québec du joug de l'occupant anglais. Les produits anglais boycottés, comme le rhum, l’eau-de-vie, le thé et la toile, sont remplacés par des produits québécois.
- Le premier boycott de l'Empire tsariste eut lieu en 1900 à Bialystok : le Bund (Union générale des travailleurs juifs) lança un boycott des cigarettes de la manufacture de tabac Janovski. Dans un appel au public, le Bund dénonçait Fajwel Janovski, « juif pieux allant à la synagogue régulièrement », qui venait de licencier 45 jeunes filles juives. Ceux qui persistaient à acheter des cigarettes Janovski se les voyaient arracher et brûler. Le patron céda et réembaucha les jeunes femmes.
- En Inde en 1930, le Mahatma Gandhi lance un boycott sur les impôts liés au sel, contre l'Empire britannique ;
- Le boycott antisémite de 1933 en Allemagne est la première manifestation antisémite d'envergure organisée par les nazis après leur arrivée au pouvoir.
- Le boycott des autobus de Montgomery à l'appel de Martin Luther King pour obtenir la fin de la discrimination raciale ;
- Le boycott politique de l'Afrique du Sud contre l'apartheid, à partir des années 1970, avec l'exemple de la marque Outspan.
- Le boycott par les États-Unis (entraînant d'autres nations) en 1980 des Jeux olympiques de Moscou, pour protester contre l'intervention soviétique en Afghanistan. Opération réussie puisque 80 pays seulement y seront représentés ; mais l'Union Soviétique (avec 13 autres nations) boycottera les Jeux olympiques de Los Angeles en 1984.
- Depuis , la société civile palestinienne appelle aux boycott, désinvestissement et sanctions (BDS) contre Israël6.
- Des Tibétains en exil appellent à un boycott des produits fabriqués en République populaire de Chine, selon Jamyang Norbu, un écrivain tibétain en exil et partisan de l'indépendance du Tibet7, ces produits sont fabriqués dans des camps de travaux forcés, dans des manufactures tenues par des militaires chinois, ou par une main-d'œuvre privée de ses droits8.
Légalité
En France
La légalité du boycott en France peut sembler ambigüe.
En effet, le boycott peut constituer une discrimination envers une personne physique ou un membre d'une personne morale s'il réunit les conditions définies aux articles 225-1 et 225-29 du code pénal, c'est-à-dire si le boycott est effectué « en fonction de l'origine, du sexe, de la situation de famille, de l'apparence physique, du patronyme, de l'état de santé, du handicap, des caractéristiques génétiques, des mœurs, de l'orientation ou identité sexuelle, de l'âge, des opinions politiques, des activités syndicales, de l'appartenance ou de la non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée des membres ou de certains membres de ces personnes morales ».
La Cour de cassation confirme cette analyse dans son arrêt du , concernant le boycott de produits israéliens : « la provocation à la discrimination ne saurait entrer dans le droit à la liberté d'opinion et d'expression dès lors qu'elle constitue un acte positif de rejet, se manifestant par l'incitation à opérer une différence de traitement à l'égard d'une catégorie de personnes »10.
Cette analyse de la cour de cassation a été invalidée par les juges de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), qui ont condamné à l'unanimité la France le dans cette affaire, sur le fondement de la violation de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, protégeant la liberté d'expression11.
Ainsi, si on peut inciter au boycott, cela ne doit pas constituer une discrimination prévue aux articles 225-1 et 225-29 du code pénal. Le boycott paraît, par exemple, licite tant qu'il s'agit, individuellement ou sous l'appel d'une organisation légalement constituée, de ne pas consommer les produits provenant d'une certaine marque affiliée à un groupe industriel, si n'est pas en cause une des discriminations visées par le code pénal.
sources : CEDH , wikipedia
photo : Fair Use