Pour comprendre la position et l’action des autorités soviétiques, il convient d’évoquer un événement méconnu, directement né du contexte de la Guerre froide, et en prise directe avec la question des PGA. En 1947, les États-Unis, la Grande-Bretagne, la France et l’URSS décident de fixer au 31 décembre 1948 l’échéance pour le rapatriement de l’ensemble des PGA ainsi que de mettre en place un Conseil de Contrôle387 réunissant les quatre puissances. La mission de ce Conseil aurait dû être de superviser le rapatriement des prisonniers allemands dans la zone d’occupation dont ils étaient originaires en 1939 et ce, quel que soit le pays où ils ont été détenus en tant que PG. Cette même année 1947, comme évoqué ci-après, Paris et Londres, avec l’accord de Washington, décident de transformer une partie des prisonniers allemands qu'ils détiennent en salariés volontaires. Or ce « travail libre » contrarie si fortement Moscou que les autorités soviétiques refusent à prendre connaissance, fin 1947, du nouveau plan américain de rapatriement des prisonniers allemands. Un diplomate français ayant rencontré la délégation soviétique semble d’autant moins comprendre l’attitude de Moscou que le Travail libre n’a aucun « caractère secret » et que la France est prête à transmettre toute information à son sujet388.
La raison officiellement avancée par Moscou à ce sabordage du Conseil de contrôle nous est résumée par un autre diplomate français389. « Les autorités soviétiques, sous le prétexte que le Conseil de Contrôle de Berlin n'avait pas été tenu au courant des négociations franco-américaines [relatives à la mise en place du Travail Libre en France] n'ont pas admis le principe de la transformation en travailleurs libres des PGA. Les autorités soviétiques estiment, en effet, que, seuls, les Commandants de zone sont habilités à effectuer, sur le territoire allemand, la démobilisation des PG résidant dans leur zone au 1er septembre 1939. Dans ces conditions, la France pourra être considérée comme n'ayant pas tenu ses engagements si tous les PG originaires de la zone soviétique, transformés ou non [en travailleurs libres], n'ont pas été rapatriés à la date précitée ». Or le contrat signé par la plupart des anciens prisonniers allemands devenus travailleurs libre en France court jusqu’en 1949.
Une raison plus vraisemblable à l’attitude des Soviétiques tient peut-être au fait que Moscou trouve dans ce système du travail libre qu’il déclare non respectueux des accords passés un prétexte fort bienvenu pour rompre tous ses engagements et notamment, celui qui prévoyait de libérer ses prisonniers allemands au plus tard fin 1948. Rappelons qu’un grand nombre de PGA demeureront en URSS jusqu’aux années 1950. Par ailleurs, l’attitude des Soviétiques tient probablement aussi au fait qu’ils se refusent à voir une partie de la force active issue des territoires allemands sous leur contrôle leur échapper temporairement, sinon définitivement. Conséquence : en supprimant tout plan de rapatriement conjoint et en lui ordonnant de rapatrier l’ensemble des PGA même ceux ayant juridiquement perdu ce statut, Moscou place la France, à l’été 1948, face à un dilemme. La France doit soit procéder au rapatriement des travailleurs libres considérés comme prisonniers de guerre par les Soviétiques avant le 31 décembre 1948 au risque pour la France de perdre cette main-d’œuvre, soit inviter ces travailleurs allemands à demeurer en France jusqu’à l’issue de leur contrat, en 1949, au risque, pour eux, de se revoir définitivement interdits de séjour dans la nouvelle Allemagne de l’Est389.
Quelles qu’aient pu être les motivations de Moscou et des alliés à le saborder, il est possible que le Conseil de Contrôle des rapatriements de PGA n’ait même jamais eu véritablement le temps d’entrer dans une phase opérationnelle.
Pour certains, tel un journaliste de la Documentation française commentant ce nouvel accroc dans les relations Est-Ouest, la décision de Moscou est justifiée par le fait que les trois puissances occidentales ont transformé d’anciens prisonniers en salariés ordinaires dans le seul but de nuire à la réputation de l’URSS en l’accusant, par opposition, de soumettre ses prisonniers à un régime bien plus sévère. Il va de soi que cette hypothèse est peu vraisemblable et qu’il faut plutôt y voir l’œuvre d’une politique de propagande procommuniste. Preuve en est, les médias allemands sous contrôle soviétique semblent s’efforcer de décrédibiliser le système du travail libre mis en place par la France. C’est ainsi que les autorités françaises sont averties en janvier 1948 que la radio est-allemande aurait diffusé l’information selon laquelle « 70 % des travailleurs civils allemands en France auraient demandé leur rapatriement parce qu'ils ne se plaisaient pas en France »390. Cette information, totalement infondée, est rapportée aux autorités par un auditeur allemand résidant à Nancy, vraisemblablement travailleur libre lui-même. Pour lui, cette désinformation n’a d’autre but que d’attenter à la paix en Europe.
Mais en 1947, les pressions diplomatiques en vue de faire libérer les PG détenus en France deviennent aussi le fait d’autres nouveaux régimes communistes eux-mêmes391. L’URSS, la Pologne et la Yougoslavie demandent ainsi que soient libérés les prisonniers allemands originaires des régions allemandes annexées et possédant ou ayant fait la demande de la nationalité de ces pays. La France doit rétrocéder, pour cette seule année, 29 000 hommes à ces trois pays alors qu’elle n’avait procédé qu’aux libérations de 7 000 « Polonais » et 2 000 « Yougoslaves » en 1946.
Cette pression exercée par les régimes communistes porte ses fruits. Ainsi, une partie des travailleurs libres allemands se verront proposer, par les autorités françaises, leur rapatriement en Pologne, dans le cas où ils en sont originaires, avant la fin de l’année 1948, bien que leur contrat de travail courait jusqu’en 1949, sous prétexte que plus aucun convoi d’(anciens) prisonniers de guerre à destination de la Pologne n’aura lieu passé cette échéance. Toutefois, à la différence de celle exercée par les Américains, la pression des régimes communistes ne porte pas tant sur le retour des prisonniers de guerre eux-mêmes que sur ceux devenus travailleurs libres.
Autre forme de pression : les autorités françaises ne peuvent probablement pas se permettre de se démarquer de la politique de libération menée par les autorités britanniques392. Au 31 mai 1947, Londres contrôle encore 372 600 PGA hors Allemagne et soumet son plan de rapatriement dès juin – soit avant la France –, un plan conforme à l’objectif conclu lors de l’accord d’avril 1947, à savoir le rapatriement de tous les prisonniers avant le 31 décembre 1948. De plus, la même année, les autorités belges font savoir qu’elles s’apprêtent à libérer une partie sinon la totalité de leurs PGA393,394.
Mais c’est peut-être le réveil de l’opinion publique allemande – entendons ouest-allemande – qui inspire progressivement la plus grande crainte aux autorités françaises.
D’après une note rédigée par un fonctionnaire du ministère des affaires étrangères en mai 1948395, les modalités mêmes de libération des prisonniers seraient perçues comme une escroquerie par l’opinion publique allemande. Les Allemands considéreraient que la France ne s’y est résignée que sous la contrainte des Américains et qu’elle n’aurait pas manqué de piéger de nombreux prisonniers en leur proposant de s’engager en tant que « travailleurs libres ». D’après l’auteur, cette libération, faux-semblant d’humanisme, serait aussi perçue comme un moyen de ternir l’image de l’URSS qui n’a, pour sa part, pas encore procédé à la libération de ses prisonniers. La source omet d’indiquer s’il s’agit là de l’opinion de l’ensemble des Allemands ou de ceux issus d’une des zones placées sous contrôle allié ou sous contrôle soviétique.
On le constate néanmoins : cet argument d’une France désireuse d’instrumentaliser la libération de ses PG pour ternir l’image de l’URSS revient de manière récurrente des deux côtés du Rhin, probablement parce que colporté par les milieux procommunistes.
source : wikipedia