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Le regard de “Tano” sur Yerevan , capitale de l’Arménie

mer-tagheMa chère Erevan (capitale de l'Arménie)

Je suis à Erevan, encore une fois. Cette fois, c’est pour une raison heureuse, pour assister au mariage d’un de mes amis. Je décide de prolonger mon séjour de deux jours, pour profiter de la ville. J’arrive à cinq heures du matin. Les compagnies aériennes européennes desservent Erevan aux aurores. Durant les horaires plus habituels, leurs avions atterrissent dans les pays plus sophistiqués. Ma chambre d’hôtel n’est pas encore prête, je frappe donc à la porte de Zabel, qui habite à quelques kilomètres du centre de la ville. Ici vous vivez le vrai Erevan. L’odeur à l’entrée de l’immeuble est forte. Dans les quartiers « normaux », les ordures ne sont ramassées qu’une fois par semaine. Cela ne me dérange pas, je m’y sens bien. C’est l’Arménie ; c’est notre Arménie. Du septième étage de l’immeuble construit pendant l’ère soviétique sur une pente, on a une vue de tout Erevan. De la fenêtre de la chambre dans laquelle je me repose, on peut voir l’Université Américaine. Un peu plus loin, on aperçoit la Cascade. Plus loin encore, une vue nette de l’Ararat. Que c’est exaltant ! Le ciel bleu et clair, l’air sec, le son des coqs venant des jardins des maisons individuelles d’Erevan, tout cela me rappelle Chtora, au Liban.

En face du restaurant « Mer Taghe » (Notre Quartier) sur Toumanian, je rencontre Arthur, de l’Union des Médecins Arméniens de France. Il mange un bout avec un ami. « Tano, viens et assieds-toi. » Je m’assieds. Lahmadjun, Sou Beureg, Ichli Keufté, Tan ; c’est divin ! Arthur est en Arménie pour s’assurer que l’équipement médical et le matériel qui seront installés dans le nouveau centre dentaire de Spitak seront assemblés et montés comme ils devraient l’être, selon les normes de précision européennes. Cela fait un mois qu’il a quitté sa famille, son travail et un petit-fils nouveau-né. Il est là, se remémorant les douzaines de voyages qu’il a déjà entrepris dans la mère patrie depuis les temps difficiles du tremblement de terre. Il est tellement heureux d’être ici, du travail qu’il accompli. Cette deuxième génération d’Arméniens de France, que nous, les Beirutzis (de Beyrouth), considérons comme «moitié Arméniens » du fait de leur faible maîtrise de la langue, aime tellement sa mère patrie. Il a fait tellement plus que moi.

Je descends la rue Apovian vers la Hrabarag (place de la République). Est-ce Sako qui marche vers moi ? Est-ce vraiment lui ? Ce n’est pas lui. Cet autre ressemble tellement à Shahé. Devant l’entrée du Mariott, une dame est au téléphone. « Naye Janigus, hima Yerevan em… »(écoute ma chèrie , je suis à Yérévan..). C’est certain, elle est de Beyrouth. J’ai comme une étrange sensation de familiarité. Comme si la rue, la ville, l’univers entier nous appartenaient ; nous nous sentons à la maison où que nous soyons. Je vois Vahé quitter le Mariott. «  Tano, je suis content de te voir. Je lis tes articles. Tu fais bien d’écrire, mais la Diaspora est condamnée. Si tu veux faire quelque chose d’utile, viens et installe-toi ici »… La semaine dernière, alors que je prenais un café avec mon frère et ma nièce au Café de la Paix, à Paris, elle dit – « C’est teeeellement intéressant… les origines des époux de mes cousines… Nouvelle-Zélande, Japon, Chine, Liban, Israël, France, Suisse, Etats-Unis. Il n’y a aucune redondance parmi les huit. » C’est teeeeeellement intéressant !

Vahéééé…

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Au Mariott, je rejoins mon cousin pour le petit-déjeuner. Hovann est le petit-fils de Sasountsi (Sassoun) Ohannes Simonian, le fils d’une famille d’intellectuels. Alors que nous entrons dans l’Executive Lounge pour le petit-déjeuner, avant même que nous soyons assis, un jeune homme bondit de sa table et me serre dans ses bras. « Tu te souviens de moi ? Je suis Varkess, le fils de Vosgeperan. Nous étions voisins à Beyrouth… dans le village de montagne, à Khenchara. Si tu ne te souviens pas, c’est normal ; je n’avais que huit ans à l’époque. Tu devais avoir dix-huit ans ; tu conduisais déjà à l’époque. » Bien sûr que je me souviens de M Vosgeperan, Mme Shake, et leur fille « Lalig »(pleurs), dont le nom me laisse à penser qu’elle devait être née un 24 avril. Vartkess continue de se souvenir à quel point je l’impressionnais, à quel point j’étais grand, aventureux et beau. Une dame assise à la table à notre droite et qui jusque-là lisait ses e-mails sur son i-Pad, intervint « De tout évidence, il n’a pas beaucoup changé ». « Excusez-moi madame, d’où venez-vous ? » dis-je. Shogher vient d’Australie. Avant cela, elle vient de Beyrouth, et alla en classe dans notre Kaghaki High School (Collège Arménien Evangélique). Elle fut dans la même classe que ma cousine Rita. Avant Beyrouth… elle est Gyurintsi, la fille du célèbre poète Vahe Vahian, qui nous apprit l’arménien pendant un an. Que le monde est petit. D’autres, assis des tables avoisinantes se joignent à la conversation. Un sentiment extraordinaire s’en ressent ; un sentiment qui ne peut être reproduit dans aucun autre Mariott du monde. Mais ici, à Erevan, l’atmosphère est toujours la même. Douce Arménie !

Je suis debout depuis quinze minutes. L’odeur du café a réveillé mes sens. Je meurs de faim. Enfin, du pain, du fromage, des tomates, des olives… Du thé irait mieux avec cela… Je commande une tasse de thé et des œufs. « Comment voulez-vous vos œufs ? » « Avec des oignons, des champignons et Azadkegh. » « C’est quoi l’Azadkegh (persil) ?» ; « Ganachi » intervient Hovann. J’objecte. Ganachi (verdures) est un terme générique. Hovann explique « Les gens dans la mère patrie n’utilisent pas le mot arménien pour persil. Ils utilisent le mot russe Petroushka »… Durant mon dernier séjour en Arménie, alors que j’étais avec Harout, j’ai failli avoir une dispute avec un Hayasdantsi(arménien d'Arménie) Il ne comprenait pas le mot « Sdebhin » (carotte). Qu’importe ! Mais il insistait que le mot arménien adéquat était « Gazar ». Nous ouvrîmes un dictionnaire, et en effet, dans « leur » dictionnaire, le mot « Gazar » y est inscrit.

Nous n’avons pas eu beaucoup de temps pour discuter Hovann et moi. Nous ne pouvions parler, nous avons donc remis notre conversation à plus tard. Durant notre bref échange, je me souviens l’entendre dire « La vitesse à laquelle les gens émigrent est époustouflante. L’année dernière, je suis resté à l’hôtel pendant un mois. Cette année, chaque fois que je demande des nouvelles des employés rencontrés l’année dernière, on me dit ‘Ardashamanoum e’ (il est à l’étranger). Je ne parle pas des gens des villages qui pavent les rues de Moscou. Ce sont des gens qui parlent plusieurs langues, ont des emplois. La sécurité du pays est menacée. Si demain, à Dieu ne plaise, il y a une autre guerre, il n’y aura plus personne pour combattre l’ennemi ».

Armen appela à l’improviste. « J’ai entendu dire que tu étais ici. Rencontrons-nous. » Je ne peux pas. C’est mon dernier jour. Il dit que « les affaires vont très mal. La population a peu d’argent. Les ventes des boutiques ne couvrent même pas le loyer et les salaires». Il continue, «Le climat est bon pour l’instant. Il y a encore des touristes qui continuent à venir dans le pays. Même s’ils ne viennent pas au centre commercial Dalma Mall, ils dépensent de l’argent dans la ville ; Et l’argent circule. Je ne sais pas ce que nous ferons l’hiver, ou même si nous survivrons. Je ne sais pas. Je vais immédiatement fermer un de mes deux magasins. Je vais devoir me séparer de deux de mes cinq employés . Je ne peux pas survivre. »

A suivre . . .

Tano / Beyrouth