“Le dernier défi d’Erdogan” : la chronique de Nersès Durman
LE DERNIER DEFI D’ERDOGAN : EMPECHER TOUTE CREATION D’UN ÉTAT KURDE Après la dislocation de l’Empire ottoman en 1923, la Turquie devint une République dirigée par un parti unique, le CHP (Parti Républicain du Peuple). 75 % de la population turque est musulmane sunnite. Le reste est composé de Kurdes, d’Alévis, de Chrétiens et de Juifs. Comment un peuple imprégné de la culture islamique depuis des siècles peut-il du jour au lendemain se présenter sous un vernis laïc devant les institutions internationales ? Lors de la seconde guerre mondiale, la Turquie était restée « neutre » et, au vu de la débâcle de l’armée nazie, déclara la guerre à l’Allemagne. Afin de pouvoir profiter du plan Marshall, la Turquie abandonna le système du parti unique et créa différents partis, démocrates, socialistes, populaires ou des travailleurs qui rencontrèrent un certain succès. Redoutant cet attrait pour les partis de gauche, considérés comme une menace pour le pouvoir en place, les autorités turques fermèrent leurs sièges et arrêtèrent leurs chefs. Parmi les personnes interpellées, il y eut des Arméniens tels A. Alexanian, A. Pehlivanian, H. Akmanoglu, Z. Biberyan, H. Açikgöz, V .Ihmalyan, N. Acemyan, J. Ihmalyan, B.Şamikyan entre autres. Des manifestations se déroulèrent en Turquie et dans la diaspora pour réclamer leur libération. Sous la pression de l’opinion publique, les autorités turques durent les relâcher, après les avoir maintenus quelque temps en détention. Depuis lors la stabilité de la Turquie fut assurée par son armée qui représentait la colonne vertébrale de la nation. Actuellement, le parti dit islamiste modéré, l’AKP est au pouvoir. Evoquant un prétendu coup d’État, le premier ministre Erdogan fit arrêter un grand nombre d’officiers supérieurs. Le 10 août 2014, les élections présidentielles portèrent au pouvoir ce même Erdogan qui libéra tous les militaires emprisonnés. Avec ces 75 millions d’habitants, la Turquie compte en son sein 15 millions de Kurdes. Les Kurdes de Turquie sont majoritairement installés sur les terres de l’Arménie historique. Ils vivent également en Iran, en Irak et en Syrie. Les Kurdes luttent depuis des années pour faire reconnaitre leur identité nationale. En Turquie, le 27 novembre 1978, A. Öcalan avait fondé le Parti des Travailleurs Kurdes PKK. Au fil du temps, le PKK s’est fait connaître dans le monde entier et sollicite l’aide comme le soutien des pays étrangers. Danièle Mitterrand, ancienne Première Dame de France, avait toujours soutenu les Kurdes et effectué plusieurs voyages en Turquie dans les régions habitées par les Kurdes. Les affrontements entre les Kurdes et l’armée turque ont causé des pertes en vie humaines de part et d’autre. Le 15 février 1999, les services secrets turcs, en étroite collaboration avec la CIA, arrêtèrent A. Öcalan au Kenya pour le ramener en Turquie afin d’y être jugé. Öcalan fut condamné à la prison à perpétuité et le PKK fut déclaré organisation terroriste. Le 9 janvier 2013, trois militantes kurdes furent assassinées en plein Paris. Pour éviter d’aggraver les pertes humaines et la douleur des familles, les autorités turques entrèrent indirectement en rapport avec Öcalan. Après de nombreux contacts, un accord fut conclu, permettant aux combattants du PKK de déposer les armes et de regagner leur foyer. Alors que la situation en Turquie était devenue paisible, la guerre en Syrie prenait un tour inquiétant. Les groupes de l’État islamique attaquèrent la ville kurde de Kobané et l’occupèrent. Les autorités turques ne permirent pas aux jeunes Kurdes de passer la frontière afin de porter secours à leurs frères de Syrie.
Lors des élections législatives en Turquie, le 7 juin 2015, trois candidats arméniens furent élus sous les étiquettes des partis AKP, CHP et HDP. Cela démontrait la maturité de la communauté arménienne de Turquie. Afin de renforcer son pouvoir, le président Erdogan devait modifier la constitution. Cependant, le résultat des dernières élections législatives ne lui a pas assuré une majorité suffisante pour réaliser ce plan. En effet, l’AKP ne bénéficiait plus de la majorité absolue mais le parti pro-kurde HDP faisait une entrée remarquée à l’Assemblée Nationale avec 13% des voix et 80 députés. La constitution d’un nouveau gouvernement s’étant révélée impossible, le président Erdogan décida de provoquer de nouvelles élections au 1er novembre 2015 avec l’espoir de s’assurer une majorité de gouvernement. De son côté, Salahattin Demirtaş, président du HDP pro-kurde avait recommandé de déposer les armes. En dépit de cet appel, l’armée turque reprit ses opérations militaires dans le sud-est du pays, encerclant la ville de Cizre et privant sa population d’approvisionnement en eau, vivres et électricité. L’attitude de S. Demirtaş prouvait une fois encore la maturité diplomatique et l’organisation des Kurdes de Turquie. La consternation d’Erdogan est l’existence d’une communauté kurde organisée et avancée. C’est la raison pour laquelle le président turc va essayer par tous les moyens de détruire le HDP et de propager un sentiment de peur avec la menace illusoire d’une guerre civile comme une épée de Damoclès sur la tête de ses concitoyens. Seul un peuple inculte et influençable pourrait tomber dans un tel piège. Espérons que la population du pays saura l’éviter.
Nersès DURMAN-ARABYAN Paris –Septembre 2015
source : photo : Zaman