Le 26 mars, invoquant à tort le manque de compétence de la Cour, la juge fédérale Dolly M. Gee a rejeté un procès intenté par des Arméno-Américains qui demandaient des dommages et intérêts à la République de Turquie pour la confiscation de leurs biens pendant le génocide arménien.
Les avocats Berj Boyajian, Mark Geragos, Ara Jabagchourian et Brian Kabateck avaient intenté une poursuite en recours collectif le 29 juillet 2010, au nom de Garbis Davoyan de Los Angeles, de Hrayr Turabian de New York City et de tous les Arméniens dont les ancêtres possédaient des biens mobiliers et immobiliers en Turquie. Les grands-parents de Davoyan et Turabian possédaient des terres près d’Aintab et d’Adana. La plainte accusait aussi la Banque centrale de Turquie et la banque Ziraat d’enrichissement abusif, ces dernières ayant bénéficié des recettes générées par les propriétés arméniennes confisquées.
Étant donné que la République de Turquie et ses deux banques principales avaient avancé que les Cours américaines n’avaient pas compétence pour les entités étrangères en raison de l’immunité des pays souverains, les plaignants arméniens avaient fait valoir que le procès pouvait avoir lieu, car il existe deux exceptions au Foreign Sovereign Immunities Act (FSIA) (loi sur l’immunité des autorités étrangères souveraines) : « activité commerciale » et « expropriation. »
La juge fédérale a statué que ces deux exceptions ne s’appliquaient pas dans ce cas. Elle a estimé que le rôle commercial des banques aux USA était minime et non relié aux griefs déposés.
Elle a statué que l’exception d’expropriation n’était pas valable non plus, car la propriété n’avait pas « été prise en violation du droit international ». Elle a déclaré que l’appropriation d’un bien personnel contrevient au droit international si :
- elle ne sert pas un objectif public
- elle discrimine ou stigmatise des étrangers
- le gouvernement étranger ne paie pas de compensation
La juge Gee a estimé que les Arméniens étaient des citoyens de l’Empire ottoman, en se basant sur la Loi de la Nationalité du 19 janvier 1869, « qui traite toutes les personnes se trouvant dans l’Empire ottoman comme des sujets ottomans ». Selon la juge, cette loi « est restée en vigueur jusqu’au 23 mai 1927, date à laquelle la Loi No. 1041 a déchu de la citoyenneté turque les Arméniens qui avaient fui ou avaient été déportés de l’Empire pendant les événements en cause dans ce procès ». Elle a conclu : « Juridiquement, les Arméniens dont les propriétés ont été prises, et qui ont été déportés de l’Empire ottoman, étaient des citoyens à l’époque ».
En rendant ces décisions, la juge Gee a commis une série de graves erreurs factuelles et elle a fait une mauvaise application du droit. Sa théorie selon laquelle les Arméniens étaient des citoyens ottomans à l’époque du génocide et des déportations, et, partant, qu’ils ne peuvent être soumis à la juridiction des États-Unis, est complètement fausse. Dans un télégramme en date du 9 septembre 1915, le ministre de l’Intérieur, Talaat, a émis l’ordre suivant : « Les droits des Arméniens à vivre et à travailler sur le sol turc sont totalement abolis ». Par conséquent, Talaat Pacha avait révoqué la citoyenneté ottomane des Arméniens à partir du 9 septembre 1915, en faisant d’eux des non citoyens à l’époque de l’expropriation de leurs propriétés. Ce seul fait invalide le postulat fondamental de la décision de la juge, à savoir que la Cour fédérale n’a pas compétence pour juger la Turquie sur les expropriations des biens de ses citoyens.
De plus, étant donné que la citoyenneté ottomane a été imposée aux Arméniens d’origine, après que leur territoire a été envahi par les armées ottomanes, les Arméniens ont été forcés de devenir les sujets non consentants d’un envahisseur étranger. Le verdict erroné de la juge conduit à la notion absurde et dangereuse, que les droits d’un peuple sous occupation peuvent être violés, sans qu’il puisse recourir au droit international une fois que la nation conquérante déclare que les habitants sont ses citoyens.
La juge Gee a commis une deuxième erreur grave, lorsqu’elle a présenté l’argument alambiqué que l’expropriation de propriétés étrangères aurait pu tomber sous la juridiction de sa Cour, si elle avait été commise en association avec des actes de génocide, car « le génocide est en violation du droit international ». Toutefois, elle a statué que le procès arménien ne satisfaisait pas le critère précité, car il comprend une « question politique » liée à la politique étrangère qui tombe sous la juridiction des branches de l’exécutif et du législatif, et non du judicaire. Elle a complètement ignoré le fait que le procès n’était pas intenté en relation avec le génocide, mais en tant que violation du droit international qui comprend les crimes contre l’humanité, mais pas nécessairement le génocide. Apparemment, la juge n’était pas consciente du fait que le gouvernement américain a reconnu le génocide arménien en plusieurs occasions, ce qui rend son argument sur la séparation des pouvoirs complètement dénué de sens.
Il y a une bonne chance que la Cour fédérale d’Appel annule la décision erronée et sans fondement de la juge Gee. Les avocats des plaignants pourraient considérablement renforcer leur dossier en soulignant certaines erreurs factuelles dans la décision de la juge, ainsi qu’en rectifiant les lacunes de leur propre argumentation.
Les procès contre la Turquie doivent être intentés avec le plus grand soin, être extrêmement bien préparés, avec professionnalisme, car ils affectent les intérêts de toute la nation arménienne, en particulier à la veille du 100 ème anniversaire du génocide arménien.
Sources :