Le trésor de la communauté arménienne à Marseille ?
L'association Aram, partie d'un travail sur l'histoire d'un quartier, a bâti un fonds unique accessible sur internet
Une boîte à chaussures est un concentré d'émotions. Les membres de l'Association pour la Recherche et l'Archivage de la Mémoire Arménienne (Aram), place Pélabon à Saint-Jérôme, les ressentent toutes quand ils en ouvrent une, confiée par un retraité ou une association. Christian Artin (à gauche) oeuvre dans cet ancien atelier de chaussures avec des bénévoles pour la numérisation du fonds d'Aram.
Christian Artin (à gauche) oeuvre dans cet ancien atelier de chaussures avec des bénévoles pour la numérisation du fonds d'Aram.
Photo Ph. L.Avec ces modestes contenants ou des collections reliées, ils ont bâti un fonds documentaire unique sur le quotidien et la culture de toute une communauté désormais accessible librement sur internet (1).
"Les Arméniens sont l'autre peuple du livre, explique Christian Artin, maître d'oeuvre de la numérisation de ce fonds. Ils étaient orphelins de leur terre, leur vie a été massacrée. Alors ils leur restaient leur langue, leur alphabet et tous les écrits qu'ils ont pu sauver. Mon père Jean Garbis Artin, qui a créé Aram en 1997 ne jetait aucun écrit ou document.
À partir de photos de classe à Saint-Jérôme sur lesquels il identifiait des Arméniens, il les a retrouvés dans le quartier et leur a demandé de leur confier leurs photos, leurs souvenirs, leur mémoire précieuse."
Et sur les rayonnages de cet ancien atelier de fabrication de chaussures, on découvre cette belle richesse humaine. "Certaines personnes nous ont confié tous les papiers d'identité que les membres de leur famille ont eus au fil de leur existence. D'abord les "certificats Nansen", les premiers de réfugiés de guerre, attribués après le génocide, puis le passeport de la première république arménienne de 1918-1920 puis le passeport turc. Sur les certificats, on peut lire cette mention pleine de douleur : "Il ne peut pas retourner dans son pays".
Des archives qui retracent le quotidien arménien
Au milieu d'affiches du club arménien UGA-Ardziv, de photos de champion, on trouve les clichés d'un groupe de femmes élégantes. Ce sont les ouvrières des tapis France-Orient. Cette entreprise marseillaise, fondée en 1923 et avancée socialement, avait embauché des centaines d'Arméniennes dont le savoir-faire était reconnu. Une garderie s'occupait de leurs enfants. Leurs luxueux tapis ont par exemple décoré les salons du paquebot Normandie.
Il y a la mémoire populaire, la culture manufacturière et aussi dans les murs et sur le serveur d'Aram toutes les archives des quotidiens arméniens publiés ou disponibles en France, dans la langue du pays perdu ou en français.
"Nous avons tous les numéros d'Armenia, un journal édité à Marseille à partir de 1890 pour la petite colonie de 400 Arméniens qui s'étaient implantés dans la ville. Mais aussi la collection de "Haratch" (En avant), le quotidien de référence ou de "Pro Armenia", un journal paru de 1900 à 1904 d'intellectuels qui soutenaient la cause arménienne et dans lequel Jean Jaurès, Georges Clémenceau ou Anatole France ont écrit.
Et puis il y a ce registre aux feuilles jaunies mais impeccablement tenu du camp du bd Oddo par lequel sont passés 5441 réfugiés arméniens qui ont débarqué à Marseille à partir de l'automne 1922. Chaque nom est une vie, une histoire, avec quelques lignes sur son parcours ("Parti aux États-Unis" ou "installé en ville") après le camp. Sur le site, on le consulte page à page et tous les noms ont été entrés dans une base de données pour des recherches plus aisées.
Le fonds d'Aram est constitué selon les normes documentaires de la Bibliothèque de France et en devient une annexe spécialisée. Un partenariat a été signé avec la bibliothèque nationale d'Arménie (Madénataran) pour mutualiser les documents numérisés. Le traitement et la mémorisation informatique des documents ont été réalisés avec le centre interrégional de conservation du livre d'Arles. D'un travail de quartier à une chaîne vertueuse pour la mémoire de l'autre peuple du livre.
Propos recueillis par Philippe Larue
Sources :