Jean-Christophe Lagarde, député et maire de la ville de Drancy, où il a notamment aidé à la construction d’une mosquée, évoque une communauté musulmane qui « ne comprend pas » comment le jeune homme a pu échapper à la surveillance des autorités.
Comment ont réagi les habitants de Drancy au fait que l’un des terroristes a grandi dans votre ville ?
Les gens sont choqués. Comment un jeune a-t-il pu partir en Syrie, alors qu’il avait été interpellé et placé sous contrôle judiciaire ? Personne ne comprend, sinon qu’il y a eu des failles. D’autant que l’on ne parle pas que du cas d’un jeune homme. Ils étaient trois à fréquenter la mosquée radicale du Blanc-Mesnil et à avoir été interpellés alors qu’ils s’apprêtaient à partir au Yémen. Tous les trois ont été mis en examen, on leur a retiré leurs passeports. Malgré tout, tous les trois ont réussi à partir en Syrie, et l’un d’eux a pu revenir en France commettre des attentats. Comment se fait-il qu’on ne puisse pas neutraliser ces gens-là ?
Comment réagit en particulier la communauté musulmane ?
Les musulmans sont les premiers pris en otage par les terroristes, entre les fous qui tuent et ceux qui les regardent de travers parce qu’ils sont musulmans. Ce sont les premiers à nous demander comment on n’a pas pu empêcher ça. Combien nous disent « faites le ménage ! » ? Ce sont eux qui nous signalent qu’une mosquée se radicalise et les premiers à plaider pour plus d’interventionnisme de la part de l’Etat. A Drancy, beaucoup sont originaires d’Algérie et nous rappellent que c’est comme ça que les choses ont commencé là-bas et nous demandent de tout faire pour arrêter ça.
Mais il faut aussi que la population musulmane se mobilise davantage : aujourd’hui elle souffre d’un déficit d’organisation. Par exemple, quand le mouvement Not in my name [lancé en 2014 par des musulmans britanniques] a commencé à émerger, beaucoup de gens s’en sont sentis proches, mais qui prend l’initiative à ce moment-là ?
Le gouvernement a proposé un traitement des conséquences en frappant la Syrie et les réseaux suspects. Ne manque-t-il pas des mesures sur les causes de ces radicalisations qui se passent sur le sol français ?
Ce serait préjuger que l’on connaît les causes. Est-ce que le diagnostic est fait ? Je ne crois pas. Je pense qu’il peut y avoir des causes sociales à l’augmentation d’une religiosité apparente. Pour des gens qui n’ont pas de travail, porter une tenue religieuse peut permettre de se trouver une existence sociale. Mais cela ne fait pas un lien avec celui qui devient terroriste. Samy Amimour n’était pas un petit délinquant à la dérive. Il vient d’une famille normale, pas religieuse. Il ne montrait aucun signe de radicalisation avant de fréquenter la mosquée radicale. Rien ne laissait penser qu’il était une proie facile pour un lavage de cerveau, à part qu’il était très timide. Et c’est souvent le profil de ceux qui se radicalisent. Mais comment se fait-il qu’il ait pu fréquenter une mosquée dont on sait qu’elle recrute des djihadistes ?
En tant que maire, quels sont vos moyens d’action ?
Le rôle d’un maire, c’est de faire vivre les gens ensemble. Quand les gens ne se connaissent pas, ils se craignent ; et quand ils se craignent, ils se détestent. Faire en sorte qu’ils se connaissent, comme je le fais à Drancy en facilitant le dialogue interreligieux, c’est le seul moyen dont un maire dispose.
Mais on n’est pas à l’abri que les gens se coupent de toute vie sociale. Quand un individu ne parle même plus à sa famille, ce n’est pas le maire qui peut y faire quelque chose.
Et l’Etat, que devrait-il faire selon vous ?
Sur le plan sécuritaire, il ne faut pas que des personnes mises en examen et placées sous contrôle judiciaire avec ce type de suspicion puissent sortir du territoire. Je propose leur assignation à résidence avec bracelet électronique. Il faut aussi que des mesures comme l’assignation à résidence ou les perquisitions, permises par l’état d’urgence, puissent se poursuivre, dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, au-delà de l’état d’urgence. C’est déjà ce que j’avais dit au président de la République en janvier. Il faut aussi que la loi sur les lieux de culte soit changée afin que nous ayons davantage de pouvoir d’intervention, notamment concernant les mosquées radicales.
En février, vous parliez du fait que le gouvernement avait le devoir, dans le contexte actuel, de « réarmer moralement la nation » ? Que vouliez-vous dire par là ?
Après les attentats de janvier, François Hollande est resté dans la commémoration, il a réagi comme si c’étaient des attentats classiques. Mais ce ne sont pas des attentats classiques, non, c’est une guerre et il faut que les Français y soient préparés.
L’Etat a un devoir de pédagogie : il doit expliquer pourquoi on fait cette guerre et pourquoi on est visés. L’objectif de Daech [acronyme arabe de l’Etat islamique], c’est de monter les Français contre les musulmans pour qu’il y ait une guerre civile en France. Tout cela ne nous est pas expliqué. Le faire nous permettrait d’éviter d’aller dans le sens de l’ennemi.
Je crois aussi que l’Etat doit permettre aux Français d’y participer. Nous appelions dès janvier à la mobilisation d’une garde nationale, je suis persuadé que 500 000 à 1 million de personnes sont prêtes à se mobiliser. Cela a une double vertu : cela démultiplie l’effort de sécurisation et cela permet de combler un sentiment d’impuissance chez certains qui peut être délétère.
Il faut aussi réexpliquer aux Français ce que c’est que la laïcité : la liberté de croire ou de ne pas croire et l’interdiction d’imposer à qui que ce soit ce que l’on croit et ce que l’on pense. Et c’est aussi considérer que la religion fait partie de l’espace privé et donc pas du discours politique. La pédagogie, c’est la meilleure arme contre la barbarie. C’est ce qui leur fait peur. La preuve : l’éducation et la culture, c’est ce à quoi ils s’attaquent en premier.
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