BIEN-ÊTRE & SANTE La circulation du sang… samedi 15 Mars 2025 à 15h à Ste Croix à Paris Raffi mardi 4 mars 2025 0 (0) La circulation du sang : entre Orient et Occident L’histoire d’une découverte par François BOUSTANI Les années passées à Montpellier m’ont profondément marqué et ont largement contribué à faire de moi ce que je suis devenu. En septembre 1975, je m’apprêtais à intégrer la Faculté française de médecine à Beyrouth, dirigée par les Jésuites. Mais voilà que la guerre civile éclate et que je me retrouve en première année de médecine, loin du foyer familial, loin de la terre natale, ici à Montpellier. Dès lors, Montpellier m’est apparue comme une terre d’exil. Un exil rendu encore plus insupportable par les images de destruction qui arrivaient de Beyrouth. Le Liban était, comme on le disait à l’époque, à feu et à sang. Mais très vite cette terre d’exil s’est transformée en une terre familière – tant nous avons baigné d’emblée, mes camarades étudiants libanais et moi-même, dans une atmosphère de sympathie, de compassion et d’amitié – pour finir par devenir une terre natale, puisque j’y ai connu une deuxième naissance, une renaissance spirituelle celle-ci, au contact des grands Maîtres de la Faculté. Bien plus tard, en 2010, j’ai eu l’honneur et le privilège de rencontrer le Pr Jean-Paul Senac au cours d’un congrès en Egypte et j’ai découvert en lui l’homme de culture féru d’histoire et d’archéologie. Je connaissais déjà le grand médecin puisque j’avais fait un stage d’externe dans le service de radiologie dont il était l’agrégé et la force montante en tant que pionnier, dans les suites d’Andreas Gruentzig, d’une nouvelle technique, celle des angioplasties qui a fini par boule verser la prise en charge des maladies cardiovasculaires. Quand, par la suite, le Pr Senac m’a proposé de venir faire cette conférence, je me suis précipité sur votre site Internet et j’ai découvert qu’un grand nombre de mes anciens maîtres fait partie de votre Académie. J’ai trouvé sur le site un hommage au Pr André Bertrand, qui a toujours incarné pour moi le véritable sage grec, un autre au Pr Yves Guerrier, dont chaque laryngectomie était une véritable leçon de chirurgie. Parmi les membres d’honneur, le Pr Robert Labauge à l’enseignement mythique en neurologie et le Pr Paul Puech qui a bouleversé la rythmologie en introduisant la mesure du faisceau de His. J’ai découvert parmi les Académiciens actifs, de nombreux professeurs qui m’ont marqué par leur enseignement : le Pr Grasset, le Pr Jaffiol, le Pr Meynadier, le Pr Michel, le Pr Pages, le Pr Pouget et le Pr Thévenet. Ce soir est pour moi un retour aux sources et l’occasion d’exprimer ma recon naissance envers Montpellier et sa prestigieuse Faculté. C’est donc avec un immense plaisir et une profonde émotion que je me présente devant votre Académie pour vous parler de l’histoire d’une très grande découverte scientifique, celle de la circulation du sang dans l’organisme. Cette décou verte a permis la naissance de la cardiologie moderne et les avancées thérapeutiques 358 Communications présentées en 2012 qu’on connaît aujourd’hui. De plus, l’histoire de cette découverte est particulièrement intéressante car elle évoque les étapes de l’évolution de la pensée médicale et scien tifique depuis l’Antiquité grecque jusqu’à nos jours et qu’elle résume les modalités de la transmission et de la circulation des idées autour de la Méditerranée. Elle a aussi l’intérêt de mettre en relief les facteurs qui favorisent la science : le politique, la liberté et la rationalité. Si la circulation sanguine est aujourd’hui correctement enseignée à tous les écoliers, pendant quatorze siècles on s’est trompé en croyant que le septum interven triculaire était perméable et que le sang, au lieu de transiter par les poumons, passait directement du ventricule droit au ventricule gauche. Mieux encore, pendant quinze siècles, on s’est fourvoyé sur le retour veineux en pensant que le sang se déversait dans les veines vers la périphérie pour se consommer et disparaître. Il a fallu attendre Harvey pour comprendre que le sang artériel passe par les capillaires aux veines et revient par les veines au cœur, et que le sang circule en circuit fermé dans l’orga nisme. Le sang est donc animé d’un mouvement circulaire et ceci tout le monde le sait aujourd’hui. Mais cette découverte de l’Anglais William Harvey au début du XVIIe siècle a bouleversé l’histoire de la science. Car si depuis toujours on a su que le sang était la source de la vie, pendant des siècles on a ignoré d’où il venait, de quoi il était composé, comment il circulait dans l’organisme, et même à quoi il servait. Et pourtant on a commencé à réfléchir à la question à partir du VIe siècle av. J.-C. ; il a fallu donc vingt-deux siècles pour qu’enfin William Harvey finisse par décrire toutes les modalités de la circulation du sang dans l’organisme. Vingt-deux siècles émaillés par des avancées, des reculs, des erreurs grossières martelées avec autorité et des intuitions lumineuses souvent contestées. Ces vingt-deux siècles peuvent être subdivisés en trois périodes successives, trois chaînes de savoir qui se sont succédé dans le temps : • la période gréco-romaine avec, comme langue, le grec ; • la période arabo-musulmane avec, comme langue, l’arabe ; • la période chrétienne occidentale avec, comme langue, le latin. Il existe une continuité entre ces trois périodes puisque c’est la même médecine – la médecine grecque – qui a été transmise aux Arabes au VIIIe siècle par les traducteurs syriaques, et c’est la médecine gréco-arabe qui est passée en Occident aux alentours des XIe, XIIe siècles par les traducteurs de l’Italie du sud et de l’Espagne. Tout a commencé en Grèce au VIe siècle av. J.-C., avec les philosophes naturalistes qui sont les premiers à avoir séparé la médecine de la mythologie. Dans un monde dominé par la magie, l’irrationnel et la superstition, des hommes, sur cette côte ionienne, ont cherché à percer le secret du monde en faisant appel à la raison. Un de ces philosophes naturalistes, Alcmaion de Crotone, élève de Pythagore, est le premier à distinguer l’artère de la veine en disséquant les animaux, la dissection sur les cadavres humains étant interdite à l’époque. Le Ve siècle av. J.-C est dominé par la grande figure d’Hippocrate qui est à l’origine du passage de la tradition orale à la tradition écrite en médecine ; il initie ce qu’on appelle le corpus hippocratique qui est une œuvre immense dont la rédaction va durer tout un siècle et qui a nécessité la collaboration de plusieurs générations de médecins. Ces médecins hippocratiques, en disséquant les animaux, trouvent le sang accumulé au niveau du foie, de la rate et des veines et trouvent les artères vides ne contenant que de l’air. Ils écrivent même : “Ouvrez un ventricule Académie des Sciences et Lettres de Montpellier 359 gauche, il est vide, comme un désert”. Ils en ont déduit que les veines conduisaient le sang et que les artères conduisaient l’air. Ils situent le foie et la rate au centre de la circulation sanguine et dénient tout rôle au cœur. Au IVe siècle, un immense bouleversement intellectuel se produit en Méditerranée, c’est l’œuvre d’Aristote. Aristote subodore la place du cœur au centre de la circulation sanguine, mais son apport ne se résume pas à ces balbutiements. Son apport est essentiellement dans son œuvre logique, dans laquelle il nous donne les règles qui garantissent la rigueur d’un raisonnement rationnel. De plus, Aristote nous explique que pour que la médecine se hisse au niveau d’une science, il faut au préalable ouvrir la boîte noire du corps humain, c’est-à-dire pratiquer l’anatomie et la physiologie et ne pas se contenter comme les hippocratiques de soigner uniquement des symptômes. A la fin de la vie d’Aristote, Alexandre le Grand envahit les rivages orientaux de la Méditerranée, fonde Alexandrie avant d’aller mourir en Babylonie. A sa mort ses généraux se partagent l’Empire et un de ses généraux et ami d’enfance, Ptolémée Soter, s’installe à Alexandrie avec la volonté de faire de cette ville le premier centre scientifique et médical en Méditerranée. Il fonde le Musée, qui est un institut de recherche et d’enseignement et la Bibliothèque. Grâce à une politique habile, il saura attirer au Musée la fine fleur des savants du monde grec et aura l’ambition de réunir dans la Bibliothèque rien de moins que tous les livres du monde connus. Au sein de ce Musée se développe une école de médecine qui aura un prestige immense grâce à l’autorisation de la dissection sur cadavre humain. A partir de là, l’anatomie fera un bond important en avant avec la description d’un nombre considérable d’artères et de veines. Cette parenthèse se refermera au bout de cinquante ans sous l’influence des religieux, mais restera comme un grand moment de la pensée scientifique et médicale. Pendant cette période, deux médecins se distinguent : Hérophile qui a pratiqué la première dissection sur cadavre humain et Erasistrate de Céos qui était un physiologiste et grand adepte de la théorie de l’air dans les artères. En 146 av. J.-C., Rome conquiert le monde hellénistique et le centre de gravité de la science se déplace d’Alexandrie vers Rome. Mais les Romains étaient surtout des bâtisseurs, des juristes, des militaires, ils n’avaient que mépris pour la médecine. Les médecins à Rome seront toujours des Grecs et la langue scientifique sera toujours le grec. C’est pourquoi on parle d’une chaîne gréco-romaine, puisque l’on est dans le même espace linguistique. On arrive ainsi au IIe siècle de l’ère chrétienne et le corpus hippocratique règne toujours sur la médecine, enrichi des constatations anatomiques de l’école d’Alexandrie. A cette époque, on continue donc à croire que les artères véhiculent l’air et que les veines conduisent le sang et c’est là que survient un personnage important, Galien, qui corrige cette grossière erreur et établit la présence du sang dans les artères. Claude Galien est né à Pergame en Asie Mineure ; sa chance a été d’avoir un père qui a veillé à sa formation intellectuelle; très tôt il l’oriente vers des écoles de philosophie et de logique, puis, suite à un rêve où il voit son fils devenir un grand médecin, il l’oriente vers la médecine. Après des études très prolongées pour l’époque, Galien revient et s’installe à vingt-neuf ans comme médecin dans sa ville natale où il se voit octroyer le poste prestigieux de médecin de l’école des gladiateurs. C’est là, en soignant les plaies artérielles des gladiateurs, qu’il constate la présence du sang dans les artères. 360 Communications présentées en 2012 Il quitte Pergame au bout de quatre ans et sa carrière va se dérouler à Rome où il sera à l’origine d’une œuvre immense qui va influencer la science médicale jusqu’au XVIe siècle en Occident. A l’époque de Galien, la dissection sur cadavre humain étant interdite, il est obligé de se contenter de singes et de porcs dont l’ana tomie ressemble le plus à l’anatomie humaine. Galien conçoit une circulation sanguine complètement fantaisiste, fruit de son imagination. Il a eu le mérite d’établir la présence du sang dans les artères, mais en bon logicien, il lui fallait un passage du sang du côté droit au côté gauche, car il pensait que le sang était fabriqué par le foie, alors qu’en réalité il l’est au niveau de la moelle osseuse. Faute d’imaginer ce passage du cœur droit au cœur gauche par les poumons, il l’invente de toutes pièces au niveau du septum interventriculaire, en imaginant des orifices par lesquels le sang passait directement du ventricule droit au ventricule gauche. De plus, pour Galien, le ventricule gauche n’était pas une pompe, mais une chaudière où le sang provenant du ventricule droit subit une combustion avec l’air provenant des veines pulmonaires et le fruit de cette combustion était du sang chaud, écumeux envoyé pour chauffer tout l’organisme. Il appelle cela “chaleur innée” ou “esprit vital”. A côté de ce système inspiré des thermes romains, Galien imagine un autre système où le sang fabriqué dans le foie se déverse dans les veines pour irriguer les organes. Donc, pour Galien, que ce soit dans les artères ou dans les veines, le sang se déverse vers la périphérie pour se consommer et disparaitre. Il ne conçoit pas de retour du sang dans les….. photo : pixabay Vous avez trouvé ce post utile ? Cliquez sur une étoile pour l'évaluer ! Soumettre une évaluation Note moyenne 0 / 5. Nombre de votes : 0 Soyez le premier à évaluer cet article. Vous avez trouvé cet article utile ? Suivez-nous sur les réseaux sociaux ! Suivez-nous !