Le Sandjak d’Alexandrette illustre le paradoxe des États modernes, en Orient : voilà un territoire syrien depuis l’Antiquité, transporté par l’action d’une puissance coloniale, dans l’histoire et le territoire de la Turquie moderne.
Ce territoire abritait majoritairement des populations ottomanes non turques, Arabes alaouites, sunnites et chrétiens, Kurdes, Arméniens et Tcherkesses.
Alors cet improbable Sandjak créé de toutes pièces par la tutelle coloniale française et offert par elle, à la Turquie en 1939 ?
Il faut remonter aux accords Sykes-Picot de 1916 qui divisent les anciennes syriennes et la Mésopotamie ottomanes entre la France et la Grande-Bretagne. Avec la mise en place du mandat sur la Syrie et la Cilicie, les Français vont appliquer la célèbre politique du « diviser pour régner » comme le préconise l’influent Robert de Caix au Quai d’Orsay à Paris (Khoury 2006).
Ainsi, à côté d’autres divisions, le 1er septembre 1920, le général Gouraud, haut-commissaire, proclame la création du Sandjak d’Alexandrette par la réunion des trois cazas (subdivision administrative du vilayet) d’Alexandrette, d’Antioche et de Kirik-Khan .
Dès sa création, le Sandjak s'ouvre par la volonté de la puissance coloniale, à la turquisation et à l’immigration de populations turques. Le traité franco-turc du 20 octobre 1921, entre le gouvernement kémaliste et la France, fixe en outre la frontière syro-turque de manière très défavorable à la Syrie. Ce traité, dit « Franklin-Bouillon », inaugure véritablement le chapitre de la future « question du Sandjak ». Son article VII stipule : « Un régime administratif spécial sera institué pour la région d’Alexandrette. Les habitants de race turque de cette région jouiront de toutes les facilités….
La langue turque y aura un caractère officiel » (Gilquin 2005, p. 172). Les fonctionnaires seront majoritairement turcs. Les Turcs du Sandjak, formant à peine 38% de la population.
L’urgence est pour la France d’arrêter la guerre en Cilicie et de neutraliser la Turquie dans les révoltes anti-françaises en Syrie. Elle renonce à la Cilicie pour recentrer ses forces militaires sur la répression dans les territoires syriens, (grande révolte du Nord pour laquelle la Cilicie et l’Anatolie du Sud constituaient d’actives bases arrières)
Le Sandjak , désormais province turque, sous le nom de Hatay, en référence supposée aux anciens Hittites dont la civilisation antique avait fleuri dans la région, connaît un essor démographique, industriel, agricole et touristique. Elle est encore peuplée de populations alaouite et sunnite (arabe ou kurde arabisée) importantes.
Les identités et solidarités communautaires transfrontalières sont fortes : par exemple, les Alaouites du Hatay soutiennent le régime d’Assad.
sources : JP D. , JF Pérouse, B. Khoury